«Les directives anticipées sont souvent une découverte pour les gens, qui entendent davantage parler d'Exit», lâche Anne-Marie Bollier, déléguée romande de l'Organisation suisse des patients (OSP). Avec ces directives, on a en effet mis en place «une institution où le droit a un peu d'avance sur les habitudes des gens, constate Damian König, chef des Affaires juridiques et éthiques au Réseau Santé Valais. A part les malades chroniques, les patients y recourent peu.» Une situation qui pourrait évoluer, à une époque où «le mode de rémunération des prestations ne valorise pas le temps passé à communiquer avec le patient, ce qui induit une tendance à la dégradation du rapport de confiance entre le médecin et le patient», note encore Damian König. Qui voit les DA comme «une base de départ pour une discussion entre soignants et patients», sur les traitements que ces derniers acceptent ou non, au cas où ils deviendraient incapables de discernement, avec, si possible la désignation d'une personne de confiance comme représentant thérapeutique, pour répondre à des situations imprévues.
Aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), «on incite le patient capable de discernement à rédiger des DA et également à désigner un représentant thérapeutique, à la fois pour le confort du patient et celui du soignant, qui bénéficierait d'un interlocuteur en cas de nécessité», explique le Service juridique des HUG. La personne non hospitalisée peut également adresser ses DA aux HUG qui les enregistreront après discussion avec un membre de la direction médicale et un juriste.
Lois cantonales
Une partie des cantons suisses et l'ensemble des cantons romands ont déjà légiféré sur les directives anticipées des patients et le représentant thérapeutique. Avec quelques variantes toutefois: le document est contraignant vis-à-vis du corps médical dans certains cantons (c'est le cas en Suisse romande), mais pas toujours. Quant aux proches sollicités en l'absence de DA, leur avis est parfois consultatif, parfois contraignant. Au 1er janvier 2013, de nouvelles dispositions du Code civil viendront unifier et clarifier la réglementation en la matière, dans le cadre du nouveau droit de protection de l'adulte (art. 360 ss CC - lire «plaidoyer» 5/2010). Les DA auront un effet contraignant pour le médecin, sauf quand il procède à un placement du patient à des fins d'assistance. Si un tel document n'existe pas et que la personne incapable de discernement n'a pas désigné de représentant thérapeutique, ce sont les proches qui endosseront ce rôle, avec un pouvoir décisionnel, dans un ordre prévu par la loi (art. 378 CC): le conjoint ou le partenaire enregistré, la personne qui fait ménage commun avec la personne concernée, les descendants, les parents, les frères et sœurs. Mais pas question d'attribuer cette compétence à un proche qui ne fournit pas «une assistance personnelle régulière» au patient.
Le droit fédéral à venir suscite certaines interrogations. En parlant d'effet obligatoire des DA «pour le médecin», le Code civil semble plus restrictif que la loi cantonale vaudoise actuelle utilisant la notion plus générale de «professionnels de la santé», regrette ainsi Mercedes Novier, avocate et présidente du Conseil d'éthique de l'Association vaudoise d'établissements médicosociaux (Avdems). Cette limitation par rapport aux lois sanitaires actuelles est en effet «une bizarrerie», convient le professeur Olivier Guillod, directeur de l'Institut de droit de la santé à l'Université de Neuchâtel et ex-membre de la commission d'experts ayant préparé la révision. Selon lui, le législateur a procédé ainsi, car c'est le médecin qui a le pouvoir de décision concernant un traitement. «Cela n'exclut pas qu'on étende cette notion pour englober les professionnels de la santé, car il serait en effet contradictoire que des DA soient contraignantes pour un médecin, mais pas pour un chiropraticien, par exemple.»
Quant au caractère non obligatoire des DA en cas de placement à des fins d'assistance, il crée des remous parmi les associations de défense des patients psychiques. «Le nouveau droit de protection de l'adulte consacrera le traitement sans consentement», déplore ainsi Shirin Hatam, avocate à Pro Mente Sana, qui dénonce encore «une tendance au soin autoritaire en vue du bien public». Certes, cette restriction ne concernera pas les personnes qui entreront volontairement dans un établissement. Mais elle est néanmoins regrettable, car «les DA sont particulièrement appropriées pour les patients psychiques, qui souffrent souvent de maladies récurrentes et savent quels traitements ils sont prêts à accepter ou non», remarque l'avocate. Qui s'inquiète encore de la compétence attribuée au médecin par le nouveau droit qui, au sens du futur art. 373 CC, fera partie des «proches» pouvant saisir l'autorité de protection de l'adulte, notamment s'il estime que «les intérêts du patient sont compromis».
Pouvoir des proches
Pour la plupart des cantons romands, l'innovation la plus marquante réside dans le pouvoir accru accordé aux proches, qui seront habilités (à certaines conditions) à parler au nom du patient incapable de discernement en l'absence de DA ou de représentant désigné. Car actuellement, dans les cantons de Vaud, Genève, Fribourg et du Valais, les proches n'ont pas de pouvoir décisionnel en pareille situation. Est-ce une avancée pour les patients? «Cela dépendra des rapports entretenus au sein de la famille, note Anne-Marie Bollier. Mais, dans la mesure où la loi prévoit que seuls les proches fournissant une assistance personnelle régulière pourront agir comme représentants, on peut espérer que cela exclura les indésirables. Et c'est un avantage que la loi désigne d'office un interlocuteur vis-à-vis de l'équipe de soins, car cela peut potentiellement réduire les craintes d'acharnement thérapeutique chez les personnes âgées. Mais il faudra que ces personnes expriment clairement leurs préférences si les interlocuteurs ne correspondent pas à la hiérarchie des représentants prévue par la loi.»
«Les soignants ne savent pas encore comment ils géreront la nouvelle compétence des proches, rapporte pour sa part le Service juridique des HUG. Actuellement, le médecin agit dans l'intérêt du patient en recueillant l'avis des proches.» Dans le canton de Vaud, cette nouvelle notion inquiète aussi certains soignants, constate Mercedes Novier, car ils observent que ce que disent les proches n'est pas toujours adéquat. Et, dans le domaine de la psychiatrie, la situation sera d'autant plus délicate «qu'il y a souvent une tension entre les patients et leurs proches, remarque Shirin Hatam. La famille a même fréquemment un intérêt contraire à la liberté du patient.»
A l'Institut de droit de la santé, Olivier Guillod se veut néanmoins rassurant: «Certains médecins sont préoccupés, car ils s'en tiennent au texte de la loi. Mais la pratique ne va guère changer avec le nouveau droit, car, actuellement déjà, le corps médical recherche un consensus avec les proches. Cela continuera, et ce n'est que dans les rares cas de désaccord irrémédiable que l'avis des membres de la famille primera, avec l'ordre de priorité prévu par la loi. Mais il n'est pas sûr que ce nouveau système en cascade amène une clarification, car va-t-on exiger que les médecins fassent une enquête pour savoir qui est le représentant thérapeutique parmi les proches?»
Volonté présumée
En l'absence de DA, le représentant désigné ou issu des proches de par la loi «décide conformément à la volonté présumée et aux intérêts de la personne incapable de discernement» (nouvel art. 378 al. 3 CC). Lorsqu'il n'y a pas de représentant, cette «volonté présumée» sert également de référence au médecin qui ne dispose pas de DA ou qui doute sérieusement que le document qu'on lui remet corresponde à la réelle volonté de son auteur (nouvel art. 372 al. 2 CC). Cette règle vise notamment les cas où un patient aurait agi sous la pression d'un tiers (proche, EMS, compagnie d'assurances) ou qui n'aurait pas eu connaissance d'une découverte médicale importante en consignant ses directives en matière de soins.
On s'en doute, cette notion de volonté présumée n'est pas facile à définir. Pour la Commission nationale d'éthique (CNE, prise de position 17/2011), elle doit être établie dans le respect de certains critères de diligence: seules les personnes entretenant une relation bienveillante avec le patient peuvent la déterminer, en mettant entre parenthèses leurs propres intérêts et valeurs et en ayant conscience que la volonté présumée ne concorde pas forcément avec l'intérêt objectif de la personne atteinte dans sa santé.
Les DA perdent leur effet contraignant lorsqu'elles violent des dispositions légales (en prévoyant, par exemple, des actes d'euthanasie active), mais aussi quand elles empêchent certaines mesures paramédicales ou des actes visant à soulager des douleurs insupportables, estime encore la CNE. Les DA ne peuvent ainsi pas interdire aux soignants d'offrir une alimentation (sans l'imposer) et des soins corporels, pas plus qu'elles ne peuvent exiger l'abandon d'une médication servant à soulager des douleurs insupportables.
La carte d'assuré, un échec
«Lorsqu'un médecin traite un patient incapable de discernement et qu'il ignore si celui-ci a rédigé des directives anticipées, il s'informe de leur existence en consultant la carte d'assuré du patient», sauf en cas d'urgence. C'est du moins le texte du nouvel article 372 du Code civil. L'ennui, c'est que la carte d'assuré n'existe pas... Ou du moins pas en tant que support de données médicales. Elle comprend certes des indications administratives, mais de nombreux obstacles se sont dressés pour l'étendre à un usage plus large: une partie des compagnies d'assurances a renoncé à offrir cette possibilité. Et, lorsqu'elle existe, ce n'est que de manière théorique, car les médecins sont peu nombreux à se doter du logiciel qui permettrait d'inscrire des informations médicales sur la carte (dont l'accès n'est possible qu'avec le consentement du patient).
«La carte d'assuré est un échec total, car bon nombre d'assurances refusent de jouer le jeu, commente Olivier Guillod à l'Institut de droit de la santé de l'Université de Neuchâtel. Il faut dire que le système était bancal, avec un cumul de données administratives et médicales sous l'égide des assurances.»
Il appartient donc à l'auteur des directives anticipées de confier son document à une personne de confiance, qui sera en mesure de le produire, le cas échéant: le représentant thérapeutique éventuellement désigné, le médecin de famille, un proche.
Si les patients chroniques ont souvent expérimenté certains traitements et réfléchi à ceux qu'ils seraient prêts à accepter ou non, c'est moins le?cas lorsqu'on est globalement en bonne santé. Comment, dans ces conditions, se faire aider pour rédiger des DA? Il n'existe pas de structures prévues à cet effet, à certaines exceptions près (par exemple les HUG de Genève - lire plus haut). On peut se tourner vers son médecin, pour tenter de se faire expliquer les choix à faire. Et aussi se procurer des modèles fournis par des associations*.
Mais, comme le rappelle la FMH, qui dit droit à l'autodétermination dit aussi droit... de ne pas rédiger de DA: «Toute tentative de pression, que ce soit de la part de proches, d'institutions ou de l'opinion publique, doit être repoussée, d'autant plus que de telles attentes ont bien souvent pour origine des préoccupations économiques et qu'elles peuvent susciter des peurs compréhensibles dans certaines catégories de la population.»
Comment, par ailleurs, cerner la notion centrale de capacité de discernement? La Commission nationale d'éthique (CNE) a émis une prise de position, en expliquant notamment que l'état de démence n'exclut pas automatiquement la capacité de discernement (www.bag.admin.ch/nek-cne/).
*- FMH et Académie suisse des sciences médicales: http://www.fmh.ch/fr/services/directives_patient.html
- Organisation suisse des patients: http://www.spo.ch/
-> Publications
- Ligue suisse contre le cancer: http://www.liguecancer.ch /fr/vivre_avec_le_cancer_/directives_anticipees_/
- Pro Senectute: http://www.pro-senectute.ch/fr/shop/
directives-anticipees.html
- Pro Mente Sana: http://www.promentesana.org
-> Publications