Le Conseil fédéral projette d’introduire le bracelet électronique dans le Code pénal (CP), soit de l’étendre à toute la Suisse. Cette mesure sera proposée aux Chambres fédérales dès cet été, lors de l’examen de la révision de la partie générale du CP. Jusqu’alors, il n’avait été introduit qu’à titre d’essai pilote dans les cantons de Berne, Bâle-Ville, Bâle-Campagne, du Tessin, de Soleure et, en Suisse romande, de Vaud et Genève. Les doutes l’avaient longtemps emporté: les autorisations ont été prolongées cinq fois, la dernière prolongation ne valant que jusqu’à l’instauration du bracelet dans la loi, mais, au plus tard, jusqu’en 2015.
Projet pas limité
Selon le projet, la surveillance électronique constituera une forme d’exécution des courtes peines privatives de liberté et une phase finale de l’exécution des peines privatives de liberté de longue durée. Alors que l’avant-projet restreignait son utilisation à l’exécution des peines privatives de liberté de six mois au plus, la limite est portée à douze mois dans le projet de l’exécutif. En effet, certains participants à la consultation ont remarqué qu’il fallait plus de temps pour que puissent se déployer les effets de cette forme d’exécution des peines1.
La surveillance électronique reste une forme de l’exécution de sanction relevant non des tribunaux, mais des autorités cantonales d’exécution des peines. Si le Conseil fédéral, dans une réponse à une interpellation parlementaire, relevait que «les essais de surveillance électronique sont destinés aux condamnés ne présentant aucun risque de fuite ou de récidive»2, l’évaluation concrète de son adéquation dans un cas concret revient aux autorités cantonales. Le projet du Conseil fédéral n’exclut pas, par principe, l’accès au bracelet électronique de certains condamnés à de longues peines, au seul vu des actes qu’ils ont commis. Seul le canton de Vaud, à la suite de l’affaire Claude D., a donné des instructions pour que les délinquants sexuels qui ont porté atteinte à la vie et sont condamnés à de lourdes peines ne bénéficient plus d’arrêts domiciliaires sous cette forme, mais la conseillère d’Etat Béatrice Métraux sait que cette décision n’est pas à l’abri d’une contestation en justice. La possibilité d’une réinsertion dépend en effet de l’évolution individuelle du condamné et non de la sanction qu’il doit subir. Pour modifier cet état de fait, la Commission des affaires juridiques du Conseil national pourrait décider de préciser les cas dans lesquels le bracelet n’est pas autorisé, comme c’est le cas en Angleterre.
Evaluation manquante
«La position du Conseil fédéral serait bien plus solide si l’on avait examiné les effets du bracelet électronique en fin de longue peine comparé à la libération conditionnelle classique, sans entrave, au travail d’intérêt général et au maintien en détention pour une durée de six mois. Avec l’aval des intéressés, on aurait pu former aléatoirement trois groupes dont l’évolution aurait pu être comparée. Seule une telle évaluation aurait permis d’avoir des résultats concluants, mais elle n’a jamais eu lieu. Personne n’accepterait qu’un géant pharmaceutique mette sur le marché des médicaments qui n’ont pas été testés sans essai expérimental; or cela se fait régulièrement dans le domaine des sanctions», critique le professeur Martin Killias. Il est l’auteur d’une étude comparative portant sur 240 détenus placés par le sort soit sous travail d’intérêt général, soit sous bracelet électronique pour les courtes peines jusqu’à trois mois3. Elle avait démontré que les détenus sous bracelet électronique connaissaient moins de récidive et évoluaient plus favorablement sur le plan du travail, de la vie privée et de leur situation financière. «Si les effets étaient donc très positifs pour les courtes peines, et cela même après dix ans, on peut très bien imaginer que les effets ne soient pas les mêmes pour de longues peines», commente Martin Killias.
Les avis des cantons sur l’utilisation du bracelet en fin de peines de longue durée ont été recueillis dans un rapport de l’Office fédéral de la justice4. Les expériences faites étaient contrastées; Genève n’avait ainsi jamais utilisé la surveillance électronique dans le cadre des allégements de régime en fin de longue peine. Le Tessin relevait que la surveillance électronique avait de bonnes chances de réussite chez les condamnés passant leurs journées de congé en famille. En outre, plusieurs cantons prévoyaient des visites à domicile hebdomadaires, permettant de contrôler la réinsertion du condamné dans son futur environnement. Cependant, ces avis ne constituaient, en aucun cas, le résultat d’une recherche expérimentale, seule apte à renseigner sur la question.
«Pas éthique»
«Il est difficile de faire une telle étude comparative en fin de longue peine, car cela signifie qu’on priverait certains détenus de certaines possibilités de réinsertion, du fait de leur affectation à un groupe donné. Cela ne serait pas éthique», estime Dominik Lehner, directeur de l’exécution des peines de Bâle-Ville et spécialiste du bracelet5. Le Conseil de l’Europe lui-même ne dispose pas d’une étude comparative à ce sujet; en revanche, cette instance signale qu’un des grands risques au terme de longues peines est d’utiliser cette solution «pour des détenus pour lesquels elle ne devrait pas être choisie, ce qui a été le cas de Claude D.», poursuit-il.
Il rejoint le professeur Killias sur un autre point: «Le juge d’application des peines ne devrait pas pouvoir prononcer d’effet suspensif en cas de recours contre une décision de l’exécution des peines. J’ai fait la proposition de modifier en ce sens la loi cantonale d’organisation judiciaire de Bâle-Ville. En effet, ce juge ne se prononce que sur la base d’un examen sommaire, là où l’exécution des peines prend sa décision au terme d’un débat approfondi comprenant l’avis d’experts. Ce n’est pas satisfaisant.» «Il faudrait soit supprimer le droit de recours contre les décisions de l’exécution des peines, soit limiter le contrôle du juge à la question de l’arbitraire», estime pour sa part Martin Killias.
Le professeur honoraire de la Faculté de droit de Genève Christian-Nils Robert ne pense de son côté pas qu’il faille exclure du bracelet certains types de délinquants: «Qu’entend-on par un délinquant qui commet des actes de violence? C’est totalement imprécis». Il dit craindre que le fait divers concernant Claude D. n’influence à tort l’opinion publique «sur une mesure indispensable dont nous attendons depuis 15 ans l’introduction dans le code pénal et qui serait aussi nécessaire en préventive. Il est urgent que l’on trouve une mesure de substitution à la privation de liberté, y compris avant jugement.»
Christian-Nils Robert n’est «pas favorable à ce que l’on continue à poser la question de la dangerosité aux psychiatres» pénitentiaires: «ils ne sont pas des voyants et devraient refuser de répondre. Il faudrait, en lieu et place, une autorité pluridisciplinaire qui puisse discuter des aspects juridiques et psychiatriques, avec des médecins psychiatres ayant une formation complémentaire en criminologie. De telles formations nouvelles sont nécessaires.»
1Message relatif à la modification du Code pénal (Réforme du droit des sanctions) du 4 avril 2012, 12.046, p. 4403.
2Réponse du Conseil fédéral du 16.11.2011 à l’interpellation Viola Amherd 11.3861.
3Community service versus electronic monitoring – what works better?, Martin KILLIAS, Gwladys GILLIéRON et alii, in British Journal of Criminology Advance Access, 2010, pp. 1 à 16. Il s’agit de l’une des seules expérimentations proprement dites de ce sujet au niveau mondial.
4Expériences faites en matière de surveillance électronique des détenus depuis l’entrée en vigueur de la nouvelle PG-CP (2007-2008), synthèse des résultats de l’évaluation menée dans les cantons de BE, SO, BS, BL, TI, VD et GE, 4 août 2009.
5A cet argument, Martin Killias rétorque en l’absence d’une expérimentation, nul ne saurait dire si la réinsertion sera facilitée par le bracelet.