Dans les journaux ou sur internet, les annonces pour les postes de juristes sont nombreuses à mentionner que le «brevet d'avocat serait un atout» ou qu'il «est souhaité». Cet élément apparaît souvent aussi important qu'une autre expérience professionnelle, quand bien même le cahier des charges ne comprend pas de suivi des procédures judiciaires.
Nestlé a, par exemple, récemment cherché un juriste d'entreprise chargé de fournir une assistance aux différents départements et de s'occuper de négocier et de rédiger des contrats en spécifiant que le «brevet d'avocat serait un avantage». Pourquoi? «Une personne munie de ce titre a une plus grande connaissance des domaines juridiques, car les examens couronnant cette formation couvrent tous les domaines du droit, à l'issue d'une expérience professionnelle de deux ans permettant de développer une capacité de conseil aux clients», explique Philippe Oertlé, porte-parole de l'entreprise, qui précise toutefois que les juristes sans brevet sont également pris en considération lors du processus de sélection.
A la Bâloise assurances, on recherche des conseillers juridiques avec une expérience de plusieurs années dans la prévoyance professionnelle et l'assurance maladie et accidents, en ajoutant que «le brevet d'avocat est souhaitable». Pour la compagnie, cela signifie simplement que, à qualités égales, la préférence sera donnée à l'avocat.
Tribunaux
«Souhaité», le brevet d'avocat l'est aussi au Tribunal administratif fédéral, qui s'est mis en quête de plusieurs greffiers. A nos demandes d'explications, l'instance répond que ce titre n'est pas obligatoire et que les expériences professionnelles acquises «dans toute autre formation continue juridique» présentent la même valeur.
Toujours dans les milieux judiciaires, la première greffière du Tribunal cantonal vaudois, Marie-Pierre Chautard, estime de son côté que «le brevet d'avocat n'est pas directement utile pour exercer le métier de greffier et que l'on recherche avant tout un bon juriste avec d'excellentes capacités rédactionnelles». Et la première greffière de préciser que si les greffiers-avocats ont été longtemps mieux payés que les autres au Tribunal cantonal, ce n'est plus le cas aujourd'hui: «La dernière réforme des salaires a tenu compte du fait que le cahier des charges est identique et qu'une différence de traitement ne se justifie pas.»
Administrations
Dans les administrations, les avocats sont apparemment très recherchés. Sur le site internet de la Confédération, une bonne partie des offres d'emploi de juristes présentent le brevet comme un atout. A l'Office fédéral de la justice, on admet que ce titre est un plus, bien qu'il ne soit pas indispensable. Au Département de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS), on conteste donner la préférence aux avocats, une expérience professionnelle dans le domaine concerné étant prioritaire... cependant, le brevet représente un avantage lorsque le poste implique des relations avec des avocats à l'extérieur du service et avec le milieu judiciaire. Au final, il permet de départager deux candidats de qualités égales, admet le DDPS.
Un constat similaire est dressé à l'administration cantonale neuchâteloise, par le responsable du service juridique - et avocat - André Simon-Vermot: «Le brevet n'est pas une carte d'entrée, l'essentiel étant d'avoir une expérience du domaine concerné. Mais, à qualités égales, le titre peut faire la différence. Personnellement, je déplore cette situation, car qu'est-ce qu'un avocat qui ne pratique plus connaît de la procédure d'aujourd'hui?» Et le Neuchâtelois de conclure: «Pour moi, un avocat est celui qui plaide. On a dévoyé ce titre. La profession a tout à perdre dans cette évolution.»
Et que pense la profession de ce verdict sans appel? «Il est vrai que notre métier a connu de grands changements ces vingt dernières années, reconnaît Ivan Zender, bâtonnier de l'Ordre des avocats neuchâtelois. Un certain nombre de juristes acquièrent le brevet pour une question de reconnaissance, parce qu'il représente un plus sur le marché du travail (notamment dans la banque, les assurances et l'administration). Et non pas dans l'idée de pratiquer le barreau plus tard. Pourtant, on peut se demander si ces personnes ne feraient pas mieux de se spécialiser par un, voire plusieurs masters, dans leur domaine de prédilection.» Et Me Zender de lâcher qu'il a «un problème avec les avocats se prévalant de leur titre sans pratiquer le barreau, car ils ne sont pas des avocats à 100%. Cela est gênant vis-à-vis du public, qui ne fait pas forcément la différence avec l'avocat inscrit au barreau, soumis, lui, à une obligation d'indépendance ainsi qu'au secret professionnel.»
Exigences inchangées
A Genève, le bâtonnier de l'Ordre Vincent Spira estime, au contraire, que le titre d'avocat ne s'est pas dévalorisé: «Les exigences sont toujours les mêmes pour l'obtenir. Et si l'on met sur pied une école d'avocature dans notre canton, c'est seulement pour réorganiser la formation.»
Me Spira comprend que, sur le marché du travail, les employeurs soient intéressés par le contact avec la pratique que peut assurer la formation d'avocat: «De plus, le titre donne peut-être une certaine crédibilité au service juridique d'une société. Mais il est clair que sa valeur n'est pas la même si son détenteur n'a qu'une brève expérience ou s'il n'a pas exercé l'activité d'avocat depuis longtemps.»
Contrairement à d'autres pays, la formation continue n'est pas obligatoire en Suisse pour la profession. «Nous n'en sommes pas arrivés là, car les avocats suivent volontiers les cours proposés par le barreau. Mais peut-être y viendra-t-on un jour...» admet le bâtonnier de l'Ordre des avocats genevois.