Mike A., 50 ans, est emprisonné à Regensdorf, près de Zurich. Coupable d’au moins cinq viols à caractère sadique et déjà condamné à deux reprises pour violences et agressions sexuelles en 1992 et 1998, Mike A. a été condamné à l’internement à vie en octobre 2010. Il est, à ce jour, le seul prisonnier de Suisse sous cette mesure. Il purge actuellement sa peine d’emprisonnement, qui sera suivie de l’exécution de l’internement. En d’autres termes, Mike A. restera interné jusqu’à son décès, sauf si des avancées scientifiques dans les traitements psychiatriques ou une dégradation de sa santé permettraient de le traiter de manière qu’il ne représente plus de danger pour la collectivité (lire encadré «L’internement et ses nuances»).
En 2020, 152 condamnés étaient internés de manière «ordinaire» au sens de l’article 64 du code pénal. Ce nombre ne comprend pas les internés ordinaires qui sont placés dans des cliniques psychiatriques ou des institutions privées. On ne sait pas combien ils sont dans tout le pays.
Dans la roue du hamster de l’exécution normale
Contrairement à l’internement à vie, l’internement ordinaire est régulièrement réexaminé. Sa durée est indéterminée et les libérations sont rares. Il vise à protéger la société contre les criminels dangereux. «L’idée de sécurité» est au premier plan.
Si l’on prend la loi au pied de la lettre, l’internement est une mesure et non une peine. Il n’est exécuté que lorsque les personnes concernées ont purgé leur peine de prison. Le Comité des droits de l’homme de l’ONU demande d’ailleurs de respecter le «caractère non punitif» de l’internement – notamment par des conditions de détention différentes de celles de l’exécution des peines. En Allemagne, la Cour constitutionnelle fédérale a développé, sur la base d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, ce qu’elle appelle le «principe de distance». Un principe qui exige une «distance par rapport à l’exécution de la peine». Autrement dit, l’exécution d’un internement doit se distinguer clairement de celle d’une peine. Les personnes internées font un «sacrifice» dans l’intérêt de la collectivité: leur privation de liberté ne se base pas sur des actes commis, mais sur un «pronostic de dangerosité incertain», selon la Cour constitutionnelle fédérale. Le principe de distance est ancré dans le code pénal allemand.
En Suisse, ce principe ne figure pas explicitement dans la loi. Le code pénal autorise l’exécution de l’internement dans un établissement pénitentiaire. La compétence pour l’organisation concrète de l’exécution revient aux cantons. On trouvera donc des dispositions au niveau cantonal ainsi que dans le Concordat sur l’exécution des peines et mesures.
Rahel Manetsch-Imholz est assistante à l’Institut de droit pénal et de criminologie de l’Université de Berne et prépare actuellement une thèse sur l’exécution de l’internement. La jeune femme regrette le patchwork et le peu de règles existantes en la matière: «L’internement touche, d’une part, au besoin de protection de la société et, d’autre part, aux droits fondamentaux élémentaires des personnes concernées. Il est dès lors problématique que l’on ne trouve pas plus de directives uniformes pour l’exécution d’une mesure aussi délicate».
La resocialisation ne joue guère de rôle
Cette réglementation rudimentaire a une conséquence directe dans la pratique: il n’y a guère de différences entre l’exécution de l’internement et l’exécution normale des peines. «Pour des raisons de sécurité, les internés sont presque tous placés dans un établissement fermé, où ils vivent dans les mêmes conditions que les détenus qui purgent des peines privatives de liberté de durée limitée», lit-on ainsi dans la brochure qu’Irene Marti a sortie dans le cadre de son projet de recherche «Vivre en internement». Irene Marti est également collaboratrice scientifique à l’Institut de criminologie de l’Université de Berne. Pour son projet, elle a mené 87 interviews avec des internés, des collaborateurs de l’exécution, des directeurs d’établissements ainsi que des représentants des autorités cantonales d’exécution.
Irene Marti ne comprend pas pourquoi la plupart des personnes internées se retrouvent dans le système pénitentiaire normal. L’internement s’adresse en principe aux personnes plus jeunes et à celles qui sont libérées. «Or beaucoup d’internés sont déjà plus âgés et sont en prison depuis plusieurs années, voire décennies». Leur quotidien est marqué par «la contrainte, la domination étrangère, la routine et la monotonie». Cela finit forcément par provoquer une certaine «insensibilité».
L’avis de l’avocat zurichois Matthias Brunner, qui a longtemps défendu des internés, est clair: «les internés devraient être traités avec autant de ménagement et de respect que possible, puisqu’ils ont purgé leur peine». Mais en réalité, leur quotidien ressemble plutôt à celui qui a cours dans une prison, «avec toutes les difficultés» qui l’accompagnent. De plus, ils vivent avec une perspective de sortie et de liberté qui se révèle être un fardeau supplémentaire. Elle éveille en effet de faux espoirs et renforcerait le sentiment de nombreux internés de se trouver dans un engrenage épuisant. «En ce sens, les internés sont moins bien lotis que les détenus condamnés à la prison à vie», estime l’avocat.
Même si le principe de sécurité doit être au premier plan pour les personnes internées, la perspective de la libération devrait toujours être prise en compte. Or, selon Rahel Manetsch-Imholz, l’idée de resocialisation ne joue guère de rôle dans le régime d’internement actuel. Les internés ne peuvent par exemple bénéficier d’une aide psychiatrique que si celle-ci est nécessaire pour des raisons médicales. «Il serait important de mettre davantage l’accent sur la thérapie et de créer les conditions pour que les personnes internées puissent travailler sur leur personnalité. Sinon, comment voulez-vous qu’elles changent positivement et puissent espérer un assouplissement de l’exécution?» Matthias Brunner partage cet avis. L’avocat considère que les offres de prise en charge psychiatrique actuelles sont rudimentaires. Elles lui donnent l’impression d’avoir pour seul objectif la prévention du suicide. «On veut donner l’impression d’une exécution humanitaire», conclut-il.
Une «mort lente»
Romano Schefer confirme ces impressions. Cet homme de 61 ans est interné à la prison de Thorberg (BE). «Je vis dans une division normale avec une cinquantaine de détenus. Les conditions sont les mêmes pour moi que pour tous les autres et sont identiques à celles que j’ai connues lorsque je purgeais ma peine de prison». Romano Schefer a déjà fait plusieurs demandes de thérapie. En vain. Jusqu’à présent, elles ont toujours été refusées. Le fait que son internement soit régulièrement réexaminé ne lui donne aucun espoir. «Je sais comment cela se passe: les représentants des autorités passeront avec une note préparée à l’avance, je pourrai me prononcer, mais cela n’intéressera personne». Son sentiment le plus profond: celui d’être condamné à une «mort lente». Romano Schefer sait pourtant que ce sentiment pourrait changer si les conditions étaient meilleures. «Si je pouvais avoir un chien ou un chat, je vivrais déjà ma situation de manière complètement différente».
Irene Marti l’a constaté dans le cadre de son projet de recherche: les internés sont nombreux à espérer que leurs besoins individuels soient mieux pris en compte. «Ils souhaiteraient être considérés davantage comme des êtres humains et moins comme des prisonniers», précise-t-elle. Au quotidien, certains surveillants tenteraient de répondre à ce besoin. «Ils acceptent parfois de fermer les yeux ou confient plus de responsabilités aux internés qu’aux autres détenus».
Secrétaire du Concordat de la Suisse du Nord-Ouest et de la Suisse centrale sur l’exécution des peines, Benjamin Brägger travaille depuis plus de 30 ans dans le domaine de la privation de liberté. Il soutient que la plupart des internés sont de «bons détenus» qui sont certes dangereux en liberté, mais pas dans le quotidien de l’exécution. Il pense qu’on ne peut faciliter que partiellement leur quotidien dans un milieu carcéral normal. «Si l’on voulait vraiment leur accorder plus de responsabilité personnelle, il faudrait les placer dans des sections spécifiques».
Seul hic, il n’existe pas encore en Suisse de prisons réservées aux personnes internées. Certains établissements pénitentiaires disposent toutefois de divisions spéciales. Un projet pilote a été lancé dans ce sens en 2019 à Soleure. Il s’agit d’un groupe d’habitation dans lequel six internés vivent séparément des autres détenus et avec un peu plus d’autonomie. Le directeur dudit établissement, Charles Jakober, a expliqué lors du lancement du projet que l’obligation de travailler est maintenue. Les assouplissements concernent plutôt des détails, comme la question de savoir si quelqu’un veut participer ou non à un programme sportif.
Benjamin Brägger note que le projet a fait ses preuves. Il a d’ailleurs été confirmé de manière définitive. La volonté politique de trouver de nouvelles voies dans le traitement des personnes internées est là. «La dynamique n’est plus la même qu’il y a 15 ans», se réjouit Benjamin Brägger, avant d’estimer qu’il y aura «à moyen terme» en Suisse alémanique quatre à six divisions spécifiques pour les personnes internées, avec chacune 10 à 15 places. Reste à savoir si Mike A., le premier interné à vie de Suisse, en occupera une. y
L’internement et ses nuances
- La durée de l’internement ordinaire au sens de l’article 64 du code pénal est illimitée. Certes, un contrôle a lieu chaque année, mais les personnes internées en Suisse ne sont que très rarement libérées. Selon Benjamin Brägger, expert en exécution des peines, on en compte environ trois par an.
- L’internement à vie selon l’article 64, alinéa 1bis du code pénal est la mise en œuvre légale de l’initiative sur l’internement adoptée en 2004. Une personne internée à vie ne peut être libérée que dans le cas où «de nouvelles connaissances scientifiques pourraient permettre de traiter l’auteur de manière qu’il ne représente plus de danger pour la collectivité».
- Dans le cadre d’un «petit internement» au sens de l’article 59 du code pénal, un tribunal peut ordonner un traitement institutionnel si l’auteur «souffre d’un grave trouble mental» et que l’infraction est en rapport avec ce trouble. Le traitement s’effectue dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un «établissement d’exécution des mesures», dont font également partie les établissements de détention ordinaires. En règle générale, le traitement institutionnel dure au maximum cinq ans, mais le juge peut, à la requête de l’autorité d’exécution, ordonner la prolongation de la mesure de cinq ans au plus à chaque fois. En 2020, 686 condamnés se trouvaient en traitement institutionnel en raison de troubles mentaux. Selon Benjamin Brägger, il y en a certainement entre 300 et 350 de plus dans les institutions et cliniques privées.
Tous n’ont pas commis les délits les plus graves
Les internés sont des criminels psychiquement perturbés qui, en liberté, représentent un risque pour la sécurité de la société. Telle est en tout cas l’idée reçue. Mais pas l’avis de l’avocat zurichois Matthias Brunner. Ce dernier a représenté plusieurs personnes internées et confirme qu’il s’agit «d’idées fausses soutenues dans la population et le milieu politique». Selon lui, tous les internés n’ont pas commis de délits particulièrement graves ou ne sont pas forcément dangereux pour la collectivité.
Il n’existe pas de statistiques actuelles indiquant quels délits ont été commis en Suisse par les 152 personnes internées dans des établissements pénitentiaires. Selon l’article 64 du code pénal, l’internement est subordonné à la commission d’une infraction. La loi mentionne certes expressément les infractions les plus graves comme le meurtre, l’homicide volontaire ou le viol. Mais il existe aussi une clause générale selon laquelle toutes les infractions passibles d’une peine maximale de cinq ans ou plus entrent en ligne de compte.
«Presque tous les crimes entrent dès lors en ligne de compte», explique Rahel Manetsch-Imholz de l’Institut de droit pénal et de criminologie de l’Université de Berne. Et de préciser: «en principe, la tentative d’un délit suffit aussi pour un internement». Pour qu’il y ait internement, il faut en outre que l’auteur ait porté gravement atteinte à l’intégrité physique, psychique ou sexuelle d’une autre personne ou qu’il ait au moins eu l’intention de le faire.