1. Le partage des prestations de sortie
L’avocat qui rédige une convention sur les effets du divorce est en général soulagé lorsqu’il arrive au partage des prestations de sortie au sens de l’art. 122 CC1; il s’agit d’un calcul simple, fondé sur des attestations claires des caisses de pension concernées. Pourtant, l’expérience montre que, dans la pratique, de nombreux pièges peuvent se cacher dans cette procédure.
L’avocat n’a pas forcément une grande connaissance des mystères du 2e pilier et des notions techniques qui le caractérisent; il a paru intéressant de se pencher sur quelques questions pouvant se poser au praticien qui présente une convention complète sur les effets du divorce en vue de sa ratification par le juge.
L’art. 122 du CC nous dit que chaque époux a droit à la moitié de la prestation de sortie de son conjoint, calculée pour la durée du mariage, selon les dispositions de la loi du 17 décembre 1993 sur le libre passage (LFLP)2. C’est cette dernière qui va définir la prestation de sortie, puisqu’elle a pour but de régler les prétentions des assurés en cas de libre passage dans le cadre de la prévoyance professionnelle. L’art. 17 LFLP définit le montant minimum de la prestation de sortie; celle-ci est composée d’une éventuelle prestation d’entrée, d’un libre passage antérieur et des cotisations versées avec les intérêts y afférents.
Il faut préciser que la prestation de sortie disparaît au bénéfice d’un droit à la rente dès qu’il y a survenance d’un cas de prévoyance, notamment à cause d’un décès ou d’une incapacité de travail totale ou partielle. Le partage n’est alors plus possible sur la base de l’art. 122 CC, car il n’y a plus de prestation de sortie à partager. Si seul un des deux époux n’a plus de prestation de sortie, parce qu’un cas de prévoyance est survenu pour lui, on n’appliquera pas l’art. 122 CC mais bien l’art. 124 CC, pour calculer l’indemnité équitable.
En cas de partage selon l’art. 122 CC, c’est l’art. 22 al. 2 LFLP qui définit les modalités du partage. Il s’agira donc de réunir les informations qui permettront de procéder au calcul. Cela peut être très simple en cas de mariage de courte durée, avec des époux qui n’ont pas changé d’employeurs en cours de mariage. Cela peut cependant être souvent plus délicat en cas de changement d’employeurs, de périodes sans activité lucrative ou de départs temporaires à l’étranger. Les employés ne font pas toujours suivre leur prestation de sortie lorsqu’ils changent de travail, et leurs avoirs peuvent être dispersés sur divers comptes de libre passage qu’il s’agira d’identifier.
Ces démarches impliquent qu’on obtienne les renseignements des caisses de pension, des banques et d’autres institutions concernées. Il est possible de s’adresser à la Centrale du 2e pilier, fonction assumée par le Fonds de garantie LPP. Il y a, en effet, obligation d’annoncer à cette centrale les avoirs isolés et oubliés dans le cadre de la prévoyance professionnelle. Conformément à l’art. 24b LFLP, les institutions de prévoyance et les institutions qui gèrent des comptes ou des polices de libre passage doivent maintenir un contact périodique avec les assurés. Si ces contacts ne peuvent pas être établis, elles doivent l’annoncer à la Centrale du 2e pilier. Ainsi, il ne faut pas omettre de s’adresser à cet organisme lorsque l’on recherche la trace d’avoirs en déshérence.
Doivent être compris dans le calcul de l’art. 122 CC l’ensemble des expectatives auprès d’une institution de prévoyance, donc le 2e pilier «actif», tous les comptes de libre passage et les éventuels retraits EPL3. Si des montants ont été prélevés de la caisse de pension et affectés à l’acquisition du logement principal des conjoints, ils devront entrer dans le calcul, pour autant qu’ils fassent l’objet d’une mention de restriction du droit d’aliéner inscrite au Registre foncier.
Une lecture attentive de l’attestation établie par la caisse de pension s’impose: certaines caisses mentionnent ces retraits EPL et les réintroduisent dans le calcul, alors que d’autres les omettent complètement, ce qui peut s’expliquer, notamment en raison du fait que les fonds ont été virés par la caisse de l’employeur précédent.
La vigilance s’impose aussi pour vérifier que l’attestation mentionne à la fois la part obligatoire et la part surobligatoire. Certains employeurs disposent de deux fonds de pension différents et chacun devra délivrer une attestation, dans une telle hypothèse.
Ne sont pas compris dans le calcul les paiements en espèces de l’art. 5 LFLP; s’ils sont intervenus au cours du mariage pour l’un ou l’autre des conjoints, le partage selon l’art. 122 CC n’est plus possible. Il faudra alors calculer une indemnité équitable, un retrait en espèces sur la base de l’art. 5 LFLP constituant un cas de prévoyance.
Les intérêts versés au cours du mariage sur la prestation de sortie acquise avant le mariage sont déduits du montant à partager: ce sont en principe les caisses qui font ce calcul. Il est tout de même intéressant de savoir sur quoi elles se basent: les taux d’intérêts déterminants ne sont pas ceux pratiqués par la caisse, mais un taux déterminé par le Conseil fédéral, selon l’art. 26 al. 3 LFLP, et ces taux figurent à l’art. 12 OPP 24. Cela permet aussi de vérifier le calcul de la caisse ou de suppléer à une éventuelle carence de celle-ci.
Lorsqu’on procède au partage, les fonds ne peuvent être affectés à autre chose qu’à un but de prévoyance. Le conjoint bénéficiaire reçoit une prestation de sortie qui doit être déposée sur un compte de prévoyance actif ou de libre passage. Le cas échéant, le bénéficiaire pourra racheter des années de cotisations au moyen du montant qui va lui être attribué. Si la somme dépasse les possibilités de rachat, le surplus devra être déposé sur un compte de libre passage.
Les prestations de sortie touchées par le conjoint sont soumises aux mêmes principes que la prestation de sortie que ce conjoint obtiendrait en cas de changement d’institution de prévoyance ensuite d’un changement d’emploi.
Enfin, il peut y avoir paiement en espèces si les conditions de l’art. 5 LFLP sont remplies pour le cessionnaire.
2. Part obligatoire et part surobligatoire: comment faire les partages?
Quelles règles faut-il appliquer lorsqu’on transfère une partie de prévoyance obligatoire et une partie de prévoyance surobligatoire? Ni la loi ni la jurisprudence n’ont traité cette question, qui est abordée dans le commentaire LPP et LFLP de Schneider, Geiser et Gächter5.
Ces auteurs sont d’avis qu’il faut transférer à raison de la proportion qui existe entre les deux avoirs. Si la partie obligatoire représente 80% et la surobligatoire 20% de l’avoir total, le transfert se fera dans les mêmes proportions, soit 80% du montant en prélèvement sur la part obligatoire et 20% du montant en prélèvement sur la part
surobligatoire. Ces auteurs estiment qu’il n’y a pas de choix en la matière, parce que la protection de l’assuré est plus grande dans le régime obligatoire que dans le régime surobligatoire. En ne respectant pas cette proportionnalité, la répartition des risques serait inéquitable. Les commentateurs rappellent, à bon escient, que le but de toute la réglementation relative au partage de la prévoyance professionnelle est de compenser les inconvénients subis par le conjoint qui est actif essentiellement à l’intérieur du ménage. Il ne s’agit pas d’avantager ou de désavantager les parties du point de vue de la prévoyance professionnelle et sur le plan de la technique des assurances, le procédé doit être complètement neutre, d’où le raisonnement qu’il faut respecter cette proportionnalité exacte.
3. Les rachats au cours du mariage
Comment traiter les rachats que l’un ou l’autre conjoint a pu faire pour améliorer sa situation sur le plan de la prévoyance professionnelle? Seuls importent évidemment les rachats effectués au cours du mariage, ceux antérieurs au mariage n’étant pas comptés, leur seul effet étant d’augmenter la part cotisée avant mariage.
Si les rachats sont le fait de prestations de l’employeur ou de l’institution de prévoyance, l’augmentation de la prestation de sortie acquise par ce biais, ainsi que les montants crédités par la caisse de pension en raison de gains exceptionnels, doivent être partagés sans discussion dans le cadre du divorce.
Sont en revanche exclus du partage les rachats effectués au moyen des biens propres tels qu’ils sont définis à l’art.198 CC et, cela, quel que soit le régime matrimonial suisse ou étranger des conjoints. Par conséquent, que les conjoints soient séparés de biens, régis par la communauté de biens ou encore par la participation aux acquêts, les rachats effectués au moyen d’héritages, de donations ou de biens acquis avant mariage sont totalement exclus de la prestation de sortie à partager. Il faut également déduire le montant des intérêts versés sur ces rachats entre le moment du rachat et le divorce.
4. Les retraits pour l’encouragement à la propriété du logement
Comment traiter ces retraits en faveur de l’encouragement à la propriété du logement, sur la base de l’art. 30c LPP?
Comme on l’a vu plus avant, ces retraits entrent dans le montant à partager, sauf si le bien immobilier a été aliéné à perte pendant le mariage; on se réfère à l’art. 30d al. 5 LPP notamment. L’obligation de rembourser se limite au produit réalisé, soit le prix de vente, déduction faite des hypothèques et des charges légales supportées par le vendeur.
Les retraits EPL posent d’intéressants problèmes en matière de partage de la prévoyance quand, et cela est fréquent, un conjoint souhaite racheter la part de copropriété de l’autre sur le bien qui fut le domicile conjugal. Le conjoint cédant a investi une partie de sa prévoyance dans l’immeuble par un versement anticipé, et une mention de restriction du droit d’aliéner a été inscrite au cadastre sur sa part. Il faudra obtenir la levée de cette mention pour que le transfert puisse être inscrit au Registre foncier. Pour cela, le cessionnaire doit rembourser le montant investi à la caisse de pension du cédant.
Si les moyens des parties sont suffisants, cela ne pose aucun problème, mais, le plus souvent, les budgets sont serrés et la banque ne veut pas augmenter le crédit hypothécaire. L’avocat devra donc négocier avec les caisses de pension. La compensation, si elle est possible dans le cadre du partage de l’avoir de prévoyance, paraît souvent être la solution idéale, en ce sens que, dans cette hypothèse, le cessionnaire ne doit rien débourser. Néanmoins, la caisse de pension ne l’acceptera pas facilement, notamment en raison du fait qu’elle devra lever la mention de restriction du droit d’aliéner sur la part du cédant sans se voir rembourser quelque montant que ce soit et sans pouvoir faire inscrire la même mention sur la part du cessionnaire, avec lequel elle n’a pas de relations contractuelles. La caisse de pension du cessionnaire ne peut pas non plus faire inscrire la mention dans la mesure où elle ne fait aucune avance.
Se pose encore le problème fiscal: le conjoint cédant, dans l’hypothèse d’une compensation, sera privé du remboursement de l’impôt dont il s’est acquitté au moment du versement anticipé.
Dès lors, les négociations devront se dérouler avec les deux caisses de pension, en même temps qu’avec les conjoints. L’une des possibilités est la cession de la mention de restriction du droit d’aliéner de la caisse du cédant à celle du cessionnaire: ainsi, l’avance EPL est protégée, nonobstant la compensation.
5. L’indemnité équitable
L’art. 22b LFLP précise que, lorsqu’une indemnité équitable est versée à l’un des époux en vertu de l’art. 124 CC, le jugement de divorce peut prescrire qu’une partie de la prestation de sortie sera imputée sur l’indemnité équitable, le juge notifiant d’office à l’institution de prévoyance le montant à transférer en lui fournissant les indications nécessaires au maintien de la prévoyance: c’est le cas si l’indemnité équitable est due par le conjoint actif au conjoint invalide.
L’indemnité équitable n’est pas une notion qui relève du droit de la prévoyance professionnelle, mais bien du droit du divorce, et c’est donc au juge du divorce de la définir. Comme l’a rappelé le Tribunal fédéral à plusieurs reprises, le juge doit prendre en considération l’ensemble des circonstances économiques du cas pour la calculer6. La haute Cour rappelle que le calcul est d’ailleurs différent selon que le cas de prévoyance est survenu très peu de temps avant le divorce, ou au contraire, très longtemps avant le divorce.
Si le cas de prévoyance est intervenu très peu de temps avant le divorce, on aura tendance à calculer l’indemnité comme si on appliquait l’art. 122 CC: elle correspond grosso modo à la moitié de la différence entre les prestations de sortie à la date de survenance de l’invalidité.
Cependant, si le cas de prévoyance est intervenu beaucoup plus tôt, la solution préconisée par le TF est différente. Il s’agit d’estimer les besoins concrets de prévoyance des deux époux, en prenant en considération leur fortune et le résultat de la liquidation du régime matrimonial.
Un versement en capital n’est souvent pas possible, parce que l’époux débiteur de l’indemnité équitable n’en a pas les moyens: il conviendra de calculer une rente viagère et le TF se réfère à ce propos aux tables de Stauffer et Schaetzle7.
Le calcul de l’indemnité équitable permet à l’avocat de profiter de quelques possibilités stratégiques au bénéfice de son client, ce qui n’est évidemment pas possible dans le calcul mathématique très strict de l’art.122 CC.
Le juge a, de son côté, un large pouvoir d’appréciation pour définir cette indemnité.
6. Le droit international privé
Ce sont quelques arrêts du TF qui constituent, à l’heure actuelle, le droit international privé relatif au sort des expectatives de prévoyance professionnelle en cas de divorce comportant des caractéristiques internationales.
Le droit international privé ne parvient pas à classer le partage de la prévoyance dans la contribution d’entretien ou dans le régime matrimonial. Il faut donc considérer que le débat porte sur le choix entre le rattachement de cette question à la loi régissant le divorce ou à la loi régissant l’institution de prévoyance. Le TF a tranché en faveur de la première option dans le cadre d’une interprétation fondée sur une lecture littérale de l’art. 63 al. 2 LDIP8.
Plusieurs hypothèses peuvent se présenter au praticien. Un divorce soumis au droit suisse avec des avoirs de prévoyance en Suisse: cette situation ne pose pas de problèmes et c’est, heureusement, l’hypothèse la plus fréquente. Le divorce est alors régi par le droit suisse en vertu de l’art. 61 al. 1 LDIP.
Lorsqu’il s’agit d’époux ayant constitué leurs avoirs de prévoyance en Suisse, tandis qu’en vertu de l’art. 61 al. 2 LDIP, leur divorce est régi par la loi étrangère de leur nationalité commune et que l’un deux a son domicile à l’étranger, soit depuis longtemps, soit seulement depuis que les époux ont cessé la vie commune, cela se complique. On peut rajouter à cela l’hypothèse que la loi étrangère applicable n’offre aucun régime spécial de partage des avoirs de prévoyance professionnelle à l’occasion d’un divorce: tel est en effet l’état du droit positif des régimes de prévoyance de la plupart des pays, ainsi que des organisations internationales. Seuls l’Allemagne, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Irlande, le Canada et certains Etats des Etats-Unis connaissent des solutions à cet égard. D’autres pays prennent en compte la prévoyance de l’ex-époux dans le contexte de l’entretien.
D’entrée de cause, il faut savoir que personne ne soutient que l’on doive laisser l’un des époux sans accès à une prestation de sortie de son conjoint en Suisse. D’abord, on constate que le Tribunal fédéral fait un usage assez large de la clause d’exception de l’art. 15 al. 1 LDIP, dont il estime qu’il peut fournir le fondement aux dérogations nécessaires permettant d’appliquer la loi la mieux adaptée à la répartition de la prestation de sortie. Cette jurisprudence ne tient toutefois absolument pas compte du caractère rigide des conditions d’application de cette exception.
Dans un cas français9, le TF «fabrique», et le terme est pesé, un rattachement étroit avec la Suisse en se fondant sur la durée du mariage, la longue activité professionnelle de l’époux en Suisse et le fait que la prévoyance des époux n’a pas été assurée par une assurance privée. Pourtant, on est assez loin d’une situation dans laquelle la loi française, en principe applicable, ne présenterait que des liens lâches avec la cause.
Un deuxième arrêt concernant des époux de nationalité espagnole10 présente une situation encore plus éloignée d’un rattachement avec la Suisse, selon l’art. 15 al. 1 LDIP, mais aurait abouti à un résultat injuste si les cotisations versées par le mari pendant plus de 30 ans en Suisse avaient pu échapper à tout partage.
Dans cet arrêt, le TF constate que les avoirs du mari auprès de la caisse de pension suisse étaient déterminants pour lui et sa famille sur le plan de la prévoyance, ce qui amène la Haute Cour à appliquer le droit suisse, alors même que les membres de la famille ont toujours résidé en Espagne où le mari les rejoignait dès que possible. Le TF a aussi pris en compte la durée du mariage et d’autres considérations relevant du droit matériel, qui ne sont pas déterminantes en droit suisse pour juger du partage de la prévoyance.
Il y a donc une forme d’insécurité juridique: le risque est sérieux que, dans un mariage de plus courte durée et ne présentant pas les caractéristiques des couples ayant fait l’objet des cas de jurisprudence français et espagnol, on s’en tienne à la loi étrangère du divorce, privant ainsi l’un des époux de sa part à la prestation de sortie du conjoint.
La réserve de l’ordre public ne paraît pas satisfaisante non plus.
Le TF estime, en outre, que le tribunal suisse compétent ne peut pas appliquer le droit suisse directement à une institution de prévoyance étrangère en partageant les avoirs disponibles à l’étranger ou en impliquant l’institution de prévoyance étrangère dans la procédure ouverte en Suisse. Sur ce point, le Tribunal fédéral rejoint l’avis que la loi de l’institution devrait être déterminante, puisque la loi suisse ne peut pas fournir de clé de répartition, ni fixer des montants s’agissant d’avoirs de prévoyance déposés dans des institutions à l’étranger.
7. En conclusion
Des adaptations de la loi quant à ces problèmes, notamment de droit international privé, sont actuellement en discussion devant le Parlement fédéral. On renvoie le lecteur au Message du Conseil fédéral du 29 mai 2013 et au projet de modification du CC et des autres lois topiques qui l’accompagnent11. y