Un avocat lucernois s’en est pris, dans une plaidoirie devant le tribunal criminel de son canton, à une procureure qui n’avait pas suivi d’études de droit, mais une formation commerciale et fiduciaire. Il l’a comparée à «un mécanicien sur vélo qui opère comme un chirurgien» et l’a déclarée «incompétente». Cela a valu à l’avocat une sanction disciplinaire de l’autorité de surveillance de son canton, avec une amende de 500 fr. à la clé. Il lui a été reproché d’avoir enfreint les règles de la profession (art. 12 LLCA) en dénigrant la procureure.
L’avocat a fait recours contre cette sanction, mais sans succès. Le Tribunal fédéral a estimé que les critiques envers la procureure n’étaient pas dépourvues de fondement, mais qu’elles étaient exagérées, inutilement blessantes et polémiques et, de surcroît, contraires aux intérêts de son mandant (arrêt 2C_907/2017 du 13 mars 2018).
L’avocat lucernois se retrouve avec une facture de 2000 fr. de frais de justice, mais il n’en démord pas: «Un procureur doit avoir suivi des études de droit.» Pourtant, au niveau fédéral, aucune loi ne régit cette question. Mais qu’en est-il en droit cantonal? Plaidoyer a enquêté dans une dizaine de cantons alémaniques ainsi qu’en Suisse romande. A la lecture des textes de loi, les différences sont importantes.
Dans le canton de Lucerne, un diplôme de droit est requis, mais avec des exceptions. C’est aussi le cas à Soleure, à Saint-Gall ou encore à Bâle, qui admet des candidats «avec une formation équivalente ou au bénéfice d’une longue pratique dans la poursuite pénale.» Ainsi, un procureur de Bâle-Campagne est en fonction sans être au bénéfice d’un diplôme universitaire de droit.
Dans certains cantons, comme Glaris, Thurgovie et Appenzell (AI), la loi ne dit en revanche rien sur la formation des procureurs, mais ceux-ci sont généralement juristes, et même souvent avocats. En Thurgovie, quatre procureurs exercent toutefois sans être juristes.
A l’autre extrême, des lois cantonales exigent des formations juridiques complètes, sans exceptions possibles. C’est le cas, pour la Suisse alémanique, à Berne, à Schwyz et à Zoug.
En Suisse romande
En Suisse romande, les législations des cantons de Fribourg, du Jura et de Genève exigent aussi un diplôme en droit sans exception, et même, pour les deux derniers, un brevet d’avocat. Le Jura accepte aussi le brevet de notaire délivré par le canton, tandis que Genève demande, en plus du stage d’avocat, trois ans de pratique utile au poste. Vaud et Valais demandent aussi une formation juridique complète, mais un cursus équivalent est aussi admis. Quant au canton de Neuchâtel, la loi est muette sur la formation des procureurs, mais le brevet d’avocat est requis dans les faits.
En conclusion, certaines lois cantonales prévoient que des postes de procureurs puissent être exceptionnellement occupés par des non-juristes, mais c’est plutôt rare en pratique. La tendance est plutôt l’inverse: les magistrats ont de plus en plus de diplômes, et sont souvent titulaires d’un brevet d’avocat.
Trois casquettes
Le professeur zurichois de droit pénal, Frank Meyer, doute qu’un non-juriste puisse appliquer correctement les règles de droit: «J’ai de la peine à croire que, sans formation juridique, on puisse accomplir les tâches d’un procureur, qui comportent en particulier les fonctions d’enquête et de poursuite garanties par la Constitution.» Car le ministère public doit pouvoir assurer le respect des droits fondamentaux et de procédure, comme la présomption d’innocence. Le professeur se réfère à la problématique des nombreuses ordonnances pénales, qui sont rendues par un procureur seul, en dehors des tribunaux. «Dans la plupart des affaires pénales, le ministère public endosse à la fois le rôle de l’enquêteur, du responsable de la poursuite et du juge.»
Le Tribunal cantonal de Saint-Gall a vu les choses différemment, en reconnaissant à un collaborateur non-juriste la compétence d’exercer une fonction de procureur, dans les affaires peu complexes, avec une peine prévisible de six mois au plus (Arrêt AK.2018.75-AK du 26 avril 2018, non encore entré en force). Et, dans le canton de Thurgovie, le procureur général, Hans-Ruedi Graf, se verrait bien engager un magistrat avec un diplôme universitaire en économie pour prendre en charge des affaires de droit pénal économique ou de crime organisé.
Formation en criminologie
Dans le canton de Vaud, quelques procureurs sont issus de l’Ecole des sciences criminelles de l’Université de Lausanne, et non de l’Ecole de droit. Ils ne sont toutefois pas affectés à des affaires particulières, mais sont des magistrats à part entière, explique François Danthe, procureur général adjoint. Une formation en droit ne leur fait-elle pas défaut, dès lors qu’il s’agit d’émettre des propositions de jugement? Non, car ils ont pu suivre des cours de droit pénal à l’Ecole des sciences criminelles, précise François Danthe. Une section qui fait partie, au sein de l’Université de Lausanne, de la même faculté que l’Ecole de droit, et qui permet notamment de décrocher un master en droit en professions judiciaires.