Entré en vigueur le 1er janvier 2013, le nouveau droit fédéral de la protection de l'adulte a déjà donné lieu à une multitude de publications. Le but, ici, n'est pas de commenter les nouveaux articles 383 à 385 CC traitant des mesures limitant la liberté de mouvement, mais de s'interroger sur le progrès réalisé dans ce domaine par l'introduction de ces dispositions pour les cantons romands qui disposaient déjà d'une réglementation régissant les mesures de contrainte2. Ces lois cantonales préexistantes commençaient par affirmer le principe de l'interdiction de toute mesure de contrainte, avant de poser le cadre les autorisant à titre exceptionnel. Les différences entre ces réglementations cantonales et le nouveau droit fédéral portent principalement sur les points suivants.
1. Le champ d'application des articles 383 à 385 CC
1.1. Limitation quant aux mesures visées
Les législations sanitaires romandes visaient, pour la plupart les mesures de contrainte en général3, alors que le droit fédéral ne concerne que les mesures limitant la liberté de mouvement. Or, la notion de «mesure de contrainte» englobe une multitude de mesures. L'Académie suisse des sciences médicales (ASSM)4 la définit comme «toute intervention allant à l'encontre de la volonté déclarée du patient ou suscitant sa résistance ou, si le patient n'est pas capable de communiquer, allant à l'encontre de sa volonté présumée. Sont également considérées comme des mesures de contrainte des mesures moins incisives comme par exemple, le fait d'obliger un patient à se lever, à manger ou à assister à une session thérapeutique.» Selon le Conseil d'éthique de l'AVDEMS5, il s'agit de «toute mesure portant atteinte à la liberté personnelle du résident et à laquelle celui-ci n'a pas consenti», étant précisé que «le fait que la mesure suscite une opposition, exprimée verbalement ou non, de la part du résident, doit conduire à nuancer l'approche de la problématique». Pour ce Conseil, il faut englober dans cette notion la contention chimique, soit le recours à des substances psychoactives utilisées dans un but de discipline ou de commodité et non requises pour traiter des symptômes médicaux. Sanimedia6 retient la définition suivante: «Une mesure grave, appliquée à l'insu ou sans le consentement libre et éclairé du patient. Elle restreint sa liberté individuelle et peut porter atteinte à sa dignité.»
Dans l'Exposé des motifs7 ayant précédé l'adoption des anciens articles 23d et 23e LSP-VD, on peut lire que ceux-ci visent «toute mesure appliquée à l'insu d'un patient ou contre sa volonté et qui restreint sa liberté personnelle, comme l'isolement, l'interdiction de circuler librement ou d'entrer en contact avec ses proches, les limites d'accès aux moyens de loisirs (radio, TV, sortie, cafétéria), l'absence d'intimité, etc.».
Le nouveau droit fédéral vise uniquement les mesures limitant la liberté de mouvement. Même si cette notion doit être comprise dans un sens large8, il n'en reste pas moins que cela écarte a priori une série de mesures restreignant la liberté personnelle, portant atteinte à l'autodétermination de la personne et pouvant pourtant s'avérer incisives, d'autant plus pour les personnes fragilisées qu'elles frappent. La jurisprudence devra préciser la véritable portée du nouveau droit et ce que comprend précisément les mesures limitant la liberté de mouvement au sens de l'article 383 CC.
Selon le Message9, la mesure limitant la liberté de mouvement «recouvre aussi bien la surveillance électronique, la fermeture des portes et les entraves telles que des liens ou des barrières visant à éviter des chutes». Des auteurs10 soulignent à juste titre qu'il y a aussi lieu d'englober les dispositifs utilisant les faiblesses de l'incapable pour limiter la liberté de mouvement, par exemple le fait de mettre à un fauteuil roulant le frein que le résident ne pourra enlever lui-même. VAERINI11 résume la position de la majorité des commentateurs, en précisant que la mesure limitant la liberté de mouvement «recouvre la surveillance électronique, la fermeture des portes ainsi que d'autres formes d'isolement, les entraves visant à éviter les chutes (ceintures, barrières de lit, lanières, tablette fixée à une chaise roulante) et les mécanismes empêchant de quitter ou d'accéder à un certain périmètre (dispositifs mécaniques de fermeture de portes, bracelets électroniques, ascenseurs à code, leurres, etc.)». Certains auteurs y ajoutent les soins d'hygiène forcés ou l'alimentation forcée12. La plupart écartent la vidéosurveillance13, mais on ne sait pas précisément comment ils la distinguent de la surveillance électronique (qu'ils incluent dans les mesures visées). Le port de mitaines, utilisé pour empêcher le résident de se blesser, paraît également inclus dans les mesures visées14.
La majorité des auteurs15 estime que les mesures considérées comme «moyens auxiliaires» et les restrictions générales et institutionnelles à la liberté de mouvement ne sont pas visées par l'article 383 CC. VAERINI16 précise que cette notion au sens du droit fédéral ne «devrait pas inclure les mesures générales de surveillance qui ont pour but au personnel d'intervenir à des fins d'assistance. Ainsi, par exemple, la mise en place de tapis de lit électroniques devrait être considérée comme une mesure de surveillance générale (comme par exemple la garde de nuit).»
Les commentateurs17 considèrent pour la plupart18 que la disposition fédérale ne vise pas d'autres restrictions à la liberté, telle que les interdictions, par exemple, de toute consommation d'alcool ou de celle de fumer.
On ne discerne pas encore la position de la doctrine quant à la mesure consistant à priver le résident de l'utilisation de son téléphone portable, à l'obliger de porter un bracelet d'identification, une bavette (souvent infantilisante), lui interdire certaines consommations, restreindre ses visites, etc.
Quant à la contention chimique, qui a pourtant pour résultat de
limiter la liberté de mouvement, elle n'est pas visée par les articles 383 ss CC, mais régie19 par les dispositions traitant des mesures médicales (art. 377 ss et 433 ss CC en matière de placement à des fins d'assistance), ce qui pourra s'avérer problématique et insuffisant dans bien des situations20. Faute de place, nous ne pouvons développer ici cette question, pourtant cruciale en pratique.
1.2. Limitations quant aux personnes visées
Une autre différence importante réside dans le champ d'application personnel. Les législations cantonales visaient de manière générale tous les patients et les résidents. Les nouvelles dispositions du Code civil traitant des mesures limitant la liberté de mouvement posent deux conditions cumulatives pour leur application: d'une part, résider dans un établissement médicosocial (EMS) ou un home21 et, d'autre part, être incapable de discernement. Cela signifie que le nouveau droit de la protection de l'adulte ne vise pas d'autres personnes. Ainsi, même s'ils vivent dans de tels établissements, les résidents qui sont capables de discernement ne sont pas concernés. De même, le Code civil ne traite pas des mesures limitant la liberté de mouvement et frappant des personnes, capables ou incapables de discernement, qui ne résident pas dans de tels établissements, mais qui se trouvent dans d'autres institutions de santé, tout comme ceux hébergés à domicile.
1.3. Conséquences de telles limitations
Le premier constat est que, pour les situations non visées par les articles 383 ss CC, il n'y a pas de base légale en droit fédéral permettant de prendre de telles mesures, même si elles s'avèrent nécessaires. Deuxièmement, la réglementation n'est pas la même selon qu'on réside ou non dans un EMS et, au surplus, selon qu'on est capable ou non de discernement. Le système retenu par le législateur fédéral sera ainsi forcément complexe à pratiquer sur le terrain, en particulier compte tenu du fait que la notion d'incapacité de discernement est relative et qu'elle n'est pas toujours facile à déterminer22. Cela entraînera à ne pas manquer de grandes incertitudes quant à savoir si les articles 383 ss CC s'appliquent ou non à la situation concernée. Cette situation risque au surplus d'avoir des effets pervers. Tout d'abord, l'institution sera tentée de qualifier trop rapidement23 et systématiquement le résident d'incapable de discernement, afin de pouvoir lui appliquer des mesures limitant sa liberté de mouvement.
Par ailleurs, les limitations du champ d'application du droit fédéral pourraient faire penser aux acteurs du terrain qu'il n'y a aucun encadrement pour les autres mesures et pour les autres patients et résidents. La protection offerte par le droit des patients, en particulier par le droit à l'information et au consentement libre et éclairé, risquera alors d'être bafouée. En outre, certaines mesures de contrainte ne seront considérées ni comme une mesure limitant la liberté de mouvement ni comme un soin ou un traitement médical, mais, par exemple, comme un simple «moyen auxiliaire» permettant au collaborateur d'assister la personne ou une mesure prise pour d'autres motifs non visés par le nouveau droit (l'interdiction de fumer, de boire, de téléphoner, etc.). Le traitement forcé risque aussi d'être problématique.
Il est vrai qu'il y aura d'autres moyens (cf. dispositions sur la protection de la personnalité) permettant aux patients et aux résidents d'agir à cet égard, mais leur absence dans le droit de la protection de l'adulte risque d'être prise comme un signal selon lequel tout le reste est permis par le droit fédéral.
En d'autres termes, une base légale et un dispositif permettant de cadrer convenablement ces pratiques nous paraissent nécessaires. Prenons l'exemple du tapis électronique. Il s'agit d'une mesure pouvant porter atteinte à l'intimité et, partant, aux droits individuels du résident. Cela n'est pas anodin et ne se résume pas uniquement à un moyen permettant au personnel d'apporter une assistance à la personne concernée, il s'agit aussi de mesures permettant par exemple de savoir si le résident rejoint la nuit ou reçoit un/e autre résident/e. Et que dire du fait de décider souverainement d'empêcher le résident de boire une goutte d'alcool, de porter obligatoirement un bracelet d'identification, de ne pas utiliser son téléphone, ne pas communiquer avec l'extérieur, etc., sans compter le traitement forcé. De telles mesures, très fréquentes sur le terrain, doivent pouvoir être prises si nécessaire et, surtout, être encadrées convenablement.
De ces constats en résulte un autre, à savoir les grandes complications que cela implique sous l'angle des autorités compétentes. Cette différence de traitement peut en effet entraîner en matière d'autorité compétente une dichotomie particulièrement peu heureuse dans un domaine aussi sensible que ces mesures.
L'exemple vaudois illustre bien cette question. Avant l'entrée en vigueur du nouveau droit fédéral, les mesures de contrainte étaient régies par les articles 23d et 23e aLSP-VD, avec une compétence pour assurer le respect de ces dispositions attribuée aux Commissions cantonales d'examen des plaintes des patients ou des résidents. Désormais, l'autorité de protection de l'adulte désignée par le canton de Vaud étant la Justice de paix24, celle-ci sera compétente uniquement pour les mesures visées par les articles 383 ss CC. Pour les autres cas, la Commission cantonale d'examen des plaintes sera compétente25. Il sera ainsi souvent difficile de déterminer à quelle autorité s'adresser. Outre cette difficulté, cette dichotomie risquera d'entraîner des pratiques divergentes pour les mêmes actes, ce qui, là encore, ne nous paraît pas être dans l'intérêt des résidents et des patients.
Ainsi, dans les cantons qui avaient déjà légiféré, le système retenu compliquera grandement la situation pour tous les acteurs du terrain.
2. Le but de la mesure
Alors que, dans plusieurs des législations cantonales romandes, l'instauration des mesures de contrainte n'était possible, «à titre exceptionnel» que «si le comportement du patient présentait un danger grave pour sa sécurité ou sa santé ou pour celle d'autres personnes»26, l'article 383 al. 1er ch. 2 CC permet aussi de recourir aux mesures limitant la liberté de mouvement du résident afin de «faire cesser une grave perturbation de la vie communautaire»27.
Si cette solution du législateur fédéral, certainement pratique pour l'institution et parfois nécessaire, peut être admise et même s'avérer bénéfique pour permettre d'assurer la sécurité et le bien-être des autres résidents et du personnel de l'établissement, elle ouvre la porte à des interprétations divergentes quant à sa signification, avec le risque que l'institution soit tentée de recourir à ce motif afin de relâcher ses efforts en matière d'encadrement, voire de recourir à ces mesures à titre punitif ou de représailles28.
Ce risque a d'ailleurs été perçu durant les travaux préparatoires, comme l'atteste cet extrait du Message29: «L'élément déterminant est le degré de compréhension et de tolérance qui peut être exigé des autres résidents. Il convient toutefois de relever qu'un encadrement adéquat fourni par le personnel soignant permet d'éviter des perturbations intolérables de la vie communautaire. Les différents aspects du principe de la proportionnalité méritent en ce domaine une attention particulière, des mesures de contention ne pouvant être justifiées en principe par le seul souci de réduire l'effectif du personnel.» Il est évident qu'un tel but motivant l'instauration de mesures limitant la liberté de mouvement ne devra ainsi être admis que très restrictivement, dans le plus strict respect du principe de la proportionnalité, ne serait-ce que pour être compatible avec la CEDH.
3. La personne habilitée à prendre la mesure
Alors que les textes cantonaux romands exigeaient, pour la plupart, que la décision ordonnant des mesures de contrainte émanât d'un médecin30, avec possibilité d'une délégation à un autre professionnel de la santé ayant les compétences nécessaires31, le droit fédéral se contente de mentionner «l'institution» à l'article 383 al. 1 CC. Selon le Message32, il appartiendra à l'institution de déterminer, dans son règlement interne, qui pourra ordonner une telle mesure, compétence qui sera susceptible d'être attribuée au directeur ou à un chef de service. Nous rejoignons l'avis de VAERINI33 qui considère que le droit cantonal qui légiférerait sur la question34 l'emporterait sur un règlement interne prévoyant une solution différente.
Si cette solution, là encore certainement pragmatique, peut s'avérer bien pratique, en particulier pour les directions d'EMS, elle paraît peu opportune dans de nombreuses situations. Cela est d'autant plus vrai que l'instauration de mesures limitant la liberté de mouvement, poursuivant pourtant un but de sécurité et de protection de l'intégrité, n'est de loin pas anodine et peut avoir elle-même des conséquences néfastes, parfois très graves, pour la santé physique et psychique du résident concerné. Ces risques ont été démontrés par de nombreuses études et soulignés par divers organismes35. La Civess36 rappelle ainsi qu'une «mesure de contention présente des risques d'étranglement, étouffement, blessures, contusions, genèse de comportement d'agitation, diminution de l'autonomie, infantilisation). La perte de la dignité peut entraîner des effets psychologiques importants. La mesure peut donner une fausse sécurité au personnel.»
Ainsi, s'agissant de mesures incisives, voire potentiellement dangereuses, et en réalité intimement liées à une appréciation médicale de la situation, le regard d'un professionnel de la santé (médecin ou infirmier délégué) formé dans le domaine s'avère indispensable. On ne voit d'ailleurs pas comment se passer d'un professionnel de la santé, alors qu'il faudra, pour l'application du droit fédéral, déterminer d'abord si la personne est incapable de discernement au moment de la décision d'instaurer la mesure.
4. La consultation préalable de l'équipe soignante
On ne peut que saluer l'exigence posée par l'article 383 al. 2 CC selon laquelle le résident, même s'il est incapable de discernement, doit être informé préalablement «de la nature de la mesure, de ses raisons, de sa durée probable ainsi que du nom de la personne qui prendra soin d'elle durant cette période», cela afin de réduire son stress et sa frustration37. Le résident doit en effet toujours être au centre de l'appréciation de la situation. Cela étant, le droit fédéral ne prévoit pas la consultation préalable de l'équipe soignante, ni même du médecin traitant.
La plupart des lois cantonales romandes38 exigeaient expressément que, avant qu'une mesure de contrainte ne soit ordonnée, l'équipe soignante soit consultée. En effet, il paraît difficile de s'assurer de l'adéquation d'une telle mesure sans une approche globale, intégrant forcément l'équipe soignante au sens large, composée des personnes qui sont en contact direct et souvent quotidien avec le résident concerné par la mesure, qui connaissent certainement le mieux celui-ci et qui ont de précieuses compétences pour apprécier la situation. Encore une fois, ces mesures peuvent avoir des conséquences graves, pouvant même aller à l'encontre du but de la loi, qui est d'apporter une protection accrue aux résidents les plus fragilisés.
La nécessité d'une telle discussion est pourtant soulignée dans le Message39, qui paraît toutefois considérer que cela découle implicitement du devoir d'information au résident. Or, cette exigence de la consultation du personnel soignant n'est pas expressément prévue dans le texte fédéral, ce qui est regrettable à notre sens et ouvre, là encore, la porte à des applications différenciées et peu rigoureuses sur le terrain. En l'état, un directeur d'EMS pourrait théoriquement décider seul d'imposer lui-même directement une telle mesure, sans en référer à qui que ce soit. Ainsi, le droit fédéral aurait dû, à notre sens, mentionner expressément l'obligation d'une consultation préalable de l'équipe soignante au sens large.
5. Le représentant et les proches - devoir d'information
Le droit fédéral ne prévoit pas non plus une discussion préalable avec le représentant ou les proches. Or, il résultait de certains textes cantonaux40 qu'une décision instaurant une mesure de contrainte nécessitait une collaboration avec eux. S'il est vrai que la solution fédérale est, là encore, plus pratique pour les établissements, elle peut paraître difficile à comprendre.
Pour un proche, déjà souvent culpabilisé par la situation, voir son parent sous le coup d'une telle mesure peut s'avérer particulièrement pénible et une discussion préalable avec lui faciliterait certainement sa compréhension d'une telle décision. La collaboration des proches pourrait en outre constituer une ressource pouvant aller jusqu'à permettre d'éviter la mesure. Quant au représentant médical, il aurait été plus cohérent, compte tenu notamment des nouvelles dispositions fédérales à cet égard et sur les directives anticipées, de prendre en compte son avis (sans toutefois que son accord soit nécessaire) avant de décider d'une mesure limitant la liberté de mouvement.
En ce qui concerne le devoir d'information, le droit fédéral l'impose uniquement envers le représentant médical (art. 384 al. 2 CC), alors même que les proches sont aussi en droit de saisir l'autorité de protection de l'adulte contre la mesure (art. 385 al. 1 CC). Sans devoir d'information à l'égard du proche, il sera parfois difficile pour ce dernier d'utiliser la voie (qui n'est pas un appel en tant que tel) offerte par cette disposition.
6. Les exigences quant à la surveillance du résident, au protocole et à la décision
Les législations cantonales romandes exigeaient, pour la plupart expressément, que, durant toute la durée de la mesure, une surveillance renforcée du patient soit exercée41, ce qui signifie, en particulier, que l'équipe soignante doit veiller sur le patient d'une manière particulièrement attentive42. Par ailleurs, des évaluations régulières et fréquentes étaient obligatoires pour le maintien de la mesure et le résultat des réévaluations successives devait être dûment protocolé et inséré dans le dossier du patient43. L'article 27 al. 1 aLSP-VS prévoyait que les évaluations périodiques pour décider du maintien de la mesure de contrainte devaient impliquer d'autres professionnels de la santé que ceux qui ont ordonné la mesure. A Fribourg (art. 54 al. 1 aLSan) et dans le canton du Jura (art. 28b al. 1 aLS), la loi précisait que la réévaluation devait avoir lieu plusieurs fois par jour. Enfin, certaines lois impartissaient un délai de cinq jours à l'autorité compétente pour rendre sa décision quant à l'interdiction de la mesure, sa levée ou son maintien44.
De telles exigences sont nécessaires en raison des conséquences graves pour la santé physique et psychique du résident que peuvent avoir, comme on l'a dit, les mesures limitant la liberté de mouvement, lesquelles s'aggravent avec la durée. Malgré cela, elles n'ont pas été reprises par le législateur fédéral, alors même que les mesures visées sont au fond les plus incisives, puisqu'il s'agit principalement des mesures de contention. La surveillance renforcée en particulier et une réévaluation très fréquente sont véritablement indispensables et les organismes recommandant les bonnes pratiques ne manqueront certainement pas d'insister sur cette nécessité.
7. Les dispositions cantonales romandes subsistant dans ce domaine
On le voit, le droit fédéral ne règle, en définitive, que partiellement la problématique. Pour cette raison, certains cantons ont décidé de maintenir, pour le surplus dans leur législation sanitaire, des dispositions réglant les mesures de contrainte. Cette compétence résiduelle des cantons dans ce domaine doit pouvoir être admise. En effet, il résulte tout d'abord des règles de répartition de compétences posées par la Constitution fédérale que les cantons sont compétents pour légiférer en matière de santé publique et de droit des patients45. En outre, dans ce domaine, le législateur fédéral a seulement voulu poser un cadre minimal46 protégeant les personnes les plus faibles et n'a visiblement pas entendu régler la matière de manière exhaustive47. Enfin, de telles règles cantonales poursuivent un but d'intérêt public indéniable, cela sans éluder ou contredire le droit fédéral48.
Dans le canton de Vaud, le législateur a maintenu49, dans sa loi sur la santé, une disposition sur les mesures de contrainte, en commençant par rappeler l'interdiction générale, tout en renvoyant, pour le surplus, à l'application des dispositions du Code civil pour la mise en place de ces mesures dans les situations non visées par le droit fédéral. Cela a le mérite de permettre au moins d'élargir le champ d'application personnel et de prévoir une base légale pour les mesures qui ne sont pas concernées par le droit fédéral, mais cela réduira tout de même, par rapport à l'ancienne réglementation cantonale, les exigences liées à la prise de décision et à l'encadrement pour tous les patients et les résidents du canton.
D'autres cantons romands50 ont été plus loin et ont décidé de maintenir, dans l'ensemble, leur ancienne réglementation, tout en ajoutant une réserve du droit fédéral, afin de tenir compte du nouveau droit fédéral de la protection de l'adulte.
8. Conclusion
Le fait que le droit fédéral a apporté dans ce domaine un ancrage légal spécifique et une certaine unification de la matière constitue assurément un progrès au niveau national. Cela étant, on l'a vu, l'unification n'est que partielle et le cadre posé seulement minimal. Il est vrai que, même dans les cantons romands dont les législations réglementaient les mesures de contrainte, la limite de ce qui était admissible n'était pas toujours claire. Il n'en reste pas moins que, à maints égards, pour ces cantons, s'ils s'en tenaient uniquement au nouveau droit fédéral, cela aboutirait à une moins bonne protection des droits des patients et des résidents.
En définitive, on peut se demander si le législateur fédéral n'aurait pu profiter de cette grande réforme du droit de la protection de l'adulte pour adopter une approche globale des mesures de contrainte permettant de retenir des solutions novatrices plus nuancées, prévoyant, par exemple, un traitement différencié selon le type de la mesure retenue51 et tenant mieux compte de la réalité complexe du terrain.
1 Présidente du Conseil d'éthique (anc. Ordre professionnel) de l'Association vaudoise des établissements médico-sociaux (AVDEMS). L'auteure s'exprime ici en son nom personnel.
2 Cf. dans leur teneur avant le 1.1.2013: art. 53 et 54 de la loi fribourgeoise du 16.11.1999 (LSan-FR; RS/FR 821.0.1); art. 50-51 de la loi genevoise sur la santé du 7.4.2006 (LS-GE; RS/GE K 1 03); art. 28a-28b de la loi sanitaire du 14.12.1990 du Jura (LS-JU, RS/JU 810.01); art. 23d-23e de la loi vaudoise sur la santé publique du 29.5.1985 (LSP-VD, RS/VD 800.01); art. 26-27 de la loi valaisanne sur la santé du 14.2.2008 (LS-VS, RS/VS 800.1). Cf. aussi art. 11 ss du Règlement neuchâtelois du 19.5.2004 concernant la protection des patients hospitalisés en milieu psychiatrique (RPP-NE, RS/NE 807.301) et régissant les mesures restreignant la liberté personnelle.
3 L'art. 28a al. 3 aLS-JU précise toutefois qu'«on entend par mesure de contrainte l'isolement, la contention et la limitation des contacts avec l'extérieur».
4 ASSM, Directives médicoéthiques du 24.5.2005 sur les mesures de contrainte en médecine, p. 4.
5 Conseil d'éthique de l'AVDEMS, Recommandations sur les mesures de contrainte en EMS, 2013 (mettant à jour celles de l'Ordre professionnel de 2010), www.avdems.ch.
6 Sanimédia, Information en santé publique - L'essentiel des droits des patients, oct. 2009, p. 12.
7 EMPL, Bulletin du Grand Conseil vaudois (BGC) 20.11.2001, p. 5129.
8 Message du Conseil fédéral du 28.6.2006, FF 2006 6635, p. 6673.
9 Ibid.
10 LEUBA Audrey/TRITTEN Céline, La protection de la personne incapable de discernement séjournant en institution, RDT 2003, pp. 284 ss, 292-293; VAERINI Micaela, in LEUBA Audrey et alii (Ed.), Protection de l'adulte, Commentaire du droit de la famille (cité: CommFam), Berne 2013, ad art. 383, p. 331 N° 10.
11 VAERINI Micaela, Les mécanismes de contrôle dans le cadre des mesures limitant la liberté de mouvement, FamPra.ch 2012, pp. 962 ss, 963.
12 MEIER Philippe/LUKIC Suzana, Introduction au nouveau droit de la protection de l'adulte, Genève 2011, N° 354 et 731.
13 MEIER/LUKIC, N° 354; MÖSCH PAYOT PETER, in BÜCHLER A. Jakob D.(Ed.), Kurzkommentar ZGB, Bâle 2012, ad art. 383-385 N° 5; VAERINI, Les mécanismes, p. 963.
14 VAERINI, CommFam, p. 331 N° 10.
15 Par exemple MÖSCH PAYOT, ad art. 383-385 N° 5; VAERINI, Les mécanismes, p. 963. Cf. aussi Copma, Droit de la protection de l'adulte, Guide pratique, Zurich 2012, ch. 11.14.
16 VAERINI, CommFam, p. 331 N° 9.
17 MEIER/LUKIC N° 354; MÖSCH PAYOT, ad art. 383-385 N° 9; VAERINI, CommFam, p. 332 N° 11.
18 Tel ne semble pas être le cas de TRITTEN HELBLING Céline, La protection juridique de la personne âgée victime de maltraitance en institution, Bâle 2013, p. 39, note 201; TRITTEN Céline, Les directives médicoéthiques et recommandations de l'ASSM relatives à la prise en charge des personnes âgées en situation de dépendance, RDT 2005, pp. 70 ss, 80.
19 Message p. 6673; VAERINI, CommFam, p. 330 N° 8, et VAERINI, Les mécanismes, p. 963.
20 Cf. critiques de MÖSCH PAYOT ad art. 383-385 N 7. Cf. aussi GUILLOD Olivier/HELLE Noémie, Traitement forcé: des dispositions schizophrènes?, RDT 2003, pp. 347 ss.
21 LEUBA/VAERINI, CommFam, Intro. aux art. 382-387 N° 15 ss, précisent (N° 19) que les courts séjours sont aussi visés.
22 LEUBA A./GUILLOD O./VAERINI M., in CommFam, Rem. prél. art. 374-387 pp. 229-230, et LEUBA, CommFam, ad art. 374, pp. 241-242 N. 23 ss et réf.; TRITTEN HELBLING, p. 58.
23 Sur ce risque de «galvauder» la qualification de l'incapacité de discernement, cf. NIVEAU Gérard, in CommFam, pp. 62-63 N. 31.
24 Art. 4 de la loi vaudoise d'application du droit fédéral de la protection de l'adulte et de l'enfant du 29.5.2012 (LVPAE; RS/VD 211.255).
25 Art. 23e nLSP-VD.
26 Par exemple art. 50 aLS-GE; art. 28a aLS-JU; art. 23d al. 2 aLSP-VD; art. 26 aLS-VS. L'art. 53 al. 2 lit. b ch. 2 aLSan-FR vise aussi le comportement du patient qui «perturbe gravement l'organisation et la dispensation des soins».
27 Ce motif est aussi mentionné par l'ASSM, Directives 2005 sur les mesures de contrainte, p. 12.
28 TRITTEN, Les directives, p. 81, n. 72.
29 Message p. 6673.
30 Art. 50 al. 2 aLS-GE; art. 28a al. 2 aLS-JU; art. 23d al. 2 aLSP-VD; art. 26 al. 2 aLS-VS. Selon l'art. 53 al. 2 aLSan-FR, la décision relève du responsable de l'institution «sur la proposition des professionnels de la santé rattachés à l'institution».
31 Art. 50 al. 3 aLS-GE; art. 28a al. 4 aLS-JU; art. 23d al. 3 aLSP-VD; art. 26 al. 3 aLS-VS.
32 Message, p. 6673.
33 CommFam, ad art. 383 p. 337 N° 29.
34 Cf. ci-dessous sur la possibilité pour les cantons de légiférer pour le surplus.
35 Conseil d'éthique, pp. 9 ss & réf.; NIVEAU, p. 63 N° 33; VAERINI, CommFam, p. 338.
36 Coordination interservices des visites en établissements sanitaires et sociaux dans le canton de Vaud (anc. CIVEMS), Document de référence sur les mesures de contrainte du 19.1.2010, p. 7.
37 Message, p. 6673.
38 Art. 50 al. 2 aLS-GE; art. 28a al. 2 aLS-JU; art. 23d al. 2 aLSP-VD; art. 26 al. 2 aLS-VS. L'art. 53 al. 2 aLSan-FR exige «une proposition des professionnels de la santé rattachés à l'institution».
39 Message p. 6673.
40 P. ex. art. 53 al. 2 aLSan-FR; art. 50 al. 2 aLS-GE; art. 28a al. 2 aLS-JU; art. 23d al. 2 aLSP-VD.
41 P. ex. art. 54 aLSan-FR; art. 51 al. 1 aLS-GE; art. 28b al. 1 aLS-JU; art. 23e al. 1 aLSP-VD; art. 27 al. 1 aLS-VS. Cf. aussi art. 12 al. 2, art. 13 et 14 al. 3 RPP-NE.
42 Art. 28 al. 1 aLS-JU.
43 Cf. art. 23e al. 1 aLSP-VD.
44 Art. 28b aLS-JU; art. 23e al. 3 aLSP-VD.
45 Cf. art. 3 Cst.
46 LEUBA/VAERINI, CommFam, ad art. 382 N° 10, affirment au sujet de l'art. 382 que «cette disposition assure une protection minimale de l'incapable, protection que les cantons, dans le cadre de leur compétence en matière d'organisation et de surveillance des institutions de la santé, ont la possibilité d'étendre». Cf. aussi MÖSCH PAYOT, ad art. 383-385 N° 9.
47 Message, p. 6649.
48 Art. 6 CC; ATF 137 I 135, 140, c. 2.5.2; cf. aussi PIOTET Denis, L'harmonisation du projet de révision de la protection de l'adulte avec le système de la codification et son intégration dans l'ordre juridique, spécialement ses effets sur le droit cantonal, RDT 2003, pp. 248 ss, 255 ss.
49 BGC du 29.5.2012; FAO/VD du 26.6.2012 et nouvel art. 23d LSP-VD.
50 Cf. art. 53 ss nLSan-FR (l'art. 53 al. 3 réserve les dispositions du CC sur la protection de l'adulte); art. 50 et 51 nLS-GE; art. 28a nLS-JU (cf. al. 1 in fine et al. 5 qui renvoie au CC). Cf. aussi art. 26 et 27 LS-VS et art. 40 de l'ordonnance du 22.8.2012 sur la protection de l'enfant et de l'adulte (OPEA, RS/VS 211.250).
51 C'est l'approche préconisée par le Conseil d'éthique de l'AVDEMS, qui recommande aussi de prévoir notamment des mesures compensatoires, telles que des animations individuelles ou des prestations supplémentaires en faveur du résident sous le coup d'une telle mesure.