De manière générale, le Code des obligations impose au mandataire une «bonne et fidèle exécution du mandat» (art. 398 al. 2 CO). Et la loi sur la libre circulation des avocats (LLCA, art. 12) prescrit «soin et diligence» dans l’exercice de la profession. Le Code suisse de déontologie rappelle ces obligations, sans toutefois donner de précisions. Ainsi, l’avocat se demande parfois s’il faut suivre à tout prix les instructions du client ou lui présenter la solution la plus conforme aux intérêts de ce dernier. Les réponses varient en fonction du domaine – civil ou pénal – et du statut de l’avocat, commis d’office ou non.
Nous avons soumis plusieurs cas de figure à Laurent Moreillon, à la fois avocat pénaliste «au long cours», professeur associé de droit pénal à l’Université de Lausanne et auteur d’ouvrages à l’intention des praticiens.
Les instructions du client ne paraissent pas adéquates pour préserver au mieux ses intérêts.
Le problème se pose surtout en droit pénal. Si le client suggère des options qui ne paraissent pas conformes à ses intérêts, l’avocat peut lui signifier qu’il est prêt à les suivre, mais il doit le rendre attentif aux conséquences négatives probables. Pour l’avocat d’office, la marge de manœuvre est faible si le client maintient ses instructions: il doit les respecter, à moins, bien entendu, qu’elles amènent à la commission d’une infraction (par exemple dissimuler des pièces). Quant à l’avocat de choix, il a intérêt à résilier le mandat en pareille situation. C’est aussi sa crédibilité vis-à-vis des tribunaux qui est en jeu.
Même cas de figure que le précédent, mais le client est mineur.
En principe, l’avocat devrait faire preuve de davantage d’autorité sur son client, qu’il soit d’office ou de choix. En procédure pénale des mineurs, l’idée poursuivie avant tout est la prise de conscience, par le mineur, de ce qui lui est reproché et sa réinsertion. Dès lors, l’avocat agira plus comme un «guide» que comme un simple conseiller. Si un contact peut être établi avec les parents (ce qui est rarement le cas), l’avocat devrait les intégrer à la discussion et à la stratégie de son client.
L’avocat ne croit pas à la version des faits de son client.
Prenons l’exemple d’un client qui a été surpris par une caméra de vidéosurveillance en train de braquer un bancomat, mais qui prétend que les images sont truquées. L’avocat d’office doit se positionner et tenter de lui faire comprendre qu’il n’a quasiment aucune chance de l’emporter. S’il n’y parvient pas, deux possibilités s’offrent à lui: défendre la version des faits de son client ou demander à se faire relever du mandat en invoquant une divergence d’opinion. Mais il évitera absolument de dire au tribunal qu’il ne croit pas à la version des faits du mandant. Ce serait une manifestation de la rupture de la relation de confiance. Le TF l’a précisé récemment*, dans une affaire où un avocat était convaincu que son client était coupable de meurtre, alors que ce dernier le niait.
Si c’est un avocat de choix qui ne croit pas à la version de son client, l’avocat devra expliquer à ce dernier les risques de la stratégie défendue. Cas échéant, si le client maintient cette stratégie, l’avocat devrait opter pour la résiliation du mandat, pour autant qu’elle n’ait pas lieu en temps inopportun. C’est sa crédibilité à long terme qui est en jeu. Toutefois, s’il n’est plus possible de résilier le mandat, l’avocat se résignera à plaider l’acquittement, quitte à plaider, au titre d’alternative, les circonstances de l’affaire et la situation personnelle de son client.
Le mandant plaide l’acquittement, mais avoue à son avocat: «En réalité, c’est moi, mais cela reste entre nous.»
Pour l’avocat de choix, c’est une question d’éthique: il essaie de convaincre son client de passer aux aveux, faute de quoi il résiliera le mandat. Et dans ce dernier cas de figure, il ne révèle pas l’existence de l’aveu, par respect du secret professionnel. Cela dit, le Code de déontologie ne règle pas ce genre de situation. L’avocat est en droit de plaider l’acquittement en sachant son client coupable. Il peut mentir, pour autant que cela n’entrave pas l’investigation (par exemple en dissimulant des pièces). Et ceci quelle que soit la gravité de l’infraction!
La position de l’avocat d’office est plus délicate, puisqu’il est soumis à l’obligation de défendre la cause de son client. Il serait plus judicieux qu’il demande à être relevé de son mandat en invoquant un juste motif (par exemple une divergence d’opinions ou la rupture du lien de confiance). Il ne peut en aucun cas indiquer les vraies raisons à l’origine de cette demande. Enfin, s’agissant du nouveau mandataire, l’avocat précédent est tenu au secret professionnel et ne saurait confier à son successeur le fait que le client a reconnu être l’auteur des faits reprochés.
L’avocat plaide l’innocence de son client sans savoir s’il y a eu une infraction ou non.
C’est le cas le plus simple. L’avocat agit selon sa conscience et sa perception des faits, tels qu’ils résultent du dossier et des explications données par son client. Si les éléments du dossier lui permettent de se convaincre de l’innocence de son client, l’avocat, motivé, doit plaider l’acquittement et tenir cette stratégie jusqu’au bout.
Le mandant veut aller en justice sans se préoccuper des aléas et des coûts d’un procès.
L’avocat doit impérativement veiller à informer son client du coût probable et des risques en donnant des fourchettes de prix et de chances de succès. Le client n’a en effet pas toujours conscience que, même si une procédure est solide d’un point de vue juridique, les risques peuvent apparaître élevés lorsque les éléments de preuve sont faibles. Il faut également évoquer le risque d’appel, voire de recours de la partie adverse et les chances de succès de cette dernière en deuxième, respectivement en troisième instances. Cette situation est identique que l’avocat soit de choix ou d’office. Dans ce dernier cas, l’avocat doit informer clairement son client puisque l’Etat, en principe, ne fait qu’avancer les honoraires et que, au final, c’est de toute façon le client qui sera tenu de rembourser ce qui lui a été avancé.
En matière pénale, le client veut une procédure simplifiée pour être fixé le plus vite possible sur son sort.
La question de la procédure simplifiée en procédure pénale est délicate. En premier lieu, l’avocat doit se positionner par rapport à ce type de procédure et effectuer, avec son client, une pesée des intérêts. En second lieu, il s’agit, pour l’avocat, de se demander si la peine proposée par le Ministère public correspond à son propre sentiment de justice, et si, par comparaison, elle est justifiée. En troisième lieu et surtout, il faut impérativement se demander pour quelle raison le client consent à proposer une procédure simplifiée. Peut-être a-t-il d’autres raisons d’opter pour cette solution. On pensera notamment au souci de «couvrir» une autre personne ou la peur d’affronter une longue procédure, voire une sentence lourde. Si le mandant a de bonnes chances d’être acquitté, il est très discutable de lui conseiller une procédure simplifiée. En revanche, on fera ce choix lorsque l’affaire est relativement simple ou, naturellement, si le prévenu a passé aux aveux. S’il y a plusieurs infractions et que certaines sont avérées et d’autres contestées, il faut absolument éviter que la procédure simplifiée tourne au marchandage. L’intérêt est celui du client, non celui de la justice.
Hors procédure, en matière civile, le client semble prêt à accepter une convention qui lui est défavorable.
Il est dans l’intérêt de l’avocat de déconseiller à son client «d’acheter la paix» à n’importe quel prix. En effet, le mandataire risque de devoir rendre des comptes ultérieurement, voire de répondre sur le plan de sa propre responsabilité civile. Il est toujours difficile d’évaluer la portée et le bien-fondé d’un accord. Dans les cas où la convention est soumise à la ratification du tribunal, cela peut rassurer l’avocat de savoir qu’un juge y jettera un regard extérieur. Tel est le cas notamment en matière de divorce ou de séparation de corps. Dans d’autres domaines, si l’avocat n’est pas spécialisé, il lui importe de s’informer de la portée de la convention auprès d’avocats spécialistes ou de collègues expérimentés dans le domaine. On pensera notamment à un transfert de brevet. L’avocat doit envisager toutes les conséquences, tant civiles, commerciales que fiscales. Si le client campe sur ses positions, l’avocat devra lui signifier que les risques n’ont pas été tous soupesés, quitte à rédiger, par écrit, un document dûment signé par son client qui admet que la transaction a été signée, malgré l’avis défavorable du mandataire.
Les parties négocient sans tenir compte des aspects juridiques.
Si le client persiste à vouloir faire abstraction du droit, l’avocat l’informe des conséquences, afin d’obtenir son consentement éclairé. Il lui fait part, dans un langage simple, de la portée juridique de la transaction, par exemple l’abandon irrémédiable d’un brevet.
L’avocat s’aperçoit qu’une provision qui lui a été versée provient d’une escroquerie.
La réponse à cette question est extrêmement délicate. Il faut distinguer plusieurs cas de figure. En premier lieu, l’avocat sait, d’emblée, que la provision versée est le produit direct de l’infraction. A mon sens, il ne saurait être rémunéré sur cette base-là. On pourrait alors lui reprocher un acte de blanchiment. La situation est moins claire lorsque, en cours de mandat, l’avocat s’aperçoit que l’argent versé à titre de provision ou d’honoraires provient d’un crime.
Il existe toute une jurisprudence rendue par les Cours cantonales et par le Tribunal fédéral. S’agissant de la provision utilisée et dans la mesure où elle correspond effectivement aux services rendus, il n’y a pas d’infraction pénale qui peut être reprochée à l’avocat. Tout autre est la question si l’avocat n’a pas intégralement utilisé la provision versée. Que doit-il faire?
Il peut difficilement rendre celle-ci auprès du magistrat qui a instruit l’enquête. Cela serait un aveu de culpabilité de son client. Il peut difficilement garder sur son compte ledit montant en attendant l’issue de la procédure. Il devrait, faute d’autre possibilité, restituer le montant à son client, en lui signifiant que, s’il dissimule l’argent, il pourrait être recherché, parallèlement, pour blanchiment d’argent. Dans cette hypothèse, l’avocat doit demander une nouvelle provision provenant d’un autre compte à son client ou alors, si celui-ci ne peut plus le payer, demander à être nommé d’office pour la suite de la procédure.
L’avocat est sollicité par les médias concernant un mandat particulier.
Il convient d’être très vigilant à ce sujet. Il est important que les déclarations faites par l’avocat soient en complète harmonie avec ce à quoi le client est prêt à livrer comme information. Il s’agit également de soupeser les risques. Peut-être que le client souhaite une information complète, ce qui pourrait être préjudiciable à saes intérêts. C’est à l’avocat de «filtrer» ce qu’il veut bien livrer à la presse.