Introduction
La médiation gagne en notoriété en Suisse comme à l’étranger. L’adoption à Genève de la nouvelle loi sur la médiation et des mesures de promotion qui l’accompagnent en témoigne bien et contribue à son développement. Vous avez dit «loi»? Le côté alternatif de la médiation l’oppose généralement au judiciaire et parfois au droit. Quand bien même il peut s’agir d’un sujet délicat, nous verrons que la médiation n’échappe pas, du moins pas complètement, au droit. À travers quelques questions choisies, principalement de droit fédéral, nous aborderons et apprécierons la portée de ce cadre juridique pour les parties et la médiatrice.
1. Droit avant la médiation
1.1 Clause de médiation
De plus en plus souvent, particulièrement dans les relations commerciales, on voit apparaître une clause de médiation au sein de divers contrats. Si cela démontre une popularité croissante de la médiation, les conséquences juridiques de la présence d’une telle clause sont encore incertaines et restent controversées. La jurisprudence actuelle et une partie de la doctrine retiennent que la violation d’une clause de médiation n’a pas pour effet l’irrecevabilité d’une demande en justice, contrairement par exemple au droit français, où elle constitue une fin de non-recevoir. Lorsque la clause prévoit la médiation comme préalable à l’arbitrage, le TF a toutefois jugé que la procédure doit être suspendue tant que la clause n’est pas exécutée.
Pour l’heure, il s’avère que la violation d’une clause de médiation préalable à une action en justice semble se limiter à une violation du contrat. Néanmoins, comme un dommage est difficile à établir dans un tel cas, seul l’ajout d’une clause pénale pourrait avoir un effet dissuasif ou réparateur. Certains auteurs, auxquels nous nous rallions, appellent à unifier les régimes, que l’on soit ou non dans le domaine de l’arbitrage. En effet, il nous paraît souhaitable que des clauses de médiation aient une portée claire afin qu’elles constituent un outil efficace pour prévenir, par un engagement en amont des cocontractants, l’escalade d’un futur conflit.
2. Droit pendant la médiation
2.1 Rapports juridiques entre parties et médiatrice
Le contrat conclu entre des parties et une médiatrice relève généralement du contrat de mandat au sens des art. 394 ss. CO. La personne médiatrice est dès lors soumise à cette forme de contrat qui n’entraîne évidemment pas d’obligation de résultat. Toutefois, le mandataire est soumis à une obligation de diligence (art. 398 CO). Cette dernière se délimite selon des critères objectifs, tels que des règles déontologiques.
Selon nous, cela signifie qu’il n’est pas nécessaire que la médiatrice ait, par une reconnaissance (p. ex. FSM ou FSA), par assermentation ou par agrément, positivement adhéré à des règles déontologiques pour que sa responsabilité contractuelle soit engagée si elle les viole. S’il peut être démontré qu’il existe un consensus dans la profession autour de certains principes de base de la médiation, ceux-ci pourraient être considérés comme des règles de l’art communément admises. Par conséquent, il nous semble utile de le prévoir expressément lorsque l’on souhaite s’en écarter (ou au minimum pouvoir justifier de s’en être écarté).
Il en va de même pour le respect de la confidentialité qui ressort, en principe, expressément du contrat mais aussi de l’obligation générale de discrétion du mandataire. Ce raisonnement s’applique aussi, selon nous, au devoir d’information du mandataire vis-à-vis de ses mandants. Notons à cet égard que si la médiation est exercée par une professionnelle du droit, il est d’autant plus important de tracer clairement les contours du mandat et d’examiner avec soin l’étendue de la responsabilité engagée. En outre, le contrat peut prévoir un certain nombre de droits pour la médiatrice, notamment celui de percevoir une rémunération sous forme d’honoraires.
Un contrat de mandat peut être résilié en tout temps, une indemnité étant due si la partie qui résilie sans motif sérieux cause un préjudice particulier à l’autre (art. 404 al. 1 et 2 CO). En ce qui concerne les parties, en tant que co-mandantes (cf. art. 403 CO), la résiliation du mandat se fait, en principe, conjointement. Il peut dès lors s’avérer utile de prévoir la possibilité pour chaque partie de le résilier avec effet pour l’autre. Néanmoins, lorsqu’une partie quitte la médiation, celle-ci perd son sens et la fin du contrat sera le plus souvent décidée de manière commune. Sinon, il incombe, selon nous, à la médiatrice de respecter la liberté de chaque partie de sortir de la médiation en mettant elle-même fin au mandat.
2.2 Rapports juridiques entre parties
La relation entre les parties est plus difficile à appréhender. En effet, d’aucuns la considèrent comme un contrat de société simple. Cela aurait notamment pour conséquence la naissance d’une solidarité entre elles, considérées alors comme associées, pour ce qui a trait aux coûts de la médiation (art. 544 al. 3 CO) et d’un devoir de fidélité (not. art. 536 CO).
Nous nous écartons toutefois de cette interprétation en ce sens que la simple volonté de prendre part à une médiation en vue d’une éventuelle transaction ne suffit pas en tant que telle à fonder un véritable animus societatis (esprit de société) et à en déduire que les parties s’obligeraient réciproquement à favoriser ensemble la réalisation d’un but commun dès le début du processus.
Nous considérerons plus volontiers la relation juridique des parties entre elles comme une relation précontractuelle, ou de «pourparlers». Il en découle alors, en sus d’éventuelles obligations conventionnelles, des obligations minimales de loyauté et de sérieux dérivées de la bonne foi dans les négociations.
Toutefois, nous nous gardons d’apporter une réponse univoque, puisque la qualification des rapports juridiques entre parties peut varier de cas en cas en fonction des règles que les parties auront choisi de poser, l’effet qu’elles souhaitent leur donner (moral ou juridique) et la nature de l’accord final qu’elles espèrent trouver (cf. infra 3.1). À notre sens, il est important que les devoirs et obligations de chaque partie soient clarifiés dans la première phase de la médiation et que les parties soient prêtes à négocier sérieusement et loyalement.
De plus, nous sommes d’avis qu’une discussion et un accord préalable sur les règles du jeu entre les parties constituent parfois déjà une première victoire ou, autrement dit, un tour de chauffe (une minimédiation) lors duquel les parties expérimentent la méthode médiative. Pour cette raison, nous pensons qu’il peut être approprié de régler les rapports entre les parties de manière distincte du contrat conclu avec le médiateur et dans lequel ce dernier cherchera aussi à préserver ses propres intérêts.
2.3 Effet sur la prescription
Un aspect juridique important lorsque l’on décide d’entrer en médiation est le sort des délais de prescription et de péremption. Le droit prévoit que, moyennant l’accord écrit de toutes les parties, la prescription est suspendue pendant une médiation (art. 134 al. 1 ch. 8 CO). Cela signifie que, contrairement à ce qui se fait, par exemple, en
Allemagne (§ 203 BGB/DE), la suspension des délais de prescription n’a pas lieu de manière automatique.
À l’instar de certains auteurs, nous peinons ainsi à voir en quoi cela s’écarte vraiment d’une renonciation à invoquer la prescription (art. 141 CO) qui pourrait, elle aussi, être décidée en début de médiation et qui ne nécessiterait que la signature de la partie qui y renonce. Nous regrettons que le législateur ait été quelque peu frileux en imposant un accord écrit dès lors que la sauvegarde des droits de chaque partie est un facteur important en vue d’une entrée en médiation.
En outre, une suspension automatique serait plus en ligne avec ce qui existe au niveau européen, Précisons enfin que l’art. 134 CO ne s’applique pas aux délais de péremption. Dans un tel cas, il peut s’avérer plus approprié d’opter pour une médiation dite judiciaire (art. 213 ss. CPC) afin de sauvegarder les droits des parties en créant une litispendance.
3. Droit après la médiation
3.1 Accord issu de la médiation
Quand la médiation aboutit, le produit final est généralement un accord entre les parties. Celui-ci peut prendre diverses formes. Le plus souvent, il s’agit d’un contrat au sens des art. 1 ss. CO. La nature juridique de cet accord varie toutefois en fonction de son contenu et des effets que les parties souhaitent lui donner. Par exemple, des engagements purement moraux (voulus sans effet juridique) n’ont pas la même portée qu’un engagement en argent ou en industrie. Cela dépend naturellement du domaine dans lequel le conflit s’insère.
Souvent, cet accord peut se suffire à lui-même et ne nécessite pas de formalisation particulière. Néanmoins, il est parfois souhaitable, voire nécessaire, qu’il soit rédigé ou revu par une personne professionnelle afin d’éviter tout écueil ou obstacle d’ordre juridique. Nous pensons, par exemple (et non exhaustivement), à des conventions dans le domaine du droit du travail ou à une convention de divorce qui devra être ratifiée par le juge (art. 111 CC). Il peut aussi arriver qu’un contrat soit soumis à la forme authentique.
Dans le cadre d’une médiation dite judiciaire et sous certaines conditions, la possibilité est offerte aux parties de faire homologuer leur accord final par le tribunal, ce qui lui octroiera les mêmes effets qu’un jugement entré en force (art. 217 CPC). Cela correspond, par ailleurs, à ce qui est visé par la directive européenne citée plus haut. Toutefois, si la médiation a eu lieu hors de tout cadre judiciaire, une homologation par la juge n’est pas possible. Certains auteurs sont d’avis qu’il serait souhaitable qu’une telle option existe.
À l’heure actuelle, si des parties à une médiation extrajudiciaire souhaitent faire ratifier leur convention, elles pourraient éventuellement introduire une requête de conciliation, demander la médiation, puis la ratification. Néanmoins, il est douteux que cette possibilité soit souvent utilisée en pratique. Il serait plus logique de passer par un titre authentique exécutoire (art. 347 CPC). À noter que si l’accord issu de la médiation répond aux conditions d’une reconnaissance de dette au sens de l’art. 82 LP, il peut constituer un titre de mainlevée provisoire.
Quand une formalisation paraît nécessaire, nous recommandons que l’accord trouvé en médiation prenne la forme d’une liste de points importants, de critères, d’intérêts ou de questions avec lesquels les parties se rendent ensemble chez une personne professionnelle pour rédiger et signer une convention formelle. À notre sens, rien n’empêche non plus que les parties se fassent conseiller individuellement sur certains points en parallèle, pendant ou en amont de la médiation. En effet, un intérêt purement juridique d’une partie n’en fait pas moins un intérêt légitime qui conserve toute sa place dans la discussion et qui n’est pas a priori contraire à l’esprit de la médiation.
4. Droit de la profession de médiateur
Les sources qui réglementent l’exercice de la médiation sont éparses. En Suisse, contrairement à d’autres pays européens, le titre de médiateur n’est pas protégé. En 2012, une initiative parlementaire souhaitait organiser la profession de médiateur sur le plan fédéral mais celle-ci, jugée trop hâtive et trop détaillée, n’a pas abouti. Le législateur n’a donc réglé la médiation que sur certains aspects, notamment en ce qui concerne son lien avec une procédure au fond (médiation dite judiciaire) et garde volontairement le silence sur les exigences relatives à la personne de la médiatrice.
Il s’ajoute que plusieurs cantons ont légiféré en matière de médiation, comme à Genève, où la loi réglemente l’activité des médiateurs assermentés, dans le canton de Vaud (où on parle de médiateurs civils agréés), ou alors à Neuchâtel, où les médiateurs agissant dans le cadre d’une médiation dite judiciaire (dans le cadre d’une procédure civile) seront soumis à certaines règles de droit cantonal.
Sur ce plan, nous constatons qu’il ne semble pas (encore) exister de consensus intercantonal. Le temps nous a montré qu’en plus de créer une certaine confusion, une réglementation trop disparate aboutit parfois à des conflits de normes. Ainsi, Fribourg avait réservé l’exercice des médiations dites judiciaires aux médiateurs assermentés, ce que le Tribunal fédéral a jugé contraire à la liberté de choix du médiateur prévue par le CPC.
Les juges de Mon-Repos ont néanmoins confirmé, dans le même arrêt, qu’il n’est pas contraire au droit fédéral qu’un canton tienne une liste des personnes qualifiées en matière de médiation et qu’il fasse dépendre la prise en charge financière d’une procédure de médiation du fait que les parties s’adressent à l’une de ces personnes.
En ce qui concerne la médiation extrajudiciaire, donc indépendante de toute procédure civile et lorsque la médiatrice n’est pas assermentée ou agréée par un canton, les règles relatives à l’exercice de la médiation ressortent principalement de l’autoréglementation. Il en va de même en ce qui concerne d’éventuelles exigences de formation et de formation continue.
Selon nous, il serait souhaitable que le législateur fédéral pose un cadre minimal d’harmonisation. En plus de renforcer le sérieux de la médiation, cela permettrait aussi de faciliter le choix d’une médiatrice par les parties et de leur offrir certaines garanties de qualité.
Au surplus, en lien avec l’initiative parlementaire évoquée plus haut, la Commission des affaires juridiques du Conseil national avait considéré comme appropriée la possibilité de prévoir une formation de médiateur sanctionnée par un examen supérieur reconnu, ce à quoi nous adhérons. Nous pensons aussi, à l’instar d’une minorité de la commission, qu’il serait favorable aux médiateurs que leur libre circulation intercantonale soit garantie.
Conclusion
Comme nous l’avons vu, même si la médiation se déroule de manière extrajudiciaire, le droit n’y échappe pas, que ce soit dans les rapports de médiation eux-mêmes comme dans les règles professionnelles. Toutefois, nous constatons qu’il existe encore de trop nombreuses incertitudes. Sur le plan fédéral, malgré l’intégration de la médiation dans le CPC, le législateur reste silencieux sur de nombreux points. Cela rend son cadre, à notre sens, encore trop lacunaire et incertain.
Il nous paraît crucial que les conséquences juridiques d’entrer dans un processus de médiation (ou s’y engager) soient claires et prévisibles pour que tant les parties que les juges ou avocates choisissent la médiation avec davantage de confiance. Une importante collaboration entre les différents milieux (qui se développe) et la mise en commun des compétences permettent sans doute d’atténuer ces incertitudes en amont. Puisque décider d’entrer en médiation n’est pas toujours (voire assez rarement) chose aisée, agir sur un maximum de freins en y apportant le plus de clarté possible nous semble nécessaire. Le recours à des règlements tels que les Swiss Rules of Mediation peut déjà amener davantage de certitudes.
En somme, si nous ne sommes pas en faveur d’une complète institutionnalisation de la médiation, il demeure important de reconnaître que la médiation a sa place dans le droit et que le droit a aussi sa place en médiation. Le droit a le potentiel d’offrir un cadre rassurant et favorisant pour chaque partie prenante. ❙
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