Détention avant jugement - mesures de substitution (art. 237 CPP)
Les mesures de substitution, en particulier en matière de détention avant jugement, ne sont pas une nouveauté en procédure pénale. Toutefois, depuis le 1er janvier 2011, la liste des mesures de substitution s'est quelque peu étoffée, en particulier avec l'insertion de l'al. 3 de l'art. 237 CPP qui prévoit la possibilité de recourir à des moyens de surveillance technique.
Tout d'abord, les mesures de substitution poursuivent le même but que la détention avant jugement (art. 221 CPP), à savoir éviter tout risque de fuite (1), de collusion (2) et de récidive (3); seule l'intensité de la mesure diffère, qui est moins sévère que la détention en prison. Parmi la jurisprudence récente en la matière, soulignons que:
1) pour pouvoir retenir le risque de fuite, la gravité de l'acte n'est pas suffisante et d'autres conditions, telles que le caractère de l'intéressé, sa moralité, ses ressources, ses liens avec l'Etat qui le poursuit ainsi que ses contacts à l'étranger, doivent être prises en compte. Pour être réalisé, le risque de fuite ne doit pas seulement être possible mais également probable1. Toutefois, le Tribunal des mesures de contrainte (TMC) ne pourra ordonner une détention avant jugement sur la seule hypothèse qu'un risque de fuite vers l'étranger puisse se réaliser2;
2) s'agissant du risque de collusion, l'interdiction de se rendre dans un certain lieu (art. 237 al. 1 let. c CPP) peut correspondre soit à l'obligation de rester dans une certaine zone, soit à l'interdiction de pénétrer dans une zone délimitée. Dans le premier cas, c'est plutôt le risque de fuite qu'on évite, alors que, dans le deuxième, c'est le risque de collusion qu'on cherche à éviter3;
3) un pronostic très défavorable doit exister pour que le TMC puisse prononcer une détention, c'est-à-dire que la sécurité publique puisse être gravement atteinte par la vraisemblance de commettre de nouveau le même genre de crimes ou de délits graves4. Cette dernière affirmation doit cependant être nuancée, car, bien que l'art. 221 al. 1 let. c CPP contienne la formule «après avoir déjà commis des infractions du même genre», la menace de commettre des actes pénalement répréhensibles permet de retenir le risque de récidive au terme de l'art. 221 al. 2 CPP5. Il convient encore de souligner que cette menace peut résulter d'actes concluants6.
Ensuite, l'analyse par le TMC de l'application de mesures de substitution en lieu et place d'une détention avant jugement se fait à la lumière du principe de la proportionnalité. Refuser d'analyser de manière approfondie les propositions de mesures de substitution émises par le détenu viole ce principe. En effet, des mesures de substitution, telles que se présenter régulièrement au poste de police, travailler dans l'entreprise familiale et/ou le port du bracelet électronique, peuvent éviter le risque de fuite et ne peuvent être rejetées d'emblée, à savoir sans une analyse approfondie du cas d'espèce7. En effet, comme le souligne le TF, la surveillance électronique peut dans certains cas prévenir le risque de fuite et permettre une intervention rapide de la police en cas de non-respect de l'assignation à résidence par exemple. Par ailleurs, le TF a reconnu au bracelet électronique le caractère de mesure alternative à la détention extraditionnelle8. Néanmoins, le bracelet électronique ne peut être envisagé que si une assignation à résidence est au préalable ordonnée. En effet, il ne s'agit pas d'une mesure de substitution, mais plutôt de la méthode d'exécution d'une mesure de substitution (qui est l'assignation à résidence). Si les risques précités - fuite, collusion, récidive - ne peuvent être évités par la mesure (en l'occurrence l'assignation à résidence), alors la surveillance électronique ne pourra être prononcée9.
Enfin, l'utilisation du bracelet électronique en particulier - et d'appareils techniques en général (cf. art. 237 al. 3 CPP) - ne peut pas être balayée d'un revers de la main, sous prétexte que «ce type de matériel n'est actuellement pas disponible en Suisse»10. Or, une telle opinion, à savoir le refus d'octroyer le bracelet électronique sur la seule base de l'absence de matériel technique approprié dans le canton en question, s'oppose clairement à l'art. 237 al. 3 CPP, qui équivaut - selon le Message du Conseil fédéral11- à «la base légale nécessaire à la surveillance électronique dans le contexte de la procédure pénale». Par conséquent, peu importe que le service cantonal compétent, généralement le Service d'application des peines, ne soit pas équipé de bracelets électroniques, notamment en raison de la non-participation au projet pilote initié par le Conseil fédéral en 1999 pour l'exécution de peines privatives de liberté sous surveillance électronique, il a l'obligation de tout mettre en œuvre pour y remédier. Ainsi, un TMC doit pouvoir se prononcer en faveur d'une mesure de substitution avec appareils techniques, sans avoir à penser aux difficultés de mise en œuvre de la mesure. Il n'en demeure pas moins que, actuellement, cet alinéa 3 pose des problèmes bien concrets, étant donné que beaucoup de cantons - si ce n'est l'entier des cantons ne faisant pas partie du projet pilote susmentionné - n'ont toujours pas entrepris les démarches pour pallier ce défaut d'infrastructure12.
Droit de recours du Ministère public
A la simple lecture du CPP, il semblerait que le droit de recours du Ministère public soit parfois lacunaire, notamment en termes de voies de recours à sa disposition à l'encontre de décisions émanant du TMC.
L'analyse de cette question doit se faire en cascade. Tout d'abord, un recours n'est possible qu'à l'encontre d'une décision de dernière instance cantonale13. Ensuite, les décisions du TMC sont sujettes à recours selon l'art. 20 al.1 let. c CPP. Or, à la lecture de l'art. 222 CPP, seul le prévenu semble être autorisé à recourir devant la dernière instance cantonale contre une décision du TMC, en matière de détention avant jugement par exemple. Une telle négation d'un droit de recours du Ministère public en la matière pose des problèmes, en particulier d'unité de la procédure14.
Par ailleurs, selon l'art. 111 al. 1 LTF, «la qualité de partie à la procédure devant toute autorité cantonale précédente doit être reconnue à quiconque a qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral»15. Cette qualité est reconnue au Ministère public par le biais de l'art. 81 al. 1 let. a et b ch. 3 LTF; il convient de souligner que cette qualité n'est admise que si l'intérêt juridique à faire constater que la décision du TMC est contraire au droit fédéral est actuel16.
Par conséquent, la qualité pour recourir du Ministère public à l'encontre des décisions du TMC devant les instances cantonales supérieures doit être admise. Un des rôles du Ministère public est de poursuivre la procédure pénale jusqu'au bout et une telle lacune de la loi serait préjudiciable. C'est pourquoi «l'intérêt public à une bonne administration de la justice» implique la reconnaissance de ce droit de recourir17.
Ce droit de recours doit être mis en parallèle avec l'octroi ou non d'un effet suspensif lors d'un recours contre une décision du TMC portant sur la détention avant jugement, en particulier s'il s'agit de lever cette dernière. Le refus d'octroyer l'effet suspensif dans un recours contre la mise en liberté d'un prévenu a été considéré par le TF comme un préjudice irréparable au sens de l'art. 93 al. 1 let. a LTF. En effet, «la mise en liberté immédiate du prévenu peut rendre plus difficile ou entraver la poursuite de la procédure pénale, lorsqu'il existe un motif de détention particulier»18.
Par ailleurs, pour pouvoir exercer valablement son droit de recours, il ne suffit pas de reconnaître au Ministère public la qualité pour recourir. En effet, le prévenu doit être maintenu en détention «jusqu'à ce que l'instance de recours puisse rendre une décision (à titre superprovisoire) sur le maintien de la détention»19; l'effet suspensif peut être accordé - et, par conséquent, le maintien en détention du prévenu - «sans audition préalable du prévenu lorsque cette mesure est nécessaire à la sauvegarde du but de l'instruction»20.
En définitive, durant ce laps de temps, l'effet suspensif du recours équivaut à une composante de l'exercice de la qualité pour recourir du Ministère public21.
Droit d'accès au dossier
Bien que le droit d'être entendu reconnaisse, entre autres, au prévenu le droit d'être assisté d'un avocat dès les premiers actes d'instruction devant la police (avocat de la première heure) et de bénéficier par conséquent d'une défense effective, il n'en va pas de même pour l'accès au dossier.
Malgré le droit de consulter le dossier reconnu par l'art. 107 CPP, celui-ci n'est pas absolu. Premièrement, l'art. 101 al. 1 CPP précise que cet accès doit intervenir au plus tard après la première audition du prévenu et l'administration des preuves principales par le Ministère public, l'art. 108 CPP étant réservé.
Deuxièmement, il faut distinguer selon que le prévenu est en détention provisoire ou non. Dans le cas d'une détention provisoire, la situation est claire, l'accès à l'essentiel du dossier doit être transmis au prévenu et à son avocat s'ils en font la demande. En revanche, dans les autres cas, la situation paraît moins claire. Le Tribunal fédéral a tranché la question en soulignant que le législateur n'avait pas voulu reconnaître un droit d'accès au dossier dès le début de la procédure et que par conséquent, la consultation pouvait être restreinte dans les limites imposées par la loi. A contrario, cela signifie que la consultation du dossier est possible avant la première audition, mais que cela ne constitue en aucun cas un droit22. Par ailleurs, le Tribunal fédéral a souligné que cela n'entrave en rien le droit du prévenu d'avoir une défense effective, dans la mesure où ce dernier est libre de répondre ou non aux questions (droit de se taire) qui lui sont posées en vertu des art. 113 et 158 al. 1 let. b CPP. Dès lors, le prévenu ne subit aucun préjudice irréparable, et ce pour deux raisons: la première est qu'il a le droit de se taire et la deuxième est qu'il aura ensuite accès au dossier, malgré son silence lors de la première audition devant la police23.
En résumé, le droit de consulter le dossier est reconnu seulement au plus tôt après la première audition; préalablement, il ne s'agit que d'une possibilité que peut octroyer la direction de la procédure24.
Une réflexion similaire a été faite par le Tribunal fédéral dans un cas de refus d'autoriser la consultation du dossier par des personnes appelées à donner des renseignements. Selon l'art. 105 al. 1 let. d CPP, ces personnes sont des participants à la procédure. Pour acquérir le statut de parties, elles doivent être directement, immédiatement et personnellement atteintes dans leurs droits au sens de l'art. 105 al. 2 CPP25. Dans le cas d'espèce, les personnes appelées à donner des renseignements étaient uniquement convoquées à une audition; cela ne peut représenter une quelconque atteinte à leurs droits, étant donné qu'une telle convocation est inhérente à leur statut26. Dans tous les cas, même si la qualité de partie était reconnue, le droit de consulter le dossier est identique à celui du prévenu que nous avons relevé plus haut, à savoir qu'avant la première audition il ne s'agit que d'une possibilité et non d'un droit27
Qualité pour recourir de la partie plaignante
Avec la nouvelle procédure pénale, l'art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF a été quelque peu modifié, octroyant le droit à la partie plaignante de recourir «si la décision attaquée peut avoir des effets sur le jugement de ses prétentions civiles». Cette condition d'effet sur les conclusions civiles est identique à celle de l'ancien art. 81 al. 1 let. b ch. 5 LTF, la jurisprudence y relative demeurant pleinement applicable28. Par ailleurs, «ce droit de recourir suppose l'existence d'un intérêt actuel et pratique à obtenir l'annulation ou la modification de la décision attaquée»29.
Quant aux conclusions civiles, selon l'art. 123 al. 2 CPP, la partie plaignante doit les faire valoir au plus tard lors des plaidoiries. Toutefois, la partie plaignante a-t-elle toujours la qualité pour recourir devant le Tribunal fédéral contre une décision de refus d'ouvrir l'action pénale (par exemple une ordonnance de classement) si elle n'a pas déposé ses prétentions civiles?
Le Tribunal fédéral n'a pas nié la qualité pour recourir à la partie plaignante qui n'avait pas encore déposé ses conclusions civiles contre une décision de refus d'ouvrir l'action pénale, arguant que cela n'était pas nécessaire à ce stade. Toutefois, pour ne pas être déclaré irrecevable, le mémoire de la partie plaignante doit contenir les conclusions civiles qu'elle «entend faire valoir contre l'intimé à moins que, compte tenu notamment de la nature de l'infraction alléguée, l'on puisse déduire directement et sans ambiguïté quelles prétentions civiles pourraient être élevées et en quoi la décision attaquée pourrait influencer négativement leur jugement»30. En d'autres termes, trois éléments doivent figurer au mémoire de la partie plaignante pour que celui-ci puisse être déclaré recevable:
1) énoncer les prétentions civiles, 2) démontrer les effets qu'a la décision - le refus de poursuivre le prévenu - sur le jugement et
3) expliquer les raisons qui ont empêché la partie plaignante dans l'exercice de ses droits - en l'occurrence faire valoir ses prétentions civiles - lors de la procédure pénale31.
Un autre élément qu'il convient de souligner en faveur de la qualité pour recourir de la partie plaignante est la mise à sa charge des frais de justice32.
Ainsi, au vu de la jurisprudence précitée, la qualité pour recourir au Tribunal fédéral de la partie plaignante doit être reconnue même si celle-ci n'a, jusque-là, pas fait valoir ses prétentions civiles dans la procédure pénale; ces dernières doivent cependant figurer dans le mémoire de recours pour que celui-ci puisse être déclaré recevable.
1Arrêt du 03.08.2011, 1B_374/2011, consid. 3.1 et jurisprudence citée.
2Arrêt du 13.04.2011, 1B_148/2011, consid. 2.
3ATF 137 IV 122, consid. 6.2 et 6.4.
4ATF 137 IV 84, consid. 3.2.
5ATF 137 IV 13, consid. 3 et 4.
6Arrêt du 23.09.2011, 1B_440/2011, consid. 2.4.
7Arrêt du 07.06.2011, 1B_237/2011, consid. 7.2.
8ATF 136 IV 20, consid. 3.5.
9Arrêt du 21.09.2011, 1B_447/2011, consid. 3.3 et 3.4.
10Arrêt du 21.09.2011, 1B_447/2011, consid. 3.2 i.f.
11FF 2005 p. 1218.
12Arrêt du 21.09.2011, 1B_447/2011.
13Art. 80 al. 1 LTF; ATF 137 IV 22, consid. 1.1.
14ATF 137 IV 22, consid. 1.2; ATF 137 IV 87, consid. 3.1; ATF 137 IV 230, consid. 1.
15Cf. ég. ATF 137 IV 22, consid. 1.3; ATF 137 IV 87, consid. 3.1-3.2; ATF 137 IV 230, consid. 1.
16ATF 137 IV 87, consid. 1.
17ATF 137 IV 22, consid. 1.4.
18ATF 137 IV 237, consid. 1.1.
19ATF 137 IV 237, consid. 2.4.
20ATF 137 IV 230, consid. 2.2.1.
21ATF 137 IV 237, consid. 2.5; ATF 137 IV 230, consid. 2.3.
22Consid. 2.3.
23Consid. 2.4.
24ATF 137 IV 172; nous renvoyons également le lecteur à un article récent: Miriam Mazou, Avocat de la première heure: Quo vadis, in: Jusletter 13 février 2012.
25ATF 137 IV 280, consid. 2.1-2.2 et réf. citées.
26ATF 137 IV 280, consid. 2.1-2.2.2.
27ATF 137 IV 280, consid. 2.3, qui renvoie à l'ATF 137 IV 172.
28ATF 137 IV 246, consid. 1.3.1 et réf. citées.
29TF, arrêt du 15.08.2011, 1B_324/ 2011, consid. 3, qui renvoie à ATF 137 IV 87, consid. 1.
30TF, arrêt du 27.07.2011, 1B_185/ 2011, consid. 1.2.2 qui renvoie à ATF 127 IV 185 consid. 1a.
31TF, arrêt du 26.04.2011, 6B_973/ 2011, consid. 1.2.
32TF, arrêt du 14.06.2011, 1B_144/ 2011, consid. 1.1.