«J'ai commencé à établir un rapport sur la question du recul de la détention provisoire, en tentant de comparer les chiffres issus d'autres cantons avec les chiffres de 2010», explique le procureur vaudois, Eric Cottier, au début d'août. Le nouveau Code de procédure pénale a-t-il réellement induit une diminution globale de la détention préventive? «Je ne me suis pas fait une religion définitive à ce sujet, poursuit-il, notamment parce que nous ne disposons pas de statistiques sur les détentions inférieures à 48 heures, soit les cas où il n'y a pas eu de détention ordonnée par le Tribunal des mesures de contrainte. En d'autres termes, nous n'avons pas d'outils statistiques permettant une comparaison des très courtes détentions - jusqu'à deux jours - en 2010 et en 2011. Il faudra un recul plus important que celui du premier semestre 2011 pour établir dans quelle mesure le nouveau code a réellement entraîné un recul de la détention provisoire. Néanmoins, j'estime que, dans le canton de Vaud, la diminution du nombre de cas de détention provisoire a, jusqu'ici, été de l'ordre de 30 à 40%.»
Ce chiffre a été établi par le Service pénitentiaire du canton, qui a effectué un décompte des personnes en détention provisoire durant les quatre premiers mois des années 2010 (512 incarcérations) et 2011 (269, chiffre auquel il faut ajouter quelque 55 personnes ayant séjourné en division carcérale durant les 48 premières heures). Ces données sont toutefois imprécises, car on ignore combien de détentions préventives exécutées en 2011 ont été ordonnées en 2010.
Si le Tribunal des mesures de contrainte a prononcé 257 mises en détention provisoire entre le 1er janvier et le 15 juillet 2011, ce chiffre ne peut malheureusement pas être comparé de manière fiable avec un chiffre de l'année précédente, estime le Tribunal cantonal vaudois. En effet en 2010,le juge d'instruction disposait de 24 heures dès l'arrestation pour décerner un mandat d'arrêt et pouvait ensuite maintenir le prévenu en détention provisoire pendant 14 jours avant de transmettre le dossier au Tribunal d'accusation. Depuis l'introduction du nouveau Code de procédure pénale suisse le 1er janvier 2011, le procureur dispose de 48 heures depuis l'arrestation pour saisir le Tribunal des mesures de contrainte, lequel doit ensuite statuer dans les 48 heures. «Ce ne sont que des évaluations auxquelles il faut veiller, car on a vite fait de comparer des additions de pommes et des poires», poursuit le procureur Cottier.
A priori sujets à caution
Sous ces réserves, on constate néanmoins dans ce canton un recul du nombre de jours de détention avant jugement (chiffres comprenant également les détentions pour motif de sûreté et les détentions provisoires prononcées en 2010 et prolongées de 2011): ils ont passé de 29810 entre le 1er janvier 2010 et le 30 juin 2010 à 21494 entre le 1er janvier 2011 et le 30 juin 2011. Sous cet angle-là, la baisse est donc réelle.
Toutefois, «on part d'a priori qui, je pense, sont sujets à caution, comme de croire que la police aurait soumis aux procureurs, en 2011 par rapport à 2010, le même nombre de cas dans lesquels se posait la question de la détention, relève le procureur Cottier. Or, certains éléments laissent penser que les policiers ont soumis moins de cas cette année. L'art. 221 I lit. c CPP, qui fixe les conditions auxquelles le risque de réitération est un motif de mise en détention, est plus restrictif que l'ancien Code de procédure pénale vaudois, qui n'exigeait pas, cumulativement, une mise en danger de la sécurité d'un degré aussi élevé et des antécédents aussi importants que ne le fait le nouveau droit. Il s'ensuit, par exemple, qu'un ressortissant étranger en situation illicite qui aura «visité» quelques véhicules ne sera plus mis en détention aussi rapidement qu'auparavant, car il est douteux que l'on retienne dès les premières interpellations une sérieuse compromission de la sécurité d'autrui.»
A cela s'ajoutent des différences en matière de politique pénale. Compte tenu de la grandeur du canton, la situation à Fribourg montre également une baisse de 20% des placements en détention préventive durant les cinq premiers mois de l'année (61 personnes en 2011, alors qu'elles étaient 77 en 2010). En Valais, la fréquentation des prisons préventives a diminué de 38% durant les cinq premiers mois de l'année (212 personnes le 20 mai 2010, contre 132 le 20 mai 2011). Genève enregistre une baisse moins marquée que Vaud, mais néanmoins sensible (à la fin de mai 2011, on y comptait 302 mises en détention provisoire, soit une diminution de 10 à 15% par rapport aux premiers mois de 2010). Berne, en revanche, qui ne compte que 128 personnes placées en préventive durant les cinq premiers mois de 2011, «paraît avoir de tout temps arrêté beaucoup moins que le canton de Vaud. Il est probable que Berne, qui n'est pas un canton frontière, soit moins touché que Vaud ou Genève par une certaine délinquance venue de France», poursuit Eric Cottier.
Moins de temps pour recueillir les preuves
Cette diminution s'explique notamment, dans le canton de Vaud, par une plus grande difficulté à récolter les preuves nécessaires à la mise en détention depuis l'entrée en vigueur du nouveau code: «En 48 heures, le procureur et la police ont moins de temps pour recueillir les indices de culpabilité que dans le système précédent, où le juge d'instruction n'avait pas besoin de développer autant la motivation de son mandat d'arrêt, explique Eric Cottier. Sauf requête ou recours, la détention n'était pas soumise au contrôle d'une autre autorité durant les 14 premiers jours, de sorte que le juge d'instruction avait une plus grande marge de manœuvre, alors que la procédure est aujourd'hui marquée par la complexité et la lourdeur du système. Il faut formaliser une demande de plusieurs pages renvoyant aux moyens de preuve, ce qui implique un travail considérable qui, souvent, doit être accompli dans l'urgence. Mise en relation avec l'intérêt que présente la détention pour la justice, l'importance des moyens à investir pour qu'elle soit ordonnée explique assurément que, dans certains cas, on ait renoncé à demander une détention provisoire.»
Le phénomène s'explique aussi parfois par des facteurs extérieurs, comme à Fribourg qui connaît une baisse du nombre d'affaires soumises par la police depuis les cinq premiers mois de cette année, sans que l'origine puisse en être attribuée au nouveau CPP: «Nous nous sommes rendu compte que c'était surtout les affaires de trafic de stupéfiants qui avaient beaucoup diminué. Or, cette diminution fait suite à une restructuration de la police de sûreté et de la section qui s'occupe de telles affaires: il y a eu soit moins de cas de trafic, soit une moindre efficacité de cette section, puisque le Ministère public n'a pas rejeté de demandes de mise en détention», explique le procureur général Fabien Gasser. «Il est vrai que nous n'avons pas encore eu, en 2011, d'opérations, en matière de stupéfiants par exemple, impliquant vingt ou trente arrestations à la fois. Mais il faut aussi voir que de telles opérations exigent maintenant un déploiement de forces considérables de la part de la police, sans compter la mobilisation de nombreux défenseurs de la première heure», ajoute Eric Cottier.
Vive contestation initiale
La nouveauté du Code de procédure a parfois impliqué une vive contestation initiale des décisions émises par le Tribunal des mesures de contrainte, comme cela été le cas en Valais: «En début d'année, presque toutes les décisions ont été contestées par les avocats, commente le juge doyen de cette instance, Christian Roten. C'est une conséquence de l'institution de l'avocat de la première heure, qui intervient à un moment où la détention est motivée par des soupçons encore vagues (voire très vagues), alors qu'auparavant les avocats n'intervenaient qu'après plusieurs jours de détention à un moment où les soupçons initiaux étaient déjà renforcés par les premières mesures d'instruction. Mais la jurisprudence est claire et notre position a été confortée par le Tribunal cantonal: toutes nos décisions ont été confirmées sans exception. Donc ce mouvement de contestation s'est calmé.»
«C'est certes plus compliqué qu'avant, les audiences sont plus longues, les avocats plaident comme s'ils plaidaient le fond de l'affaire et il faut un peu recadrer les débats» relève, à Neuchâtel, Laurent Margot, juge au Tribunal régional du Littoral et du Val-de-Travers. Cependant dans ce canton, la situation n'a que peu varié depuis l'entrée en vigueur du nouveau Code de procédure. «La politique a toujours été de mettre peu en détention préventive, et nous n'avons pas la petite criminalité étrangère que connaissent Vaud ou Genève», poursuit Laurent Margot. A Genève, certaines décisions du Tribunal des mesures de contrainte sont contestées, mais il ne s'agit pas d'une proportion importante. Une bonne partie est confirmée par la Chambre des recours. Dans le canton de Vaud enfin, le Tribunal des mesures de contrainte admet la plupart des demandes soumises par le Ministère public, puisque, sur les 200 premières demandes, 190 ont été admises.
Les questions qui restent ouvertes
Moins de détention préventive, plus de récidive?
«Pour moi, estime Eric Cottier, le plus important sera de déterminer si, à ce nombre moins élevé de détentions provisoires, correspond un nombre de réitération d'infractions, soit un taux de récidive, plus élevé qu'auparavant. Certains pensent en effet que la détention provisoire peut avoir un effet de choc sur le délinquant, que l'impact de l'emprisonnement peut ainsi le dissuader de recommencer». A contrario, un recours moindre à la détention provisoire encouragerait-il la récidive? «On ne le saura que dans plus d'une année», estime le procureur vaudois.
Quel rôle pour les mesures alternatives à la détention préventive?
Dans un arrêt du 7 juin 2011 (1B_237/2011), la 1ère Cour de droit public du Tribunal fédéral a accepté le recours contre la prolongation de la détention provisoire d'un tueur à gages présumé, suspecté d'avoir tué un habitant de Cointrin. La justice genevoise devra examiner si d'autres mesures, telles que le port d'un bracelet électronique, pourraient se substituer à la détention préventive, dès lors que les risques de fuite ou de collusion n'apparaissaient pas, dans cette affaire, particulièrement importants. «Certaines de ces mesures de substitution posent des questions complexes quant à leur mise en place, leur contrôle et leur coût», commente le procureur Cottier.