Oui. La loi sur le renseignement (LRens) provoque un changement de paradigme: le Service de renseignement de la Confédération peut acquérir de nombreuses compétences jusqu’alors réservées aux autorités de poursuite pénale ou entièrement nouvelles. Les services secrets helvétiques ne se limiteront plus à la protection préventive de l’Etat, mais interviendront à la manière d’une puissante autorité de sécurité nationale et pourront poursuivre en secret, largement selon leur propre appréciation, des intérêts nationaux importants.
Le secret professionnel de l’avocat est fondé en particulier sur le droit fondamental à la sphère privée et aux garanties issues de la CEDH et de la Constitution fédérale. La loi sur les services de renseignement ne protège ni clairement, ni de manière exhaustive le secret de l’avocat. La seule mention expresse du secret professionnel dans la LRens ne concerne pas les avocats, mais les informateurs communiquant des données ou fournissant des prestations au Service de renseignement étatique. Les «mesures de recherche non soumises à autorisation», comme les «observations dans les lieux publics et librement accessibles» au moyen de drones, ne sont certes pas admissibles dans la «sphère privée protégée», et ce indépendamment du secret de l’avocat. Mais le Service de renseignement de la Confédération garde la possibilité de définir, toutes portes clauses et sans faire l’objet d’une surveillance efficace, ce concept de «sphère privée protégée».
La LRens ne prévoit que peu d’exceptions pour les avocats en tant que personnes surveillées. Les signalements relatifs aux véhicules aux fins de recherche, tout comme les «mesures de recherche soumises à autorisation», consistant à faire surveiller la correspondance et les télécommunications conformément la loi fédérale du 6 octobre 20001, ou à s’introduire au moyen d’un cheval de Troie dans des systèmes et des réseaux informatiques pour y rechercher des informations, ne peuvent être mis en œuvre sans autres. Mais, aussi longtemps que de telles mesures de surveillance concernent directement des avocats, seules les données personnelles «qui ne présentent aucun lien avec la menace justifiant la décision» – et non les données couvertes par le secret de l’avocat – ne pourront être utilisées et seront détruites sous la surveillance du Tribunal administratif fédéral.
Simultanément, la LRens réduit à néant le secret de l’avocat par ses moyens de surveillance de masse qui ne se basent sur aucun soupçon: la détection des communications passant par le câble et l’exploration radio, les appareils d’interception dénommés «IMSI-catcher» et la conservation des données concernent tout individu et ne connaissent pas d’exception, de traitement différencié ou de limitation pour respecter le secret de l’avocat. Une éventuelle distinction ne pourra intervenir que lorsqu’il sera trop tard – soit lorsqu’une atteinte grave aux droits fondamentaux se sera produite. Des lacunes de sécurité maintenues secrètes, telles que l’exige l’usage de chevaux de Troie informatiques par l’Etat, mettent en danger la collectivité, y compris les avocats et leurs mandants. De telles atteintes se produisent également lorsqu’interviennent des services secrets et autorités de sécurité étrangers, avec lesquels le service de renseignement travaille, en Suisse et à l’étranger, et avec lesquels il échange des données.
Ce faisant, la LRens renonce à une protection juridique efficace et se base sur le principe de la confiance. Le droit d’accès des personnes concernées et l’obligation d’information sont, pour autant qu’ils existent, élaborés de manière lacunaire. Le contrôle a posteriori par le Préposé à la protection des données et à la transparence et le Tribunal administratif fédéral tourne en dérision l’Etat de droit, en raison de son caractère unilatéral et secret. Même une surveillance réorganisée sera condamnée à l’échec. Les activités des services secrets prévus par la LRens se heurteront toujours, en définitive, au secret professionnel de l’avocat, qui trouve sa source dans les droits de l’homme et les droits fondamentaux.