Le statut juridique de la cigarette électronique et des liquides servant à «vapoter» est aussi clair que s’il apparaissait derrière un nuage de vapeur. A quelques mois ou années d’intervalle, les qualifications varient et on peut lire le raisonnement inverse de celui qui était encore tenu il y a peu. La Suisse ne fait pas exception à la règle.
A l’heure actuelle, les cigarettes électroniques et les liquides de recharge sont considérés comme «unité fonctionnelle» par l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et qualifiés en tant qu’objets usuels au sens de l’art. 5 de la loi sur les denrées alimentaires (LDAI)1. Comme il s’agit d’objets entrant en contact avec les muqueuses, selon l’art. 37 de l’ordonnance sur les denrées alimentaires et les objets usuels (ODAIOUs), l’ajout de substances, telle la nicotine, donnant un effet pharmacologique aux produits est interdit. Les cigarettes électroniques émettant de la nicotine ne peuvent donc être commercialisées en Suisse, les autres pouvant être importées librement.
Cette analyse ne fait pas l’unanimité. Mandaté par l’Association de défense des intérêts des vapoteurs Helvetic Vape, l’avocat genevois Jacques Roulet l’a contestée, dans un avis de droit établi le 24 avril dernier. Si le vaporisateur peut être un objet usuel au sens de l’art. 5 LDAI, il n’en va pas de même du liquide de recharge, produit qui n’est pas non plus une denrée alimentaire ni un additif. En outre, le pouvoir réglementaire du Conseil fédéral est limité à l’interdiction de certaines matières dans la fabrication des objets usuels (art. 14 II LDAI). Or, la nicotine n’est pas un composant entrant dans la fabrication de l’objet usuel, mais un produit externe. Dès lors, l’avocat estime que l’art. 37 III ODAIOUs va au-delà de la délégation législative de l’art. 14 LDAI et pose sans droit une norme primaire, soit l’interdiction de la nicotine. Ces interdictions n’ont donc pas de fondement juridique valide et ne devraient pas être respectées, selon lui.
L’OFSP lui-même s’est rendu compte qu’appliquer le droit des aliments à l’importation de cartouches contenant de la nicotine pour l’usage privé ne pouvait viser un comportement qui s’effectue aux risques du consommateur. C’est pourquoi il est permis d’importer, pour 60 jours,
150 cartouches de recharge ou 150 ml de liquide contenant de la nicotine, toute importation supérieure étant considérée destinée à la revente. Ce raisonnement n’est pas vraiment satisfaisant, dès lors qu’il limite bel et bien la consommation privée par le biais du droit des aliments, à laquelle ce dernier n’est pas applicable. En outre, «une surréglementation de ces produits serait disproportionnée, compte tenu du fait que le tabac est en vente libre, alors qu’il est bien plus nocif»2.
On n’en est pas à un revirement près. Alors que, en 2010, l’OFSP affirmait qu’«étant donné que, dans le cas des cigarettes électroniques, les composants sont inhalés sous forme pure et sans processus de combustion, celles-ci ne peuvent être classées dans les produits destinés à être fumés» et qu’«il n’est donc pas possible de les réglementer en tant que succédanés de tabac»3, la nouvelle loi sur les produits du tabac estime désormais que «bien que les cigarettes électroniques ne contiennent pas de tabac, elles comportent dans de nombreux cas de la nicotine et sont consommées de la même manière que les produits du tabac»4. Elles pourront dès lors être commercialisées comme les cigarettes traditionnelles, à l’exception des mineurs. Dernière curiosité: la consommation de cigarettes électroniques dans des espaces fermés accessibles au public, même sans nicotine, sera interdite par la loi fédérale sur la protection contre... le tabagisme passif. Il s’agit en fait de lutter contre des aldéhydes suspectés d’être cancérigènes.