Des citoyens enregistrés sous un même numéro au contrôle des habitants et dans les autres services de l’administration, quoi de plus pratique? Par exemple, au lieu de remplir plusieurs lignes d’un formulaire pour identifier avec certitude l’auteur d’une demande de permis de conduire, on tape juste le chiffre en question. Là où le bât blesse, c’est que cet identifiant est le numéro AVS, dont l’usage s’étend à des domaines toujours plus variés: on le trouve évidemment dans les dossiers des assurances sociales, mais aussi sur des documents fiscaux, des registres scolaires ou les cartes d’assurance maladie, sans parler de l’usage qui en est fait dans les entreprises privées.
Ainsi, les préposés à la protection des données se battent depuis plusieurs années pour que le matricule à 13 chiffres ne serve pas d’identifiant unique: ils soulignent que, à l’ère d’internet et du Big Data, les risques de recoupements indésirables ne doivent pas être négligés (lire plaidoyer 1/2014). Et, en application du principe de précaution, ils mettent en avant le fait que des solutions existent pour éviter cette harmonisation à outrance: il suffit d’employer des identifiants sectoriels. Par exemple, pour gérer les dossiers du registre foncier, il n’est pas nécessaire d’utiliser les mêmes références que pour les assurances sociales.
Dans certains cantons, ces risques ont été mieux pris en compte que dans d’autres. Et sur le plan fédéral, le préposé à la protection des données (PFPDT) s’est fait entendre dans plusieurs domaines. Ainsi, le législateur a renoncé à utiliser le numéro AVS en relation avec le nouveau dossier électronique du patient. Le registre du commerce a également opté pour une solution sectorielle, et il devrait en aller de même pour le registre foncier, lors d’une révision en cours.
Mais brusquement, le Conseil fédéral semble balayer ces préoccupations de protection de la personnalité. Il a demandé au Département fédéral de l’intérieur d’élaborer un projet de loi pour faciliter l’utilisation systématique des numéros AVS en dehors des assurances sociales, par les autorités fédérales, cantonales et communales. Dans son dernier rapport d’activité, le préposé à la protection des données est consterné: «Nous voyons dans ce projet un changement de direction ou, tout au moins, une incohérence par rapport aux solutions sectorielles», précédemment adoptées.
Le Conseil fédéral, de son côté, s’appuie sur des arguments techniques: au vu des performances des moteurs de recherche, les risques pour la protection des données ne seraient pas plus élevés avec une utilisation généralisée du numéro AVS qu’avec les marqueurs sectoriels. Le PFPDT entend bien, mais il ne cède pas: «Il revient à l’administration, en tant qu’instigatrice des risques, de prouver par des faits scientifiquement établis» ce qu’elle avance, en confiant une analyse d’impact à «une instance spécialisée indépendante». Car le changement concerne «les données personnelles de millions de personnes».
L’enjeu est d’autant plus important que, si une base légale voit le jour, elle ne comprendra certainement pas d’«opt out» pour les citoyens refusant d’être enregistrés sous leur matricule AVS dans tous les secteurs de l’administration.