«Pactum de quota litis» et ordre public
Une sentence arbitrale étrangère condamne l’ancien client de Me Ady, avocat américain, au paiement de ses honoraires. Ce client ayant des biens en Suisse, Me Ady demande à Me Vic, avocat suisse, de procéder au séquestre de ces biens. Après avoir affirmé qu’il n’y aurait aucun problème pour faire exécuter, en Suisse, cette sentence, Me Vic réalise que les 2 mio USD d’honoraires réclamés par Me Ady résultent d’un accord conclu avec son client au début du mandat, prévoyant qu’il aurait droit, à la place d’honoraires, à 9% du résultat obtenu en cas de gain du procès, et aucun honoraire en cas de perte. Me Vic se demande si cela ne sera pas problématique en Suisse.
Sommaire
Plaidoyer 01/2016
29.01.2016
Dernière mise à jour:
02.02.2016
Mercedes Novier, Dr en droit, avocate.
En vertu de l’art. 12 lit. e LLCA, le droit suisse interdit le pactum de quota litis, soit l’accord conclu avant l’issue de la procédure qui fait dépendre les honoraires de l’avocat du résultat du procès. De même, l’art. 19 al. 2 CSD prévoit que «l’avocat ne peut conclure, avant la fin d’un litige, une convention de participation au gain du procès en guise d’honoraires». Cette interdict...
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AbonnementEn vertu de l’art. 12 lit. e LLCA, le droit suisse interdit le pactum de quota litis, soit l’accord conclu avant l’issue de la procédure qui fait dépendre les honoraires de l’avocat du résultat du procès. De même, l’art. 19 al. 2 CSD prévoit que «l’avocat ne peut conclure, avant la fin d’un litige, une convention de participation au gain du procès en guise d’honoraires». Cette interdiction est parfois critiquée du fait qu’elle restreint la liberté économique. Elle surprend souvent les clients en Suisse, car de tels accords sont fréquents dans certains pays, où ils permettent notamment à des personnes sans moyens de mener de gros procès. La ratio legis1 de cette prohibition réside dans l’intérêt public à préserver l’indépendance de l’avocat et d’éviter, par exemple, que ce dernier, qui devient intéressé par l’issue du litige, ne conclue un arrangement qui ne serait pas dans l’intérêt du client. Il s’agit d’assurer la confiance du public en la profession et de protéger le client d’une rémunération excessive de l’avocat.
Rappelons qu’en Suisse, les honoraires d’avocat ne font pas l’objet d’une tarification contraignante. S’agissant d’un mandat, il y a lieu de se référer prioritairement à la convention entre parties, puis aux dispositions de droit cantonal et, si elles n’existent pas, à l’usage2. A défaut, le juge fixera les honoraires en se fondant sur toutes les circonstances pertinentes, la rémunération de l’avocat devant «demeurer dans un rapport raisonnable avec la prestation fournie et la responsabilité encourue, sans contredire d’une manière grossière le sentiment de justice»3. Il est parfois peu aisé4 de délimiter ce qui est interdit de ce qui est autorisé, notamment le pactum de palmario5, prime en cas de succès qui permet, par exemple, de convenir d’un tarif horaire pas trop élevé, tout en prévoyant un montant supplémentaire en cas de gain du procès.
Si le pactum de quota litis est clairement interdit en droit suisse, qu’en est-il lorsqu’il s’agit de faire exécuter une sentence arbitrale étrangère se fondant sur une telle convention soumise au droit étranger pour condamner au paiement d’honoraires d’avocat? En d’autres termes, ce pactum est-il incompatible avec l’ordre public suisse, ce qui justifierait le refus de l’exequatur sur la base de l’art. V ch. 2 de la Convention de New York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères (RS.0.277.12)? Selon le TF (5A_409/2014)6, le seul fait que le droit suisse prohibe le pactum de quota litis ne suffit pas à considérer qu’un tel pacte conclu dans une convention soumise à un droit étranger viole l’ordre public suisse. Ce qui est déterminant, c’est «le fait que la différence quantitative entre la méthode critiquée et celle à laquelle on parviendrait en droit suisse apparaît manifestement incompatible avec le sentiment de justice interne». Le TF a conclu dans l’arrêt précité que le montant (environ 1,8 mio USD) et la proportion (2%) des honoraires par rapport au gain de la cause n’était pas «à ce point choquant qu’il faille refuser l’exécution de la sentence arbitrale».
Dans le cas de Me Ady, il faudra donc s’assurer que ces critères sont bien respectés, sans négliger de tenir compte de la compatibilité avec le sentiment de justice interne, notion au cœur de l’appréciation.