La dégradation de l'environnement est à l'origine de migrations internes et internationales de plus en plus importantes. Ce phénomène conduit à des situations humanitaires difficiles. Le droit international ne dispose toutefois pas d'instrument spécifique pour répondre aux défis juridiques de ces migrations; certes, certains principes généraux sont susceptibles de s'appliquer aux migrations induites par une dégradation de l'environnement, mais ils ne peuvent apporter qu'une réponse partielle et lacunaire. C'est pourquoi nous plaidons pour le développement d'un instrument juridique particulier dans ce domaine1.
Il paraît aujourd'hui établi que la dégradation de l'environnement en général et le réchauffement climatique en particulier sont une cause importante de migrations dans le monde, dont l'ampleur augmentera considérablement ces prochaines années. Le réchauffement climatique peut même conduire à la disparition de certains Etats insulaires à la suite de l'augmentation du niveau de la mer. Les estimations concernant le nombre de personnes touchées varient notablement, ce qui ne change rien à la gravité du problème, au niveau tant quantitatif (le nombre de réfugiés environnementaux risque d'être, dans quelques années, beaucoup plus élevé que le nombre de personnes tombant dans le champ d'application de la Convention de Genève) que qualitatif - si l'on prend en considération que la dégradation de l'environnement risque particulièrement de toucher des groupes de personnes vulnérables (femmes, enfants, personnes malades, minorités).
Les (non-) réponses du droit international actuel
Bien que la problématique des migrations induites par une dégradation de l'environnement (souvent causée probablement par le réchauffement climatique) soit reconnue aujourd'hui, les définitions de ce qu'on entend par le terme «réfugié écologique» divergent particulièrement. Selon nous, la définition exacte du «réfugié écologique» et, le cas échéant, la différenciation entre diverses catégories de «réfugiés écologiques» est un des problèmes majeurs pour le développement d'un régime juridique pour ces personnes, surtout quand les causes de la migration sont multiples. La définition du Programme des Nations Unies pour l'environnement (PNUE) de 1985 nous semble cependant toujours utile comme point de départ. Nous entendons ainsi par «réfugiés écologiques» les personnes obligées de quitter leur lieu de vie temporairement ou de façon permanente, en raison d'une dégradation profonde de l'environnement qui affecte sérieusement leurs conditions de vie ou qui rend la vie dans la région en question (quasi) impossible.
En ce qui concerne l'état actuel du droit international, nous pouvons affirmer que le droit en vigueur connaît un certain nombre d'obligations contraignantes qui concernent (aussi) les réfugiés écologiques et la dégradation de l'environnement à l'origine des flux de réfugiés écologiques (telles que les obligations découlant des droits de l'homme). Il serait toutefois souhaitable que les Etats et les organisations internationales se souviennent de ces obligations, car - à notre connaissance - leur respect n'a jamais ou que très rarement été invoqué dans le cas des réfugiés écologiques. Cela dit, force est de constater que les obligations internationales pouvant intervenir dans notre contexte ne se réfèrent pas spécifiquement aux réfugiés écologiques. Elles sont, de ce fait, lacunaires dans le sens où seule une (petite) partie des problèmes soulevés par la situation des réfugiés écologiques peut être couverte par le droit international en vigueur. A ce propos, il convient surtout de souligner les aspects suivants.
• Pour tout un ensemble de dégradations environnementales, particulièrement celles liées au changement climatique, il n'est pas possible de «désigner» un Etat responsable. Les mécanismes de la responsabilité internationale ne sauraient donc trouver application contre les Etats à l'origine du changement climatique. Cet aspect limite principalement la portée des obligations découlant des droits de l'homme, mais aussi la responsabilité des Etats pour des flux migratoires.
• En ce qui concerne les mesures de prévention ou d'adaptation, les Etats dans lesquels une dégradation de l'environnement a lieu ne disposent souvent pas des moyens nécessaires pour prendre les mesures adéquates (ce qui exclut en principe aussi une responsabilité internationale). Pour les autres Etats, le droit international ne connaît pas d'obligations de soutien (financier ou technique). A cela s'ajoute le fait que, dans beaucoup de situations, des mesures de prévention ou d'adaptation «adéquates» ne sauraient suffire pour empêcher la dégradation de l'environnement à l'origine des flux migratoires. De plus, dans certains cas, la dégradation de l'environnement n'est pas prévisible.
• Un principe de non-refoulement peut être déduit, à certaines conditions, du droit à la vie et du droit à la nourriture. Ce principe ne saurait cependant répondre globalement aux questions soulevées par la situation des réfugiés écologiques. Il y a lieu de rappeler à cette occasion que le statut des personnes bénéficiant de ce principe reste très précaire, que son champ d'application est relativement limité (compte tenu du fait qu'il faut démontrer dans chaque cas individuel une menace pour les droits de l'homme mentionnés) et que la notion même de réfugié écologique reste à préciser.
Un nouveau cadre juridique
Face à ces insuffisances, nous sommes de l'avis qu'il serait souhaitable de songer fortement et rapidement à une évolution du droit international et que celle-ci devrait tendre vers un instrument juridique spécifique apte à répondre à un certain nombre de questions soulevées par la situation des réfugiés écologiques. Un tel cadre juridique - qui devrait être «indépendant» de la Convention de Genève, afin de ne pas affaiblir le statut des personnes pour lesquelles cet instrument juridique s'applique - devrait se concentrer sur les questions qui touchent effectivement et directement les réfugiés écologiques, définir la notion de réfugié écologique (y compris, le cas échéant, une procédure pour résoudre les questions de délimitation), préciser le principe de non-refoulement et contenir des éléments de planification et de financement.
Nous osons espérer que le droit international et, surtout, ses acteurs, avant tout les Etats, seront à même de relever ce nouveau défi que représentent les réfugiés écologiques. A notre avis, il serait urgent de réagir rapidement pour pouvoir faire face avec une certaine sérénité à ce problème, cela avant tout dans le but de protéger les personnes (potentiellement) touchées.
1Le présent article développe les résultats d'une recherche antérieure, cf. Astrid Epiney, «Réfugiés écologiques» et droit international, in: Tomuschat et al. (éd.), «The Right to Life», Leiden 2010, 371 ss.
Astrid Epiney, Professeure à l'Université de Fribourg, Directrice de l'Institut de droit européen des Universités de Berne, Fribourg et Neuchâtel.