Le Traité sur la non-prolifération des armes nucléaires (TNP), entré en vigueur en 1970, est l'un des traités bénéficiant du plus large appui de l'histoire du droit international public moderne. Cet accord a été signé et ratifié par 189 des 192 Etats de l'Organisation des Nations Unies (ONU), depuis sa création en 1968. Quelque 184 Etats ont renoncé, au moment de leur ratification, à développer ou à acquérir des armes nucléaires, selon l'art. 2 TNP. Ils l'ont fait en échange du droit inaliénable de pouvoir utiliser la technologie nucléaire de manière «illimitée» pour la production d'énergie tout comme pour la poursuite de buts médicaux ou d'autres «buts civils», selon l'art. 4 TNP. Afin de contrôler la mise en œuvre de leurs obligations, les 184?Etats signataires ont accepté de se soumettre à des mesures de sécurité de l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA), selon l'art. 3 TNP. Les particularités de ces mesures (inspection et contrôle des installations et des combustibles nucléaires) sont réglées par un accord entre l'AIEA et les Etats individuellement.
Les cinq membres permanents du Conseil de sécurité de l'ONU (USA, Russie, Chine, France et Grande-Bretagne), tous devenus puissances nucléaires avant 1967, se sont obligés à désarmer leur arsenal nucléaire (art. 6 TNP). Ce faisant, le traité acquiert une position particulière: il est le seul de tous les traités multilatéraux ou bilatéraux conclus depuis le début du XXe siècle dont les Etats membres ne sont pas tous soumis aux mêmes obligations. Du fait de cette nouveauté, sa validité a été d'abord limitée à 25 ans. En outre, le TNP n'institue aucune interdiction absolue d'utiliser une catégorie d'armes de guerre et ne fixe pas de buts chiffrés concrets et de délais pour la réduction d'armes.
Seuls Israël, l'Inde et le Pakistan, devenus puissances nucléaires après 1968, n'ont pas signé le TNP. La Corée du Nord en est sortie en 2003 et l'on suppose qu'elle dispose, depuis lors, au moins de quelques ogives nucléaires.
Le TNP est d'ordinaire présenté comme un grand succès, mais cette success story semble en tout cas devoir prendre fin. Car sa force contraignante s'érode de plus en plus. C'est ce qu'a montré la dernière Conférence quinquennale d'examen du Traité de non-prolifération qui s'est tenue à New York du 3 au 28 mai derniers. Ce processus d'érosion s'explique par trois motifs interdépendants.
Premièrement, le défaut de volonté de désarmement des cinq puissances nucléaires officielles. Elles ne remplissent, selon l'avis de la majorité des 184 Etats membres, pas leur devoir de «s'engager à poursuivre de bonne foi des négociations sur des mesures efficaces relatives à la cessation de la course aux armements nucléaires à une date rapprochée et au désarmement nucléaire, et sur un traité de désarmement général et complet sous un contrôle international strict et efficace» (art. 6 TNP). Cette volonté défaillante est à l'agenda de toutes les conférences d'examen depuis 1975. Les cinq Etats se sont obligés à ne déployer d'armes nucléaires que vis-à-vis d'Etats non possesseurs liés à la puissance nucléaire d'un Etat possesseur. Cette déclaration non contraignante s'appelle «garanties négatives de sécurité». Les cinq puissances ont affirmé ces garanties à la conférence d'examen de 2000. Comme leur transposition ne s'est pas réalisée, la conférence d'examen de 2005 fut un échec. Elu, Barack Obama déclarait vouloir un monde libéré d'armement nucléaire. Mais ses efforts restèrent vains - si l'on exclut la conclusion du traité Start planifiant la réduction des arsenaux nucléaires russes et américains.
Sa ratification a toutefois peu de chance d'aboutir en raison de l'opposition des Républicains. Un nouvel échec ne fut évité en mai que parce que le gouvernement Obama, à la dernière minute et devant l'opposition indignée d'Israël, a approuvé l'organisation d'une conférence de l'ONU en 2012 sur la création d'une zone exempte d'armes nucléaires au Moyen-Orient.
Deuxièmement, la mise à l'écart de gouvernements en Irak et en Afghanistan par les USA ont fait croître, dans plusieurs capitales, la volonté de posséder leurs propres armes nucléaires, perçue comme seule assurance fiable contre les agressions extérieures. Le fait que les USA, la Grande-Bretagne et la France, tout comme l'alliance militaire internationale du Traité de l'Atlantique Nord (North Atlantic Treaty Organization ou NATO), ne soient plus prêts à conclure des garanties de non-agression obligatoires envers les pays ne disposant pas de l'arme nucléaire, renforce cette menace.
Troisièmement, les efforts visant à consolider massivement l'ampleur des centrales nucléaires mondiales augmentent le danger d'une prolifération du nucléaire militaire. Le TNP repose sur l'illusion que l'on pourrait séparer strictement les utilisations civiles et militaires de la technologie nucléaire. C'était pourtant un mirage, parce que les deux procédés visant à produire du matériel susceptible de fabriquer des armes et à fournir de l'énergie nucléaire sont les mêmes. Dans les années 1970 et 1980, l'Afrique du Sud et le Brésil sont parvenus à cacher leur programme atomique alors secret aux inspecteurs de l'AIEA. L'Iran a exploité entre 1986 et 2003 des installations souterraines destinées à enrichir l'uranium sans que l'AIEA en ait connaissance.
Quelque 60 autres Etats doivent bientôt acquérir des centrales nucléaires et avoir accès à la technologie permettant une utilisation militaire de cette puissance. Parmi ces Etats figurent presque tous les pays du Proche-Orient, bien connu pour son instabilité politique. La France, les USA et l'Allemagne souhaitent exporter des centrales nucléaires. Si ces plans se réalisent, les risques de la prolifération militaire deviendront totalement immaîtrisables. Le TNP serait alors caduc.
Deux conditions sont nécessaires pour endiguer ce danger, et un jour même totalement le vaincre:
Premièrement, la conférence décidée en mai doit avoir lieu et Israël être contraint d'y participer. Car c'est au Moyen-Orient que le danger d'une prolifération des armes nucléaires et d'une course aux armements avec utilisation d'armes de destruction massive est le plus grand. On ne pourra l'empêcher qu'en posant enfin les armes atomiques d'Israël sur la table des négociations. C'est la condition indispensable pour que l'Iran accepte de faire examiner internationalement ses efforts présumés d'obtention de l'arme atomique.
Deuxièmement, il ne faut pas renforcer les capacités des centrales nucléaires. Tous les arguments parlent contre le nucléaire pour répondre aux besoins en énergie (que l'on pense aux coûts financiers, aux risques pour la sécurité, aux problèmes irrésolus d'élimination des déchets, etc.). Et sans exception, les 60 Etats qui envisagent d'être nouveaux clients des groupes nucléaires occidentaux pourraient couvrir leurs besoins énergétiques avec les ressources renouvelables du soleil, du vent, de l'eau, ou encore de la biomasse.
Pour y parvenir, le «droit inaliénable» d'avoir recours «sans limites» à la technologie nucléaire doit perdre son statut acquis grâce au TNP. Cela ne sera possible que si, troisièmement, le troc inégal de 1970 est remplacé par une convention obligatoire qui lie tous les Etats sur un pied d'égalité et leur impose l'interdiction et la suppression totale des armes atomiques. Des organisations non gouvernementales (ONG) du monde entier ont déjà présenté le projet d'une telle convention, qui pourrait entrer en vigueur en 2020, lors de la convention d'examen du TNP en mai dernier.