Le Code de procédure pénale suisse (CPP) met à disposition des autorités d'enquêtes pénales un certain nombre de méthodes d'investigation particulières appelées «mesures de surveillance secrètes». Ces mesures de surveillance ont la particularité d'avoir, en principe, lieu à l'insu de la personne surveillée et d'utiliser un appareil permettant d'écouter, d'observer, de localiser, d'identifier ou de recueillir de n'importe quelle manière des informations sur un individu, un objet ou un lieu. Si les écoutes téléphoniques sont les plus connues, le CPP en prévoit un catalogue plus large: surveillance de la correspondance par poste et télécommunication ainsi que la récolte des données secondaires (données relatives au trafic, à la facturation et à l'identification des usagers), surveillance des relations bancaires, observation et emploi d'autres dispositifs techniques de surveillance (micros, caméras, balises GPS).
Le caractère secret de ces actes d'enquête en fait très souvent leur succès, mais représente également un risque d'abus: comme la personne surveillée n'a pas connaissance de ce qui se passe, elle peut difficilement faire respecter ses droits. Contrairement au cas d'une perquisition par exemple, la personne visée ne connaît, ni ne voit, les actes de la police. Celui qui est surveillé n'a pas la possibilité de s'opposer immédiatement ou de demander des explications. Le CPP prévoit donc des modalités spéciales pour ces techniques spéciales d'investigation, afin de s'assurer du bon respect de la procédure et des droits des personnes touchées par la surveillance.
Ces mesures particulières sont d'abord soumises à autorisation et ne peuvent être utilisées qu'à certaines conditions 1. La personne surveillée doit ensuite être informée une fois que la surveillance est terminée, ce qui lui donne la possibilité de contrôler, voire de faire contrôler par une autorité judiciaire, la légalité des actes d'enquête 2. Il existe évidemment quelques exceptions à l'information 3. Finalement, les résultats obtenus sans autorisation sont absolument inexploitables et une indemnité peut être accordée à certaines conditions 4.
1. Pour qu'une mesure de surveillance soit ordonnée, il faut que des soupçons suffisants laissent présumer une infraction et que la mesure soit prévue par la loi et proportionnée, comme pour toutes les mesures de contrainte. Les mesures de surveillance sont, en revanche, réservées à la poursuite de certaines infractions particulières. La surveillance de la correspondance par poste et télécommunication ainsi que les autres mesures techniques de surveillance ne sont permises que pour les infractions citées à l'art. 269 al. 2 CPP, alors que la récolte des données accessoires, la surveillance des relations bancaires et l'observation sont autorisées pour les délits et crimes.
La procédure d'autorisation (également appelée «contrôle a priori») est prévue pour la surveillance de la correspondance, l'obtention de données accessoires et l'utilisation d'autres dispositifs de surveillance. Ces mesures sont ordonnées par le Ministère public puis autorisées par le Tribunal des mesures de contrainte. Sa décision doit intervenir dans les cinq jours suivants le début de la surveillance et elle a un effet rétroactif. La décision du Ministère public n'a donc qu'un effet provisoire, même si elle est immédiatement exécutoire. L'exploitation des résultats de la surveillance
ne sera pourtant pas possible si le Tribunal des mesures de contrainte n'accorde pas l'autorisation demandée.
Le CPP prévoit une procédure différente pour la surveillance des relations bancaires: sur proposition du Ministère public, le Tribunal des mesures de contrainte peut ordonner la surveillance des relations bancaires. Alors que la version française du CPP dit que le Tribunal des mesures de contrainte peut «autoriser» une telle surveillance (mais précise ensuite qu'il donne à la banque des directives écrites sur le type d'informations et de documents à fournir), les versions allemande et italienne de l'art. 284 CPP parlent d'«ordonner» («anordnen» et «disporre»). La surveillance des relations bancaires ne débuterait alors seulement après que le Tribunal des mesures de contrainte a statué. Cette différence s'explique, car le législateur a perdu de vue qu'il s'agissait d'une surveillance en temps réel (et pas de l'obtention ultérieure de documents, ce qui serait le cas d'une injonction de dépôt ou d'une mesure de séquestre). La Convention du Conseil de l'Europe relative au blanchiment, au dépistage, à la saisie et à la confiscation des produits du crime et qui vise des techniques spéciales d'enquêtes à laquelle fait référence le Message du Conseil fédéral concerne pourtant la surveillance en temps réel. Dans ces circonstances, il convient d'appliquer par analogie, et malgré la terminologie utilisée, la procédure appliquée pour la surveillance de la correspondance et retenir que le Tribunal des mesures de contrainte autorise la surveillance que le Ministère public a précédemment ordonnée. La surveillance serait en outre effective dès la décision du Ministère public.
2. Le CPP prévoit une obligation d'informer, appelée «communication». La communication de mesures restées jusqu'alors secrètes découle aussi du droit à un recours effectif garanti par l'art. 13 de la Convention européenne des droits de l'homme. Elle ouvre la voie à une mesure de contrôle a posteriori appelée recours. Il ne s'agit pourtant pas d'un recours à proprement parler, mais d'une nouvelle voie de droit dont l'objet est le contrôle de l'ensemble de la surveillance avec un plein pouvoir d'examen en fait et en droit.
La communication doit intervenir indépendamment du résultat de l'enquête: elle doit permettre de contrôler les conditions de surveillance et elle est d'autant plus nécessaire que les atteintes portées aux libertés individuelles ne sont guère connues durant la surveillance. Le fait que la surveillance n'ait pas été autorisée ou que les résultats obtenus ne puissent pas être utilisés (pour des raisons légales ou parce qu'ils n'apportent rien à l'enquête) ne justifie pas de renoncer à l'information. Surveiller un individu constitue déjà une atteinte suffisante à la sphère privée, indépendamment de l'exploitation des résultats de la surveillance.
Pour celui qui surveille également, la possibilité qu'un contrôle a posteriori ait lieu même si les résultats de la surveillance ne sont pas utilisés en tant que preuve le pousse à respecter la procédure dans tous les cas, et non seulement dans l'hypothèse où il serait contraint de déposer au dossier de la cause les éléments qu'il a obtenus par le biais d'une surveillance. Cela doit aussi permettre de limiter le risque d'une surveillance illégale qui interviendrait en dehors du dossier de la procédure, mais dont les résultats permettraient ensuite d'obtenir (dans le cadre légal de la procédure) d'autres preuves, voire des aveux, et finalement de supprimer toutes traces de la surveillance initiale.
Le Ministère public doit communiquer au plus tard lors de la clôture de la procédure préliminaire les motifs, le mode et la durée de la surveillance. La communication devrait avoir lieu par écrit et contenir la mention de la personne contre laquelle la procédure pénale est dirigée et les infractions présumées, les motifs, le genre et la durée de la surveillance, l'autorisation et les conditions auxquelles elle a été accordée ainsi qu'une référence aux voies de droit. Le sort réservé aux données recueillies devrait aussi être précisé. Il serait finalement préférable que cette communication intervienne avant et non lors de la clôture de la procédure préliminaire, afin que le prévenu puisse prendre position sur les résultats de la surveillance encore dans le cadre de la procédure préliminaire.
Le fait que le prévenu puisse déduire l'existence d'une surveillance des questions qui lui sont posées lors d'un interrogatoire par la police ou le Ministère public ne suffit pas à remplacer une information. De même, le droit d'accès au dossier (découlant du droit d'être entendu), qui permet aux parties de prendre connaissance de l'autorisation et des résultats de la surveillance, ne remplace pas la communication.
L'accès au dossier doit permettre au prévenu de préparer correctement sa défense, alors que la communication de la surveillance sert en particulier à vérifier que les conditions de surveillance et les droits de la personne surveillée ont été respectés. La personne surveillée a intérêt à savoir dès que possible qu'elle a été l'objet d'une surveillance. Dans le cas où une personne surveillée n'aurait pas la qualité de partie à la procédure, elle ne bénéficierait pas de ce droit d'accès au dossier. Les seules informations qu'elle aura sont celles liées à la communication et aux droits qui en découlent. Elle doit être informée de manière complète et compréhensible sur les raisons qui ont conduit à sa surveillance.
L'information devrait être complète et permettre à la personne surveillée de connaître l'intégralité des informations recueillies, mais aussi les éléments qui ont conduit à la mise en place de la surveillance. C'est l'unique moyen pour la personne surveillée de contrôler si la décision prise était justifiée et si un recours s'impose dans le cas contraire.
En même temps, le Ministère public doit faire face à une difficile pesée d'intérêts, puisqu'il y a lieu de tenir compte de la protection de la sphère privée d'autres personnes concernées. Le dossier renfermera généralement des données personnelles sur des tiers qui méritent également une protection. Dans ces circonstances, l'information doit permettre au destinataire de comprendre les raisons qui ont conduit à la surveillance et indiquer qu'elle a le droit de consulter le dossier. Le droit de prendre connaissance des données recueillies est alors respecté, et l'atteinte à la sphère privée des tiers est réduite. Il revient au Ministère public de décider quels détails doivent figurer dans la communication qui devrait toutefois indiquer le droit de consulter le dossier et les voies de recours.
Les destinataires de la communication sont le prévenu ainsi que le tiers qui a fait l'objet d'une surveillance. Le simple correspondant de la personne surveillée n'a pas besoin d'être informé. En plus des problèmes pratiques que cela pose, l'information de tous les correspondants aurait très souvent des conséquences désagréables pour la personne contre laquelle est dirigée la surveillance. Cela revient en effet à informer toutes les personnes qui ont été en contact avec elle qu'une procédure pénale est en cours et que les infractions reprochées sont d'une gravité telle que la mise en place des mesures techniques de surveillance se justifiait. Le droit de chacun d'être informé d'une atteinte à sa sphère privée s'oppose ici à la protection de la sphère privée de la personne principalement visée par la surveillance (le prévenu bénéficie encore à ce stade de la présomption d'innocence). Une priorité absolue ne doit toutefois pas être accordée définitivement à l'un ou à l'autre, mais il convient de procéder à une pesée des intérêts en présence et de tenir compte de l'intensité de la surveillance.
Dans les cas d'un correspondant très régulier, la situation est semblable à celle d'un tiers utilisant régulièrement l'objet de la surveillance. La fréquence et la durée d'utilisation peuvent constituer une augmentation sensible de l'atteinte et justifient, au regard du principe de la proportionnalité, une décision différente de celle prise concernant un simple correspondant occasionnel. Le correspondant régulier devrait aussi recevoir une communication et avoir la possibilité de déposer un recours.
3. Le Ministère public peut renoncer à la communication ou la différer si cela est indispensable pour protéger des intérêts publics ou privés prépondérants. L'accord du Tribunal des mesures de contrainte est exigé. Les informations recueillies ne pourront alors pas être utilisées à des fins probatoires. Il s'agit d'une interdiction absolue. Le prévenu a le droit d'avoir un accès complet à son dossier. L'égalité des armes impose également que l'accusation ne s'appuie pas sur des éléments auxquels la défense n'a pas accès.
Le CPP ne précise pas de quelle manière le Ministère public doit procéder pour obtenir l'accord du Tribunal des mesures de contrainte. En cas de refus de ce dernier, le Ministère public doit notifier la communication. Il n'a pas de possibilité de recourir.
Il n'existe malheureusement aucune autorité chargée de surveiller si l'information a lieu ou si une exception à la communication a été accordée.
Il se justifie de différer l'information lorsqu'une autre procédure pénale est en cours et que son aboutissement serait compromis, qu'il s'agisse de coauteurs ou d'une autre procédure dirigée contre la même personne ou que la surveillance n'a pas donné de résultats et qu'elle a été abandonnée, mais que de forts soupçons subsistent et qu'une nouvelle surveillance sera mise en place prochainement dans le cadre de la même procédure. Le fait de différer ou de renoncer à l'information ne doit pas avoir pour but d'empêcher le recours de la personne surveillée.
Si le Ministère public doit recueillir l'accord du Tribunal des mesures de contrainte pour différer ou renoncer à une communication, il peut en revanche décider librement du cercle des personnes qui recevront la communication. Le Ministère public pourrait ainsi considérer que la communication n'est pas nécessaire pour une autre personne que celle principalement visée par la surveillance (en général le prévenu, pour qui la communication est obligatoire). Il se dispenserait ainsi de l'accord du Tribunal des mesures de contrainte et personne ne pourrait s'y opposer.
Le Ministère public ne doit pas non plus pouvoir simplement renoncer à utiliser les informations obtenues comme preuves dans la procédure seulement pour éviter d'informer la personne surveillée. L'information doit également avoir lieu si les informations recueillies ne servent pas de preuve ou si la surveillance n'a donné aucun résultat.
Il manque donc une autorité pour contrôler le bon usage de la communication. L'autorité de recours pourrait par exemple se voir notifier systématiquement une copie de l'autorisation de surveillance et des communications. Elle pourrait vérifier à réception d'une communication qu'il n'y avait personne d'autre à informer. Périodiquement, elle pourrait s'inquiéter du sort réservé aux dossiers pour lesquels elle n'a pas reçu de communication et en vérifier le bien-fondé. Ce contrôle devrait être effectivement mené, car il ne sert à rien de créer une instance supplémentaire dont l'activité resterait théorique.
4. Les résultats d'une surveillance non autorisée ne peuvent pas être exploités, et ce de manière absolue. C'est le cas si l'autorisation a été refusée par le Tribunal des mesures de contrainte, si le Ministère public ne l'a pas demandée, si elle n'a pas été prolongée ou si la surveillance est déclarée illégale par l'autorité de recours lors du contrôle a posteriori. Cela concerne la surveillance de la correspondance par poste et télécommunication, l'obtention de données accessoires ainsi que l'utilisation d'autres dispositifs techniques de surveillance. Les résultats d'une surveillance non autorisée n'étant pas exploitables, ils ne pourront être pris en compte d'aucune manière par l'autorité. Il ne sera pas nécessaire de répondre à la question de savoir si l'autorisation nécessaire aurait pu ou non être accordée.
Pour ce qui est des informations obtenues dans le cadre d'une observation ou d'une surveillance des relations bancaires, le CPP ne les classe pas dans la catégorie des preuves inexploitables. Ce sont des preuves relativement inexploitables, c'est-à-dire qu'elles peuvent être utilisées si elles sont indispensables pour élucider des infractions graves.
Le prévenu qui a fait l'objet de mesures de contrainte de manière illicite a droit à une juste indemnité et à la réparation du tort moral. Le fait que le prévenu soit finalement condamné ne s'oppose pas à l'octroi d'une indemnité. La question de la culpabilité du prévenu doit être distinguée de celle de l'illicéité des actes d'enquête et du dommage subi de ce fait. Les tiers peuvent également prétendre à la réparation du dommage et du tort moral causés par des actes de procédure ou par l'aide qu'ils ont apportée aux autorités pénales.
A titre de conclusion, il n'est pas question de remettre en cause l'usage des mesures techniques de surveillance. Il convient toutefois de garder en mémoire qu'il s'agit de méthodes d'investigation spéciales qui doivent suivre un régime d'autorisation spécial. Les conditions prévues par la loi doivent être scrupuleusement respectées et la personne surveillée doit être informée dès que possible et de manière complète, car la communication est l'élément qui permet à la personne surveillée de faire valoir ses droits de concrètement.