Sans aucun doute, un frein aux poursuites chicanières sera mis, dès 2018. Une personne s’estimant victime d’un commandement de payer injustifié pourra, après trois mois, empêcher la communication de cet acte à des tiers. Ce veto restera toutefois sans effet si le créancier reprend à nouveau la main pour faire valoir ses droits, dans un délai de 20 jours imparti par l’Office des poursuites (OP) sur demande du débiteur (art. 8a al. 3 let. d nLP). «Dans le système suisse, où le bien-fondé des créances n’est pas vérifié avant une inscription au Registre, cette révision résout le problème le plus épineux pour les personnes physiques, se félicite Nicolas Jeandin, avocat et professeur à l’Université de Genève. Elle leur permet de protéger leurs intérêts à peu de frais, quand un créancier ne prend pas la peine de faire avancer la poursuite.»
Avocat à Genève et auteur d’un point de situation sur les poursuites injustifiées dans la Revue de l’avocat (3/2017 pp. 127 ss), Romain Jordan se réjouit également que le «potentiel de nuisance d’une poursuite malveillante se trouve ainsi réduit». Il estime toutefois qu’on aurait pu aller plus loin: «Il aurait par exemple été possible d’introduire une procédure moins onéreuse pour obtenir la radiation d’un commandement de payer, au lieu de simplement étendre le champ de l’action négatoire visant à empêcher la communication aux tiers. De plus, le Parlement a abandonné une proposition intéressante qui prévoyait la radiation si, sur la base d’un examen sommaire de l’OP, la poursuite ne répond de façon manifeste à aucun intérêt digne de protection.»
Trop complexe
Dans les milieux de la lutte contre le désendettement, les critiques sont également nombreuses. «Cette révision est un petit pas en avant, favorable par exemple aux personnes pénalisées par un commandement de payer injustifié quand elles recherchent un appartement, commente Mario Roncoroni, avocat coresponsable du Service de conseil en désendettement du canton de Berne. Mais le blocage de la consultation du Registre aurait dû être automatique dans certains cas. Car les poursuivis ont souvent de la peine à accomplir une démarche écrite et à respecter des délais.»
Réaction mitigée également de Sébastien Mercier, secrétaire général de Dettes Conseils Suisse: «Les nouvelles dispositions seront utiles pour limiter les poursuites abusives, mais la situation des personnes réellement endettées reste la même. La publicité du Registre est un obstacle à la recherche d’emploi ou à la réinsertion. Et même quand les dettes sont payées, elles apparaissent pendant encore 5 ans. Nous avions demandé, en vain, que cette durée soit ramenée à trois ans.»
Deux interprétations
Par la voix de sa conseillère juridique Rausan Noori, le service Dettes conseil de Caritas suisse salue dans l’ensemble la réforme, qui «améliore l’équilibre entre les intérêts des débiteurs, des créanciers et des tiers ayant un intérêt à consulter le Registre». Mais Caritas regrette que la révision soit limitée «aux cas où les poursuivis ont formé opposition», ce qui exclut notamment de «nombreux cas de poursuites au moins partiellement injustifiées des organismes de recouvrement, en raison de leurs prétentions illégitimes aux frais de retard et autres frais dits administratifs».
Les spécialistes de la LP ne partagent pas tous cette lecture de la loi. Pour Nicolas Jeandin, l’art. 8a al. 3 let. d devrait également s’appliquer aux poursuites non frappées d’opposition, puisqu’il prévoit aussi le droit de consultation des tiers lorsque «la poursuite est continuée», un scénario qui prévaut a fortiori en l’absence d’opposition. Selon Romain Jordan, «le texte légal permet en effet cette interprétation plus large, mais elle n’aurait guère de sens au vu du but poursuivi par la novelle, qui vise les cas où la créance est contestée, et d’ailleurs les travaux préparatoires semblent l’exclure.»
Moyens de preuve
Autre disposition révisée, l’art. 73 nLP laisse tomber le délai dans lequel le débiteur peut demander que le créancier soit sommé de présenter ses moyens de preuve. Il pourra désormais exercer ce droit en tout temps, et non seulement avant l’expiration du délai d’opposition. Une nouveauté saluée par nos interlocuteurs, mais avec quelques bémols. «Avec des créanciers comme les sociétés de recouvrement ou les assurances maladie, on a souvent de la peine à faire établir le bien-fondé des factures, note Sébastien Mercier. La révision est en soi positive sur ce point, mais, je doute qu’elle soit efficace en pratique. Car si les moyens de preuve ne sont pas apportés, le juge se contentera, ultérieurement, d’en tenir compte lors de la décision relative aux frais de procédure.»
A Caritas, Rausan Noori renchérit: «Les créanciers auraient été plus motivés à produire les moyens de preuve si leur non-présentation entraînait un renversement du fardeau de la preuve en faveur du poursuivi, dans la procédure de mainlevée, et si le juge devait tenir compte de cette non-présentation dans l’appréciation de l’existence de la créance.»
Restriction abandonnée
Enfin, une restriction à l’action en annulation de l’art. 85a LP sera abandonnée dès 2018: le débiteur pourra intenter cette action même s’il a fait opposition. Toutefois, la portée de cette nouveauté est relative, «car déjà à l’heure actuelle, l’action générale en constatation négative du droit permet d’obtenir le même effet, combinée en cas de gain de cause et entrée en force du jugement, avec une requête de restriction de l’accès au Registre pour les tiers (art. 8a al. 3 let. a LP)», souligne Rausan Noori. Par ailleurs, le TF a reconnu que la personne poursuivie a un intérêt digne de protection à intenter cette action, en raison des conséquences importantes de la publicité du Registre (TF 4A_414/2014). Auparavant, le soi-disant débiteur devait démontrer que la poursuite entravait concrètement le libre exercice de son activité économique.