1. Situation de base et problématique
1.1 Réglementation légale du devoir de payer le salaire en cas de maladie
L'art. 324a CO prévoit de manière relativement impérative que «si le travailleur est empêché de travailler sans faute de sa part pour des causes inhérentes à sa personne, telles que maladie, accident» etc., l'employeur reste tenu de lui verser le salaire pour un temps limité, dans la mesure où les rapports de travail ont duré plus de trois mois ou ont été conclus pour plus de trois mois2 (art. 324a I CO). L'alinéa 2 de cette disposition limite toutefois fortement cette prétention à trois semaines pendant la première année de service et «ensuite (...) pour une période plus longue fixée équitablement» qui dépend de la durée des rapports de travail.
Cette «période plus longue fixée équitablement» a été déterminée diversement dans la jurisprudence. Trois échelles ont été établies, qui sont devenues la règle dans les diverses régions du pays: durant la seconde année de service, le devoir de payer le salaire dure ainsi un mois d'après l'échelle bernoise, huit semaines selon l'échelle zurichoise, voire même deux mois selon l'échelle bâloise. La durée de l'obligation de payer le salaire augmente avec les années de service. Le salaire total est dû depuis le début de l'empêchement de travailler. S'il y a plusieurs empêchements successifs au cours d'une année de service, ils sont additionnés pour calculer l'étendue des droits du travailleur3.
1.2. Réglementations s'écartant du régime légal
Comme le régime légal est relativement impératif, il peut être amélioré au bénéfice du travailleur sans qu'il soit besoin d'observer une forme précise4. L'art. 324a IV CO prévoit ainsi qu'un accord écrit, un contrat-type de travail ou une convention collective peut déroger aux présentes dispositions «à condition d'accorder au travailleur des prestations au moins équivalentes».
Alors que la protection de la perte de salaire en cas d'accident est réglée très confortablement pour la majeure partie des travailleurs en Suisse, par le biais de l'assurance accidents et de l'art. 324b CO, il manque une protection d'assurance adaptée lors d'incapacité de travailler due à la maladie.
C'est pourquoi une telle protection est souvent convenue dans le cadre de réglementations s'écartant du régime légal sous la forme d'une assurance collective d'indemnités journalières, conclue par l'employeur. C'est justement dans les conventions collectives de travail que de tels accords connaissent une longue tradition. La plus longue durée de l'obligation de payer le salaire est alors souvent compensée en mettant un délai de carence et des prestations réduites à charge du travailleur. Dans la règle, le paiement des primes d'assurance est paritaire.
1.3 Pas de participation symétrique au paiement des primes
De nombreuses conventions collectives de travail prévoient que l'employeur doit conclure une assurance d'indemnités journalières en cas de maladie qui garantit un certain niveau de prestations vis-à-vis de ses employés et qu'il peut déduire du salaire la moitié des primes s'y rapportant. En outre, plusieurs contrats collectifs de travail comprennent, depuis des années, la possibilité de prévoir un délai de carence, qui peut varier entre 30 jours et (exceptionnellement) 180 jours.
Certaines conventions collectives prévoient que l'employeur peut cependant facturer la moitié de la prime qui résulterait d'un délai de carence plus réduit (en règle générale d'un à trois jours, selon la convention collective en cause)5. Les primes effectives ne sont ainsi plus supportées paritairement, mais de façon asymétrique, en ce que les travailleurs en assument une plus grande part que l'employeur. A titre de motif justificatif, on invoque le fait que l'employeur doit supporter en définitive la totalité du risque pour la durée du délai de carence. Il faut rechercher si cette affirmation est exacte, si elle justifie la prise en charge inégale des primes et, si tel est le cas, dans quelle mesure.
2. Ampleur de l'asymétrie
Les origines des réglementations dont il est question dans les conventions collectives de travail ne sont plus claires. Elles doivent s'être perpétuées depuis des décennies sans qu'on s'interroge sur leurs conséquences concrètes. Certaines formulations démontrent qu'elles datent d'un temps où les barèmes des assurances d'indemnités journalières étaient contrôlés par l'Etat et publiquement accessibles. Ainsi plusieurs conventions collectives prévoient-elles que l'entreprise doit justifier le besoin de la prime correspondante «au moyen de la structure tarifaire officielle» (tableau de tarifs de l'assureur) (art. 64 II lit. b de la convention nationale du secteur principal de la construction en Suisse; art. 46.6 de la convention collective de travail dans la branche suisse de toitures et façades). Les modifications très importantes entrées en vigueur depuis 1996 sur le marché des assurances d'indemnités journalières n'ont pas été prises en compte, en particulier la disparition du contrôle préventif des barèmes dans le cas d'une assurance collective6.
Les proportions effectives de prise en charge des primes ne sont pas faciles à établir, dès lors que toutes les assurances d'indemnités journalières considèrent que la fixation de leurs primes fait partie des informations confidentielles et ne sont pas prêtes à informer des bases de calcul utilisées à cet effet. De surcroît, les contrats individuels présentent de petites différences relatives aux prestations, au remboursement des primes, à la facturation des prestations de tiers, aux rabais, etc., ce qui complique encore la comparaison.
L'évaluation des offres reçues pour une assurance d'indemnités journalières d'une entreprise de construction suisse comptant dix collaborateurs à la production, tout comme les informations issues de plusieurs procédures, montrent que les primes offertes sur le marché présentent d'importantes disparités. Ainsi, les primes pour une assurance dès le 31e jour (durée des prestations constante de 730 jours et niveau des prestations de 80% du salaire) varient entre 0,880 et 5,847% du salaire, le plus grand nombre se situant à 2% du salaire.
En cas de délai de carence de deux jours, la marge se situe entre 4,85 et 6,95% du salaire. L'assurance la plus chère n'a pas fait de proposition pour cette variante. Dans le cas d'un seul jour de carence, on doit d'après une offre existante compter sur 9,4% du salaire et, selon une estimation fondée sur des valeurs relevées antérieurement, de plus de 9% du salaire. Avec un délai de carence de deux jours, la moitié de la prime est donc, dans la règle, plus de deux fois plus élevée que la prime prévoyant des prestations dès le 31e jour.
D'autres indications sur la progressivité des primes dans les différents cas de délais de carence sont aussi données par l'«échelle de rabais pour indemnité journalière différée» des signataires de la CCT Location de services 2012-2014. Elle montre que, dans le cas d'un délai de carence de 30 jours, le rabais est de plus du quart de la prime prévue dans le cas d'un délai de carence de deux jours. La constatation faite sur la base de différentes offres se confirme donc. Cette échelle a été établie sur la base des valeurs relevées antérieurement par les sociétés d'assurance qui font partie de Tempcare, le Fonds social de la CCT du secteur de la location de services. Détail piquant: cette échelle n'existait pas encore lorsque le Conseil fédéral a déclaré l'extension du champ d'application de la CCT du travail temporaire et ne fait pas partie des textes applicables obligatoirement à toutes les entreprises du secteur. Cette décision a toutefois été prise dans l'idée erronée que l'échelle n'aurait pas d'effet normatif (lire la décision du Conseil fédéral du 13 décembre 2011, p. 28).
On peut donc considérer qu'est établi le fait que les travailleurs paient entièrement eux-mêmes la protection d'assurance d'indemnités journalières, lorsque le délai de carence s'élève à 14 jours ou à davantage et qu'on met à leur charge la moitié des primes lors d'un délai de carence de deux jours.
Ces proportions sont encore plus flagrantes lorsque la prime de comparaison concerne un délai de carence d'un seul jour. Normalement les travailleurs doivent fournir, en cas de stricte application des tarifs prévus par la CCT même une contribution supplémentaire directement à l'employeur, dans le cas de la CCT du secteur de la location de services presque équivalente à la prime effective totale. Au maximum, la prise en charge des primes est cependant limitée à 3% du salaire la première année contractuelle, puis au maximum à 2,5% (art. 29.2 de la CCT du secteur de la location de services), ce qui devrait atténuer les répercussions de cette réglementation.
3. Doctrine et jurisprudence
3.1 Ouvrages de référence et arrêts des tribunaux
On reconnaît aujourd'hui généralement qu'une assurance d'indemnités journalières qui est financée par moitié par l'employeur et le travailleur et verse durant 720 jours sur 900 jours le 80% du salaire est équivalente au devoir légal de payer le salaire en cas de maladie7. Le nombre des jours de carence admissible est discuté, mais le délai de carence en lui-même ne fait pas l'objet de discussions.
Un bref survol de la doctrine s'y rapportant montre que la jurisprudence, de toute évidence, ne s'est jamais occupée de questionner concrètement le paiement asymétrique des primes d'assurance, lorsqu'elles dépassent même la part revenant au travailleur. Alors que le commentaire de Streiff/von Kaenel/Rudolph n'exclut pas une participation de l'employeur au paiement de la prime «qui peut aussi être inférieure à 50%», sans pour autant énoncer un minimum, Philippe Carruzzo se prononce clairement en défaveur de telles solutions8. Tous les autres débats portent en revanche sur le niveau concret des prestations ou le nombre admissible des jours de carence.
3.2. Pratique du Conseil fédéral en matière de conventions collectives
Les dispositions prévoyant une prise en charge asymétrique des primes d'assurance n'ont jusqu'ici pas été déclarées de force obligatoire par le Conseil fédéral9. Le motif est que le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) a, en tant qu'instance d'examen compétente, refusé les déductions salariales à charge du travailleur sur la base de primes fictives comme étant contraires à la loi.
De même, on met en doute ouvertement l'existence d'une équivalence des prestations exigée par la loi ce qui, nous le démontrerons, est plus que fondé.
4. Examen de l'équivalence des prestations
4.1. Exemple de calcul tiré de la pratique
Les développements suivants seront tirés de règles typiques telles celles de la convention collective de travail pour les échafaudeurs suisses 2012-2015. L'art. 17 de cette convention, relatif à l'assurance d'indemnités journalières en cas de maladie prévoit (en résumé) ce qui suit:
I. Paiement du salaire par une assurance collective
L'employeur est tenu d'assurer collectivement les travailleurs assujettis à la présente convention pour une indemnité journalière de 80% du salaire perdu pour cause de maladie (...). Le premier jour de maladie est réputé jour de carence et n'est pas indemnisé. (...)
Avec les indemnités journalières de l'assurance, l'obligation faite à l'employeur de payer le salaire au sens de l'article 324a du CO est entièrement compensée.
II. Primes
a) Prise en charge des primes
Les primes de l'assurance collective d'indemnités journalières sont payées, par moitié chacun, par l'employeur et le travailleur
b) Paiement différé des indemnités journalières.
Si un employeur conclut une assurance collective d'indemnités journalières avec une prestation différée de 30 jours au maximum et un jour de carence en cas de maladie, [il] doit payer (lui-même), pendant le temps différé, 80% du salaire perdu du fait de la maladie. Dans ce cas, le travailleur doit également payer la moitié de la prime qui serait nécessaire pour couvrir 80% du dernier salaire payé dès le 2e jour. L'employeur doit justifier le besoin de la prime correspondante au moyen de la structure tarifaire officielle (tableau de tarifs de l'assureur).
Le travailleur doit donc, dans chaque cas de maladie, tolérer un jour de carence non payé et reçoit ensuite 80% de son salaire. Il doit aussi payer la moitié des primes pour être couvert dès le deuxième jour lorsque la police d'assurance prévoit, par exemple, un report des prestations de 30 jours. Cela signifie que l'employeur garde à sa charge un montant équivalent. Cette réglementation doit être maintenant comparée avec les prestations prévues par la loi.
4.2 Manière de procéder lors de l'examen de l'équivalence des prestations
Afin de trancher la question de savoir ce qui peut être une prestation équivalente à ce que la loi prévoit, il faut préalablement identifier la valeur de la solution légale. Il est alors possible de la comparer à la valeur de la solution prévue par accord écrit, contrat-type de travail ou CCT. Il faut comparer «les prestations attendues selon l'assurance d'indemnités journalières, dans la mesure où elles ont été financées par l'employeur, avec les prestations en cas de maladie fixées par la loi»10. Que cette comparaison doive être possible au moment de la conclusion de l'accord (en règle générale du contrat de travail) implique qu'elle ne peut pas être effectuée dans un cas concret, mais doit être fixée sur la base d'estimations portant sur des événements futurs11.
On ne peut cependant en arriver à examiner la situation individuelle de chaque travailleur12. Dans le cas contraire il serait presque impossible de trouver des règles adéquates dans des conventions collectives, qui doivent, par nature, couvrir un nombre considérable de rapports de travail très différents. Même les possibilités de variations des conventions collectives expressément prévues par la loi suggèrent qu'il faut à chaque fois partir de «situations moyennes». Les évaluations statistiques sont donc déterminantes.
En revanche, il faut considérer la situation du travailleur à titre individuel, et non l'ensemble de l'effectif du personnel d'une entreprise13. Il serait en effet difficile de comprendre que le travailleur individuel doive renoncer aux droits que la loi lui accorde pour le seul motif que d'autres employés de l'entreprise en profitent de manière excessive.
Dans la doctrine, l'idée émerge de fixer la valeur des prestations à l'aide du montant des primes de l'assurance correspondante. Cette proposition a été refusée avec raison14. En effet les primes de l'assurance ne financent pas seulement les prestations, mais aussi les dépenses administratives nécessaires. Celles-ci augmentent cependant de manière disproportionnée dans le cas d'un délai de carence réduit voire même inexistant, parce que le nombre des cas de maladie à traiter augmente exponentiellement. Au regard des différences importantes parmi les offres des assurances, on devrait aussi préalablement trouver une commission neutre pour le calcul de telles primes.
4.3. Absences en cas de maladie des travailleurs
Les bases statistiques permettant d'identifier l'équivalence des prestations sont en Suisse bien peu abondantes15. Si déjà les données sur les cas d'absences pour maladie ou accidents ne courent pas les rues et, à défaut de ventilation d'après le nombre d'années de service, sont peu significatives, il manque manifestement totalement de relevés sur les absences acquittées pour d'autres raisons mentionnées à l'art. 324a CO (telles que, par exemple, accomplissement d'une obligation légale ou d'une fonction publique). On doit toutefois cependant oser l'estimation selon laquelle leur effet sur la comparaison est, en termes statistiques, marginal.
Des recherches intensives ont finalement mis à jour un tableau un peu rudimentaire dans le Rapport national sur la santé 2008 paru dans les Cahiers de l'Observatoire suisse de la santé, à la page 118. Cette information affirme que la durée moyenne d'absence des travailleurs pour maladie en Suisse est de 21 jours par an. La valeur moyenne (appelée aussi «médiane») n'est toutefois que de sept jours. Cela signifie que la moitié de toutes les absences atteignent au maximum une durée de 7 jours, alors que l'autre moitié a une durée plus longue et - comme la moyenne le suggère - dure en partie aussi très longtemps.
Une autre statistique portant sur la répartition de la durée des absences peut être trouvée dans les documents de la caisse maladie allemande DAK (anciennement Caisse des employés allemands). Cette statistique repose sur les données de 2,6 millions d'assurés, ce qui lui donne une haute représentativité (rapport sur la santé 2011 DAK, p. 11). S'agissant de la fréquence des absences, il en résulte que plus de 93% de toutes les absences durent au maximum 28 jours, seul un petit nombre dépassant cette durée. C'est pourtant le solde de ces cas qui constitue en revanche la moitié de tous les jours d'absence.
Même si la statistique suisse semble montrer que la fréquence des maladies et leur durée est un peu plus faible que ce qu'elle est en Europe, cette répartition devrait se maintenir à l'avenir également dans notre pays.
4.4. Evaluation de l'équivalence
Sur la base des données quelque peu rudimentaires susmentionnées, on peut cependant décrire en un graphique comment la solution typiquement choisie dans les conventions collectives de travail se situe par rapport au devoir de payer le salaire en cas de maladie, tel que prévu par la loi. On partira de la situation de départ décrite précédemment, soit un jour de carence non payé, 30 jours de délai de carence s'agissant de la couverture d'assurance et un devoir de verser 80% du salaire.
Le résultat est que les travailleurs, dans presque tous les cas de figure de la variante prévue par la CCT, reçoivent de plus faibles prestations de leur employeur que ce qui serait prévu par la loi. Il faut faire une exception pour les trois premiers mois, durant lesquels la loi ne prévoit aucune prestation.
Comme l'employeur doit, selon l'art. 324a II CO, déjà payer le salaire entier durant 21 jours lors de la première année de service, les prestations prévues par la CCT ne dépassent cette mesure qu'à partir d'une durée de maladie de 27,25 jours (21 : 0,8 + 1 jour de carence). De tels cas se produisent toutefois très rarement. Comme on l'a mentionné, ils ne représentent au total que moins de 7% des cas.
L'amélioration de la situation des travailleurs se limite donc, au plus, au revenu de trois jours pleins (30 jours à 80% = 24 salaires journaliers contre 21 jours à 100%). Car, par la suite, les assurances d'indemnités journalières entrent en jeu. Ce sont les travailleurs qui en ont totalement acquitté les primes, comme démontré ci-dessus. En outre, les employés profitent également durant les trois premiers mois d'embauche de la solution prévue par la CCT, puisque la loi ne prévoit, dans ce cas de figure, aucun devoir de payer le salaire. Mais également dans ce cas de figure, dès le 31e jour ce sont les prestations d'assurance financées par les employés qui entrent en jeu.
A partir de la deuxième année de service, le travailleur a droit, selon la loi, à son salaire en cas de maladie pour un mois entier (échelle bernoise), et parfois même davantage, soit 8 huit semaines (échelle zurichoise) ou deux mois (échelle bâloise). Selon la solution mise en place par la CCT, il reçoit toujours moins: un jour de carence reste impayé et, ensuite, seul 80% du salaire est versé. A partir du 31e jour, les prestations de l'assurance entrent en jeu, dont l'employé a lui-même payé les primes.
Le déséquilibre entre la solution prévue par la loi et celle de la CCT avec des indemnités reportées est encore plus flagrant si l'on prend en compte les absences pour maladie de courte durée (jusqu'à 21 jours). Elles représentent, selon les statistiques, certainement plus de 85% de tous les cas d'absence. Si un travailleur est malade trois fois durant sept jours pendant la première année de service, il ne subit, d'après la loi, normalement aucune perte de salaire. Selon la solution de la CCT, il doit supporter au total trois jours de carence sans salaire et reçoit durant 18 autres jours seulement un traitement réduit à 80% du salaire.
4.5 Résumé de la comparaison des prestations
De manière générale, on constate que le travailleur est plus mal placé s'il est au bénéfice d'une CCT que si la loi s'applique, à l'exception des trois premiers mois des rapports de service et de cas particuliers durant la première année. Ce désavantage n'est compensé aucunement par une contre-prestation particulière de l'employeur, puisque le travailleur paie en totalité la protection d'assurance dès le 31e jour d'absence pour maladie.
La solution de la CCT représente donc une amélioration de la situation du travailleur dans une très faible part de tous les cas de maladie et toutefois pour une durée très restreinte (maximum trois jours), alors que, dans tous les autres cas, les prestations que le travailleur n'a pas lui-même totalement financées sont justement, lors de maladies de courte durée, nettement inférieures à ce que prévoit la loi. En résumé, on peut constater que les travailleurs sont désavantagés par rapport à la solution légale lorsqu'ils paient eux-mêmes la prime d'indemnités journalières et que les prestations sont réduites durant le délai de carence, soit du fait de jours de carence non payés, d'indemnités salariales réduites ou d'une combinaison des deux. Ce constat reste en majorité le même durant la seconde année de service. L'employeur profite, en revanche, d'être libéré de tous les risques en cas de maladie de longue durée.
C'est pourquoi on a peine à voir pourquoi la CCT représenterait un avantage par rapport à la loi, simplement parce que, en choisissant un modèle d'assurance avec un à deux jours de carence, des retenues de salaire de même ampleur seraient dues. Il n'en reste pas moins que le travailleur paie, dans ce cas, des primes égales à celles de l'employeur, afin que l'assurance couvre tous les risques de maladie, et finance les prestations de longue durée par moitié.
La jurisprudence mentionne que le financement des prestations de longue durée en cas de maladie était en priorité le motif justifiant que le paiement du salaire puisse être réduit dans le cas d'absences de courte durée, que ce soit par l'instauration de jours de carence ou d'un pourcentage réduit du salaire. C'est sur ce raisonnement que repose aussi l'arrêt de principe ATF 96 II 133. Il mentionne que, seules, des prestations de longue durée allant au-delà de ce que prévoit la loi peuvent justifier une participation du travailleur au paiement des primes.
S'agissant des risques assurés, il convient de relever que les plus importantes différences de primes sont dues au fait que, lors de délais de carence très courts, un nombre beaucoup plus important de sinistres doivent être traités, et impliquent donc un travail administratif disproportionné. Le prix plus élevé à payer dans ce cas ne traduit ainsi pas une amélioration correspondante de la situation des travailleurs intéressés.
4.6 Retenues salariales en faveur de l'employeur
Le déséquilibre devient d'autant plus flagrant lorsque les employés s'acquittent encore d'une prime supplémentaire à l'employeur, aux fins de recevoir seulement des prestations réduites au regard de ce que prévoit la loi. Cette prime peut atteindre sans autre 3% du salaire ou davantage.
Comme l'employeur ne finance pratiquement aucun risque supplémentaire au moyen de cette prime, mais au contraire, dans la grande majorité des cas, ne doit verser qu'un salaire réduit et est totalement libéré dans le cas de risques importants, il n'existe économiquement aucune justification à cette réduction salariale. Elle ne pourrait s'expliquer qu'en raison de la solidarité unissant des travailleurs engagés de longue date envers ceux qui sont absents durant les trois premiers mois d'engagement et dans d'autres rares cas durant la première année de service. On ne comprendrait en effet pas que le droit suisse du travail en vienne à ne pas récompenser la fidélité à l'entreprise, mais à la sanctionner au moyen de retenues salariales conséquentes.
Il n'est pas admissible que ces ressources tombent de manière incontrôlée dans la poche de l'employeur et qu'on ne puisse garantir à aucun moment leur utilisation ciblée. Des réserves spéciales dans la comptabilité, afin de couvrir de futurs cas d'absence de courte durée ne sont en général pas admises et les prélèvements sur le salaire inutilisés finissent dans les poches de l'employeur.
D'un autre côté, il n'existe aucune garantie que, en cas de besoin, l'employeur dispose encore effectivement de ces moyens. Les cas de maladie, en particulier dans les petites entreprises, sont parfois imprévisibles, et la Suisse est composée en majorité de petites et moyennes entreprises ayant moins de 30 employés. La durée de vie des entreprises elle-même est réduite. Dans le domaine du bâtiment, quelque 15% des entreprises disparaissent chaque année après une faillite ou une liquidation. On ne peut donc comparer la situation des retenues salariales faites par l'employeur au paiement à une société d'assurances qui serait contrôlée par l'Etat, au bénéfice d'une concession.
L'art. 323b CO semble aussi exiger qu'une retenue salariale ne soit permise que dans la mesure où elle est effectivement utilisée au paiement de la prime d'assurance.
5. Conclusion et recommandations
- Les observations statistiques démontrent que, par rapport à la solution légale, les travailleurs sont toujours plus mal traités lorsque s'appliquent des solutions conventionnelles prévoyant qu'ils paient entièrement les prestations d'assurance et quand le contrat ne prévoit pas le paiement de l'entier du salaire et l'absence de jour de carence en cas de maladie.
Une exception à ce constat n'existe que dans les trois premiers mois de service et (dans une mesure restreinte) au cours de la première année de service16.
- De telles solutions réduisent en revanche les prestations et avant tout, de manière sensible, les risques incombant à l'employeur.
- Comme l'employeur ne délivre aucune prestation supplémentaire, il ne se justifie pas non plus de verser une prime en sa faveur.
- Un tel versement, dont l'affectation n'est en outre pas assurée, ne constitue qu'une retenue non justifiée sur le salaire, qui est d'autant plus importante que la prime d'assurance d'indemnités journalières (entièrement payée par les travailleurs) l'est également.
- Hormis le cas de la CCT Location de services, il n'existe pas de bases de calcul fiables permettant de déterminer cette retenue. Les abus sont donc programmés.
- Il est donc prouvé que les participations asymétriques au paiement des primes ne sont certainement plus équivalentes à la solution légale prévue à l'art. 324a CO lorsque la participation des travailleurs atteint le montant de la prime effective et certainement pas lorsqu'elle le dépasse.
- On ne peut déduire de la loi que la comparaison ne doit pas se faire avec les prestations légales telles que calculées par l'application des échelles selon la jurisprudence, mais avec d'autres systèmes. Le Tribunal fédéral a, au contraire, constaté d'emblée que la solution contractuelle assure au travailleur les mêmes prestations que celles prévues par la loi17.
- En pratique, la solution la plus répandue consistant à partager par moitié la prime effectivement payée sans avoir égard au délai de carence concret apparaît comme la plus conforme à la loi.
(Adaptation française Sylvie Fischer)
1Traduction légèrement réduite de l'article paru dans Plädoyer 3/13, pp. 29 ss.
2A propos de la signification exacte de ce délai de trois mois, lire ATF 131 III 639.
3STREIFF Ullin, VON KAENEL Adrian, RUDOLPH Roger, Arbeitsvertrag, 7e éd., N. 7f ad art. 324a CO; BRUNNER Christiane, WAEBER Jean-Bernard, BRUCHEZ Christian, Commentaire du contrat de travail, N. 16 ad art. 324a CO.
4ATF 131 III 623, c. 2.5.2.
5Voir, par exemple, la Convention nationale du secteur principal de la construction en Suisse (CN 12/15), art. 64 II lit. b; art. 21 II lit. b de la convention collective de travail pour la construction de voies ferrées 2012; art. 17 II lit. b de la convention collective pour les échafaudeurs suisses 2012-2015; art. 48.3 de la convention collective nationale de travail pour l'artisanat du métal suisse (serrurerie, construction métallique, machines agricoles, forges et charpente métallique) 2006-2013; art. 46.2 de la convention collective de la branche suisse de l'installation électrique et de l'installation de télécommunication 2005-2015; art. 46.6 de la convention collective de travail dans la branche suisse de toitures et façades 2010-2014; s'agissant de la CCT pour les échafaudeurs, lire aussi ci-dessous sous chiffre IV.1.
6Arrêt du TAF B-1298/2006 du 25.5.2007.
7Pour un survol actuel, lire STREIFF U., VON KAENEL A. et alii, Arbeitsvertrag, N. 23 ss ad art. 324a CO.
8CARRUZZO, Philippe, Le contrat individuel de travail, Commentaire des articles 319 à 341 du Code des obligations, Zurich 2009, N. 27 ad art. 324a CO.
9Il y a lieu de faire une exception s'agissant de l'abstraction faite de certains textes relatifs à la CCT du travail temporaire.
10VON KAENEL, Adrian, Verhältnis einer Krankentaggeldlösung zu Art. 324a OR, in Krankentaggeldversicherung: Arbeits- und versicherungsrechtliche Aspekte, Schulthess, Zurich, 2007, p.120.
11PAPA, Roberta, Die Lohnfortzah-lungspflicht des Arbeitgebers bei Krankheit und Unfall des Arbeitnehmers und die Koordination von Lohnfortzahlungsleistungen mit Taggeldleistungen, in ArbR 2009, pp. 82 ss.
12Pour un survol des opinions controversées en doctrine, lire VON KAENEL, op. cit., note 48.
13STREIFF U., VON KAENEL A. et alii, Arbeitsvertrag, N. 24 ad art. 324a CO.
14Lire par exemple PAPA, R., op.cit., p. 83, note 63.
15VON KAENEL, A., op. cit., p. 122.
16Il faut peut-être considérer différemment les relations de travail caractérisées par une majorité statistique très importante de rapports de travail de courte durée, soit de trois à six mois.
17ATF 96 II 133.