Dans le camp des vainqueurs, on trouve Carlo Sommaruga, qui préfère le statut quo. A l'Office fédéral du logement, Cipriano Alvarez, chef du Service juridique, ne partage pas cet avis. Tous deux émettent des propositions pour freiner la hausse du prix des logements.
Plaidoyer: Après l'abandon de la révision du droit du bail, en septembre dernier, que proposez-vous pour freiner la hausse des loyers?
Carlo Sommaruga: Si l'on examine les chiffres, on constate que ce ne sont pas tant les loyers en cours de bail qui enregistrent les plus fortes augmentations, mais essentiellement les loyers à la conclusion de celui-ci. A Genève, en cours de bail, environ 10% des locataires sont confrontés à des majorations de 1 à 2%, tandis qu'ils sont 40% à subir des majorations en moyenne de 17 à 18% à la conclusion du contrat. En d'autres termes, l'effort de protection doit plutôt porter sur les conditions prévalant à la signature du bail et faire en sorte que l'offre de logements locatifs soit augmentée. Dans les centres urbains, le taux de vacance est inférieur à 1%. L'essentiel est donc aujourd'hui de produire des logements. En cours de bail, ce qui est positif, c'est la nouvelle manière de calculer le taux hypothécaire de référence qui, en incluant dans le calcul de la moyenne l'ensemble des taux variables et des taux fixes, y compris de longue durée, stabilise et lisse le taux hypothécaire applicable aux loyers. C'est un instrument qu'il faut encore affiner. Il n'y a pas de réforme importante à faire: affiner la méthode du taux de référence et produire des logements en grand nombre.
Cipriano Alvarez: Le Parlement a décidé de ne pas réformer le droit du bail existant et il faudra, par conséquent, vivre encore quelques années avec lui. Le taux de référence fixé par l'Office fédéral du logement est une bonne chose, car il évite une répercussion rapide de l'évolution des taux sur les loyers. Mais, à moyen ou long termes, il sera nécessaire de revoir la copie et de revenir à l'idée de dissocier les loyers du taux hypothécaire. Car, avec le système actuel, les baisses et les hausses ne sont que différées dans le temps. Par exemple, si on entrait d'ici à quelques mois dans une phase d'augmentation des taux sur le marché, les loyers suivraient le mouvement au plus tard après une période de deux ans, selon les estimations qui sont envisagées.
Carlo Sommaruga: Je suis pour ma part plus optimiste. La conclusion d'hypothèques de longue durée par les propriétaires produit un effet d'inertie sur le taux de référence. Même une remontée rapide des taux variables ne va pas faire basculer cette moyenne de référence: une hausse sensible pour les locataires ne surviendrait que plusieurs années après, sans compter qu'elle serait étalée dans le temps.
Plaidoyer: Existe-t-il une étude approfondie sur les effets de la remontée du taux avec différents scénarios?
Cipriano Alvarez: Nous avons des estimations, comme je l'ai dit, mais nous n'avons pas encore fait d'études approfondies. On peut néanmoins constater que le lissage n'est qu'un phénomène passager. Et n'oublions pas que, dans les faits, les hausses sont souvent plus répercutées sur les loyers que les baisses. On vit actuellement la paix des braves, avec des taux historiquement très bas, même plus bas que lors de la dépression des années 1930. Il faut tout de même s'attendre à ce que cela revienne à la normale. Souvenons-nous que, pour les trente dernières années, le taux moyen oscillait entre 4 et 5%.
Carlo Sommaruga: La crise financière devrait nous rendre prudents sur les scénarios des cinq à dix prochaines années. Au Japon par exemple, la stagnation des taux a duré dix ans. Cela pourrait aussi arriver chez nous. Donnons-nous deux ans pour étudier les différents scénarios et, en fonction de cela, relancer la réflexion.
Plaidoyer: Revenons à la situation qui prévaut lors d'un changement de locataire. Comment freiner la hausse des loyers à la conclusion d'un nouveau bail?
Cipriano Alvarez: Il est vrai que les règles du droit du bail protègent surtout le locataire en place et moins les nouveaux locataires. Mais ceux-ci ont tout de même la possibilité de contester le loyer initial, ce qu'ils font peu en réalité: les Romands se montrent, à cet égard plus actifs que les Alémaniques. Mais la contestation du loyer initial a aussi un effet préventif, en dissuadant bon nombre de propriétaires de procéder à des hausses excessives.
Carlo Sommaruga: La contestation du loyer initial est un instrument important, car elle permet de contrôler que le loyer soit fondé sur les coûts, au moyen d'un calcul de rendement. Il est vrai que l'écrasante majorité des contestations a lieu dans les cantons de Vaud et de Genève. Cela relève de la pédagogie combative de l'Asloca dans ces cantons depuis des décennies. Nous expliquons aux locataires qu'il n'y a rien de honteux à contester un loyer dès leur arrivée et qu'ils sont protégés contre une résiliation de leur contrat. L'Association zurichoise des locataires s'est récemment mise à faire campagne dans ce sens. Je précise d'ailleurs que la révision du droit du bail comprenait une méthode qui vidait de son sens la contestation du loyer initial, en prenant comme référence les loyers du marché, et non les loyers fondés sur les coûts. Les défenseurs romands des locataires ne pouvaient tolérer cette modification, qui représentait la perte d'un instrument de lutte contre les hauts loyers.
Plaidoyer: Faut-il rendre obligatoire la formule officielle indiquant le loyer du précédent locataire?
Carlo Sommaruga: Cela me paraît en effet indispensable pour encourager la contestation du loyer initial. Cette formule, qui peut être introduite en cas de pénurie de logements, n'est actuellement obligatoire que dans certains cantons, surtout en Suisse romande. Son usage devrait s'étendre à l'ensemble du pays.
Cipriano Alvarez: Il est vrai que les cantons qui ont introduit la formule officielle connaissent un nombre beaucoup plus élevé de contestations du loyer initial. Mais cette question relève du droit cantonal. Rappelons que la formule officielle a été abrogée dans le canton de Zurich en 2003.
Plaidoyer: Quels autres moyens voyez-vous pour freiner la hausse des loyers?
Carlo Sommaruga: Il faudrait réduire la part des frais de rénovation lourde que le propriétaire peut reporter sur le locataire. Actuellement, selon l'ordonnance sur le bail à loyer et le bail à ferme (OBLF), c'est une part de 50 à 70% des travaux qui peut être répercutée. Elle est censée représenter les travaux à plus-value. On devrait ramener la présomption à 30%, ce qui refléterait mieux la réalité: les rénovations comprennent souvent une part d'entretien plus importante que la part amenant une plus-value. Ce qui n'empêcherait pas le propriétaire de répercuter sur le loyer une proportion plus importante des coûts lorsqu'il parvient à prouver qu'ils correspondent à une amélioration de l'immeuble.
Cipriano Alvarez: N'oublions pas que l'entretien du parc immobilier par les bailleurs se fait dans l'intérêt général. La réduction du taux dans l'ordonnance sur le bail à loyer risque d'avoir pour effet que des immeubles soient laissés à l'abandon. Et précisons tout de même que le taux de 50 à 70% est une présomption, pouvant être renversée en faveur du locataire qui conteste sa hausse de loyer.
Il existe pas mal d'arrêts qui ont retenu un taux inférieur à 50%.
Carlo Sommaruga: On peut certes admettre une répercussion plus importante sur les loyers en cas de rénovation énergétique. Mais, de manière générale, ce n'est pas seulement aux locataires d'assumer le coût de l'intérêt public que constitue le bon état énergétique du parc immobilier, alors qu'ils paient déjà les loyers les plus chers d'Europe. On peut inciter les propriétaires à rénover par d'autres moyens, comme des subventions (par exemple via la taxe CO2) ou des dégrèvements fiscaux temporaires, soit des procédés financés par la collectivité.
Plaidoyer: Comment lutter contre la pénurie de logement, un facteur important dans la hausse des loyers?
Cipriano Alvarez: On observe que la population qui doit changer de logement a beaucoup de peine à rester dans le même quartier ou dans la même ville. A Zoug, bien des familles doivent quitter le canton faute de logements disponibles. En ville de Zurich, des quartiers entiers sont accaparés par des investisseurs qui les rénovent et les relouent à des prix plus élevés. On observe aussi une augmentation des résidences secondaires dans les villes. Il faudrait freiner ce mouvement avec des règles en matière d'aménagement du territoire, mais aussi en augmentant les aides publiques à la construction, dans le but de réduire le montant du loyer. C'est ce que prévoit la loi fédérale sur l'encouragement du logement de 2003. Mais, malheureusement, elle n'a jamais vraiment pu être mise en œuvre, car le Parlement a coupé les crédits initialement prévus. On doit se contenter actuellement d'une aide fédérale pour moins de 1000 logements par an, alors qu'il faudrait beaucoup plus pour combattre la pénurie de logements, notamment dans les régions urbaines et les centres touristiques.
Carlo Sommaruga: On assiste à une concentration de la population dans les centres urbains, mais la construction n'a pas suivi le mouvement. Et ce sont les classes populaire et moyenne qui en font les frais: elles doivent s'en aller pour laisser la place à une classe plus aisée qui, à Genève et sur l'Arc lémanique, comprend également les employés des multinationales. Par conséquent, en cas de déclassement de terrains en prévision de nouvelles constructions, il faudrait qu'une majorité de ces terrains soit dédiée aux logements locatifs bon marché, de préférence sous forme de coopératives d'habitation. Je déplore l'absence de mesures d'accompagnement à la libre circulation dans le domaine du logement, par le biais de mesures d'aménagement du territoire et de mesures de protection contre les congés pour louer plus cher.
Plaidoyer: Freiner les rénovations de luxe permettrait également de limiter les hausses de loyer?
Cipriano Alvarez: C'est en principe la liberté du propriétaire de procéder ou non à des rénovations... Les cantons peuvent toutefois édicter des mesures en la matière. Genève dispose par exemple de la loi sur les démolitions, transformations et rénovations de maisons d'habitation (LDTR) prévoyant que les rénovations sont soumises à autorisation. Mais on voit, que en pratique, elle ne produit guère de miracles.
Carlo Sommaruga: Pour les locataires en place, le système de la LDTR fonctionne au contraire assez bien, car elle empêche les résiliations et les rénovations de luxe. Mais il est vrai que certains logements rénovés sont mis en location au prix maximum fixé par la loi cantonale pendant trois ou cinq ans, mais à un public prêt à payer le prix fort dès la fin de la période de contrôle.
Il existe également une autre tendance à Genève: davantage d'objets immobiliers sont construits pour la vente plutôt que pour la location. Cela pose un problème, car les catégories les plus vulnérables de la population ne peuvent pas avoir accès à la propriété, même si elles le désirent. En Suisse, contrairement à d'autres pays, les instruments pour une propriété populaire font défaut.
Plaidoyer: Faudrait-il dès lors favoriser l'accession à la propriété?
Cipriano Alvarez: En principe oui, mais pas pour tous les ménages. Le taux hypothécaire va finir par augmenter. Les ménages qui parviennent tout juste à financer leur logement avec les taux actuels se trouveront en difficulté. On estime que à l'heure actuelle, jusqu'à un tiers des acquéreurs de maisons ou d'appartements serait en danger financier si le taux hypothécaire venait à augmenter sérieusement. Un passage du taux de 2% à 4% doublerait quasiment les frais des propriétaires.
Il ne faut pas seulement favoriser l'accession à la propriété, mais aussi la construction de logements bon marché à louer et l'aide aux coopératives d'habitation. Ces dernières jouent un rôle intermédiaire entre les bailleurs et les locataires, en proposant des objets à des loyers généralement plus avantageux, moyennant l'acquisition de parts de la société.
Carlo Sommaruga: Je partage ce point de vue.
Plaidoyer: Comment empêcher la spéculation en matière immobilière?
Cipriano Alvarez: Le Conseil fédéral avait proposé d'abroger la Lex Koller, qui soumet à autorisation l'acquisition d'immeubles par des personnes qui vivent à l'étranger. Mais le Parlement a demandé que des mesures d'accompagnement soient prises concernant le nombre de résidences secondaires et l'aménagement du territoire...
Par ailleurs, on constate que des placements de capital étranger se font de plus en plus dans l'immobilier, peut-être à la suite des contrôles accrus opérés par les banques après la crise financière que nous venons de vivre. Par conséquent, un contrôle accru des placements dans l'immobilier serait le bienvenu.
Carlo Sommaruga: A Genève, un proche du président du Kazakhstan a acheté une villa à
74 millions de francs, un prix totalement hors marché! Pour éviter que des milliards passent de manière illicite par le marché immobilier, en créant une bulle spéculative, il faut en effet étendre les obligations de contrôle sur le blanchiment d'argent aux opérateurs de l'immobilier, dont les notaires. Quant à la Lex Koller, elle comprend de nombreuses exceptions et n'empêche pas les fonds de placement d'investir dans l'immobilier, ce qui conduit à une augmentation de l'ensemble de la valeur de ce secteur.
Afin de combattre la spéculation, il est indispensable de maintenir les objets immobiliers hors du marché. Pour cela, les pouvoirs publics, - cantons et communes - doivent, d'une part, avoir une réelle maîtrise du sol et, d'autre part, construire et acquérir des logements dans le but de pratiquer une politique de loyers avantageuse. Parallèlement, comme on l'a déjà dit, on encouragera la construction de coopératives d'habitation, qui, elles, ne recherchent pas de profit. Cela influence à long terme le niveau des loyers.
Cipriano Alvarez, 51 ans,
est chef du Centre de prestations «droit» à l'Office fédéral du logement.
Carlo Sommaruga, 51 ans,
est secrétaire général de l'Association suisse des locataires (Asloca) et avocat à Genève. Il est conseiller national socialiste depuis 2003.