Ce printemps, la Conférence des directrices et directeurs des départements cantonaux de justice et police (Ccdjp) devait publier un rapport comportant des recommandations sur l’exécution des peines et des mesures de personnes atteintes de maladies psychiques. Comprenant en outre des représentants de la Conférence des directeurs de la santé et de l’Office fédéral de la justice, ce groupe de travail devait notamment répondre au besoin de lits supplémentaires pour réaliser les mesures thérapeutiques institutionnelles au sens de l’art. 59 CP et pour traiter les détenus atteints de maladies psychiques mais soumis à d’autres régimes de détention: la Suisse manquerait au total de 300 places destinées à ces personnes.
Ce rapport a pris du retard. Selon nos informations, il devrait être soumis à adoption, au plus tôt, lors de l’assemblée d’automne de la Ccdjp en novembre prochain. Certains chiffres résultant d’un sondage auprès des cantons sont déjà connus: en 2015, 864 détenus étaient condamnés au «petit internement» de l’art. 59 (mesures thérapeutiques institutionnelles) sur 6884 détenus, soit près d’un sur huit. La majorité provient du canton de Zurich (178 condamnés), puis de Berne (122), de Vaud (92) et de Genève (78)1.
Pendant ce temps-là, des dizaines de détenus attendent derrière les barreaux qu’un lieu de soins soit prêt à les accueillir. Pour faire bouger les choses, certains saisissent la justice, parfois avec succès.
Un risque de fuite actuel
Un détenu condamné à un an d’emprisonnement pour incendie intentionnel et contravention à la LFStup, peine suspendue au profit d’une mesure thérapeutique institutionnelle, a ainsi saisi avec succès le TF, alors qu’il résidait dans un établissement pénitentiaire depuis plus de deux ans, au motif qu’il avait fugué de l’institution où il se trouvait avait proféré des menaces inquiétantes (arrêt 6B_629/2009 du 21 décembre 2009). L’autorité cantonale avait refusé de le transférer dans un établissement non carcéral à même de lui apporter des soins psychothérapeutiques; elle se fondait sur l’avis de la Commission interdisciplinaire consultative concernant les délinquants nécessitant une prise en charge psychiatrique (CIC), selon laquelle le traitement du recourant à l’Unité psychiatrique des Etablisements de la plaine de l’Orbe était adéquat. Le TF a constaté que l’autorité n’avait pas examiné s’il existait encore, aujourd’hui, un risque de fuite ou de récidive, se référant aux événements d’il y a deux ans. Or, les établissements fermés selon l’art. 59 III CP faisant défaut, de sorte que ces délinquants doivent en règle générale être placés dans des établissements pénitentiaires, «un tel placement devrait rester l’exception, dès lors que le principe de la séparation des lieux d’exécution des mesures d’avec ceux d’exécution des peines posés à l’art. 58 II CP a été abandonné (...); il devrait également être limité dans le temps» (arrêt cité, c. 1.2.4). A la suite du réexamen par le juge d’application des peines, le détenu a été libéré conditionnellement avec suivi ambulatoire, puisqu’il ne présentait plus de risques actuels de fuite, indique son avocat Mathias Keller.
Offre thérapeutique insuffisante
Le 27 juin 2013, le TF a rendu un autre arrêt intéressant, rejetant le recours d’un détenu incarcéré depuis plus de 28 mois faute d’un établissement à même d’exécuter la mesures thérapeutique ordonnée par le tribunal. Il a cependant constaté en obiter dictum qu’un détenu condamné à des mesures thérapeutiques de l’art. 59 CP exigeait, en matière de fréquence horaire et de possibilités de confrontation à un thérapeute, une intensité certaine et qu’une heure de thérapie par semaine, telle qu’elle était proposée au recourant au pénitencier de Bostadel, ne pouvait constituer une offre thérapeutique stationnaire suffisante (arrêt 6B_625/2012, c. 4.3.).
«Pas de problème structurel» en Suisse
Les critiques admises par la justice sont cependant limitées à ce jour. Ainsi la Cour européenne des droits de l’homme a-t-elle débouté un détenu qui se plaignait de ce que sa détention était contraire à l’article 5 § 1 CEDH en ce qu’elle s’est déroulée en prison et non dans une clinique de soins. Invoquant l’article 5 § 5 CEDH, il se plaignait également de ne pas avoir pu obtenir réparation à cet égard (arrêt de la 2e Chambre Papillo contre Suisse du 27 janvier 2015 n° 43368/08). Certes, en principe, la «détention» d’une personne souffrant de troubles mentaux ne peut être considérée comme «régulière» aux fins de l’article 5 § Ie) que si elle s’effectue dans un hôpital, dans une clinique ou dans un autre établissement approprié (voir entre autres Aerts c. Belgique, 30 juillet 1998, § 46, Recueil des arrêts et décisions 1998-V; Hutchison Reid c. Royaume-Uni, n° 50272/99, § 49). Mais l’art. 59 du code pénal suisse prévoit expressément la possibilité que la mesure institutionnelle soit effectuée soit dans un établissement psychiatrique approprié soit dans un établissement d’exécution des mesures, contrairement à la Belgique (Lankester c. Belgique, n° 22283/10, § 92, du 9 janvier 2014). En l’espèce, durant sa détention, le requérant a bénéficié de consultations médicales régulières et d’un traitement par neuroleptiques. Ce traitement eut pour conséquence une stabilisation de son état de santé et, subséquemment, sa remise en liberté. La Cour considère donc que les soins dont a bénéficié le requérant lors de sa détention peuvent être considérés comme appropriés. En outre, elle relève que, concernant la Suisse, elle n’a jamais conclu à l’existence d’un problème structurel dans la prise en charge des personnes délinquantes souffrant de troubles mentaux (voir, a contrario, Lankester c. Belgique, § 93). Elle constate par ailleurs que les autorités helvétiques ont pris contact avec plusieurs institutions susceptibles d’accueillir le requérant dès que celui-ci s’est dit prêt à suivre un traitement. Ces démarches s’interrompirent lorsque le requérant refusa de se rendre à l’entretien proposé par la Clinique de Rheinau. Au vu de ce qui précède et dans les circonstances particulières de l’espèce, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de l’article 5 § 1 de la convention.
Pas de dédommagement cantonal
Les cas de détenus condamnés à exécuter une peine en institution psychiatrique ouverte selon l’art. 59 II CP, mais placés au pénitentier de Bochuz par l’Office d’exécution des peines (OEP) se perpétuent toutefois. C’est le cas d’un client de Me Baptiste Viredaz, condamné le 30 novembre 2011 à onze mois de prison pour avoir harcelé son ex-femme. «Le Tribunal de police de Lausanne avait ordonné un traitement thérapeutique institutionnel en expliquant que sa compétence se bornait au milieu ouvert, mais l’autorité administrative a ordonné qu’il soit exécuté en milieu fermé, selon l’art. 59 III CP. Je suis persuadé que ce placement au pénitencier n’était pas justifié dans le cas de mon client; la Chambre des recours pénale du Tribunal cantonal vaudois a conforté cet avis.» En dépit de ce fait, le juge civil de première et seconde instance a refusé de dédommager le détenu pour les 565 jours passés au pénitencier, à hauteur de 200 fr. par jour. Estimant que, «au moment où la décision a été prise, il n’y avait pas d’autre solution», car «tous les voyants étaient au rouge» en raison d’une attitude oppositionnelle, le Tribunal civil de Lausanne l’a débouté. Par la suite, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal a confirmé ce verdict. Citant l’arrêt du TF 6B_708/2015 du 22 octobre 2015, il a confirmé que l’art. 59 III CP constitue une disposition d’exécution relevant de la compétence des autorités d’exécution (ici l’OEP), qui peuvent non seulement désigner l’établissement et le type de détention approprié, mais faire face à un changement éventuel de circonstances. Me Viredaz contestera ce jugement au TF.
A Genève, Me Pascal Junod a défendu un client condamné à 5 ans ferme, suivi de mesures thérapeutiques pour incendie volontaire et tentative de meurtre sur sa femme. «Au bout des cinq ans, il a dû encore attendre deux ans en prison sans traitement avant d’être placé à Curabilis, dont il fut le premier patient, car il n’y avait pas de place avant. J’ai demandé un traitement ambulatoire qui a été refusé par le Parquet.» Il envisage de proposer à son client de demander des indemnités pour les deux ans de détention sans traitement, «mais je n’ai pas encore de mandat dans ce sens».
Pas d’indemnité accordée au TF
Il faut dire que les rares recourants ayant demandé une indemnisation au TF pour détention dans un établissement ne permettant pas la thérapie prescrite se sont vu débouter. C’est le cas du détenu connu comme le «casseur de Schüpfen», condamné une première fois pour de multiples actes de violence, libéré conditionnellement, puis réincarcéré et condamné par le Tribunal régional de Berne à onze mois de prison pour avoir frappé violemment un aubergiste à la tête avec un cendrier. La peine fut suspendue au profit d’une mesure thérapeutique. Cependant, durant plus de quatre ans, il fut incacéré à Thorberg puis à Lenzburg, sans pouvoir disposer d’une thérapie, car aucune institution adéquate ne pouvait l’accueillir. Devant le TF, il demandait un dédommagement de 163 350 fr. pour violation de l’exigence de célérité dans la procédure (arrêts 6B_1001/2015 et 6B_1147/2015 du 29 décembre 2015). Il n’a pas obtenu gain de cause, en dépit du fait que la 1re chambre pénale du Tribunal cantonal bernois a ordonné de lever la mesure et de le libérer, s’il ne pouvait pas intégrer, au plus tard le 29 février 2016, un lieu de soin approprié. Le fait que le jugement mentionne l’art. 59 CP, et non expressément l’art. 59 III CP, ne signifie pas qu’un traitement ne puisse être régulièrement ordonné à Thorberg, retient le TF. Les circonstances du cas d’espèce, et notamment le fait que le recourant souffre de troubles psychiques sévères, a besoin de soins et présente un danger social exigent la poursuite de la mesure. Compte tenu des capacités d’accueil limitées des établissements adéquats et de la liste d’attente admissible, la violation du principe de célérité de la procédure et de l’art. 5 I let. e CEDH n’a pas été admise. De même, l’art. 3 CEDH n’a pas été violé du fait qu’il n’ait pas bénéficié du traitement exigé par une nouvelle expertise. Après avoir été, le 26 février 2016, placé dans la section de psychiatrie forensique des Services de psychiatrie universitaires de Berne, il a tenté un nouveau recours au TF pour violation de l’exigence de célérité, qui fut aussi écarté (arrêts 6B_406/2016 et 6B_409/2016).
Compétence litigieuse
Deux autres arrêts récents ont fait l’objet de renvois par le TF aux tribunaux cantonaux afin qu’ils se prononcent sur le grief de détention illégale et sur l’indemnité à recevoir de ce fait (art. 5§1 et 5§5 CEDH). Dans un arrêt 6B_617/2015 du 27 août 2015, le TF a dû juger le cas d’un détenu qui avait commis des actes de contrainte sexuelle sur une personne incapable de discernement alors qu’il était en état d’irresponsabilité. Le tribunal avait ordonné qu’il soit soumis à un traitement institutionnel effectué dans un établissement psychiatrique approprié ou dans un établissement d’exécution des mesures (art. 59 II CP). Le recourant se plaignait d’avoir été détenu dans des conditions «inhumaines, sans suivi psychiatrique ni thérapeutique durant 295 jours, enfermé 23 heures sur 24». La Cour cantonale ne s’étant pas prononcée sur ces questions, le recours a été déclaré irrecevable. Cependant, le Tribunal genevois d’application des peines et mesures considère, en vertu d’une jurisprudence du 17 novembre 2015 (ACPR/619/2015) qu’il n’est désormais plus compétent pour trancher cette question. Suivant cet avis, la Cour de justice a débouté le recourant, estimant qu’il devait désormais agir devant le Département de la sécurité et de l’économie (DSE) (ACPR/294/2016 du 18 mai 2016). L’affaire n’a donc toujours pas connu son épilogue.
Règles pénitentiaires européennes
Dans une autre affaire, valaisanne cette fois-ci (arrêt 6B_817/2014 du 2.4.2015), le TF a rejeté le recours d’un condamné à 15 jours-amende pour contravention à la LFStup et violation de la loi sur les armes, qui avait été exempté de toute peine pour lésions corporelles simples et menaces après qu’un diagnostic de schizophrénie paranoïde a été posé. Il avait été mis au bénéfice d’une mesure institutionnelle en milieu fermé (art. 59 III CP). Après avoir dû entrer en matière sur le grief de détention illégale, la Chambre pénale du Tribunal cantonal valaisan a rejeté le recours le 23 juin 2014, considérant que la détention à la prison des Iles puis aux EPO ne violait ni l’art. 5§1 let. e CEDH ni l’art. 3 CEDH. Dans son recours au TF, le détenu exigeait la constatation de la violation de ces articles et qu’une indemnité de 100 fr. par jour lui soit accordée du 29 décembre 2009 au 18 mars 2013 (art. 5§5 CEDH). En rejetant le recours, la Cour suprême relève que le détenu a bénéficié d’un traitement psychiatrique régulier, grâce auquel il a pu obtenir sa libération conditionnelle de la mesure. Les soins ont donc été jugés appropriés. Le recourant invoquait aussi les Règles pénitentiaires européennes (RPE) et, en particulier, la RPE 12 (détention dans un établissement spécial des personnes souffrant de maladies mentales; si elles sont exceptionnellement détenues en prison, des règles spéciales doivent régir leur situation et leurs besoins) et la RPE 47.1 (institutions ou sections sous contrôle médical pour le traitement de détenus atteints de troubles mentaux ne relevant pas nécessairement de la RPE 12). «Que l’établissement où il a séjourné n’ait pas appliqué scrupuleusement l’ensemble de ces règles ne suffit pas, au vu des considérations qui précèdent, à fonder une violation de l’art. 5§1 let. c CEDH concernant le séjour du recourant», conclut le TF.