1. Introduction
L’image du sport est ponctuellement ternie par la corruption et la manipulation de compétitions. Les organisations sportives ne semblent pas être en mesure de combattre cette problématique sans l’assistance d’instruments étatiques, dont font notamment partie les dispositions pénales et les mesures de contraintes y relatives1.
Le 18 septembre 2014, la Suisse a signé la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives à Macolin (ci-après: «Convention de Macolin» ou «CM»), ayant pour but de combattre la manipulation de compétitions sportives, afin de protéger l’intégrité du sport et l’éthique sportive, dans le respect du principe de l’autonomie du sport (art. 1 CM)2. La Convention de Macolin exige une adaptation du droit interne de chaque Etat contractant afin de permettre de sanctionner pénalement la manipulation de compétitions sportives, dès lors que les faits comprennent des éléments de contrainte, de corruption ou de fraude, tels que définis par son droit interne (art. 15 CM). Or, au moment de la signature de la Convention de Macolin, l’ordre juridique suisse ne prévoyait pas de normes pénales permettant de réprimer de tels comportements. Par conséquent, la ratification ne pouvait pas intervenir immédiatement.
Le Tribunal fédéral et le Tribunal pénal fédéral ont été à quelques rares reprises saisis d’affaires relatives à la manipulation de compétitions sportives, sous l’angle de l’infraction d’escroquerie (art. 146 CP)3. Une telle infraction ne peut être réalisée que si une personne physique a été trompée4; tel n’est pas le cas dans le domaine des paris sportifs effectués automatiquement à travers l’internet, dès lors que seule une machine est trompée par la manipulation5. Par ailleurs, dans le cadre d’une demande d’entraide en matière pénale à l’Italie, le Tribunal pénal fédéral a retenu, sous l’angle de la condition du principe de la double incrimination, que, en l’absence d’un acte de disposition en lien direct avec les manœuvres frauduleuses, les sociétés sportives et entités publiques qui organisent les compétitions ne peuvent être considérées comme les victimes d’une escroquerie au sens de l’art. 146 CP6, tout comme les parieurs loyaux en rapport avec le dommage qu’ils subissent7. Les états de fait soumis aux Tribunaux n’ont pas permis une analyse sous l’angle des infractions réprimant la corruption privée (art. 4a aLCD, puis art. 322octies et novies CP)8 ou de l’utilisation frauduleuse d’un ordinateur (art. 147 CP)9.
Dans le cadre de la révision sur les jeux d’argent, le législateur suisse a modifié la Loi fédérale sur l’encouragement du sport et de l’activité physique du 17 juin 2011 (LESp)10 pour y introduire des mesures de nature pénale contre la manipulation des compétitions aux art. 25a (disposition pénale), 25b (règles de procédures spécifiques relatives à la poursuite pénale par les autorités de poursuite pénale) et 25c (transmission d’informations par les autorités de poursuite pénale). De plus, les organisations ayant leur siège en Suisse qui participent à une compétition ayant lieu en Suisse ou pour laquelle des paris sont proposés en Suisse, l’organisent, en assurent le déroulement ou la surveillent (à l’image notamment de l’UEFA, de la FIFA ou du CIO11), ont désormais l’obligation d’informer l’autorité intercantonale en cas de soupçon de «match fixing» (art. 64 al. 2 de la Loi fédérale sur les jeux d’argent du 29 septembre 2017 [LJAr]12).
Ces normes sont entrées en vigueur le 1er janvier 201913 et le processus de ratification de la Convention de Macolin est désormais en cours14.
La présente contribution vise à aborder les aspects de droit pénal matériel liés à l’introduction à l’art. 25a LESp d’une disposition pénale visant à réprimer la manipulation de compétitions sportives, à l’exclusion de toutes les questions de nature procédurale.
2. Infractions de manipulations directe et indirecte (art. 25a LESp)
2.1. Généralités
L’art. 25a LESp est libellé de la manière suivante:
1 Quiconque offre, promet ou octroie un avantage indu à une personne exerçant une fonction dans le cadre d’une compétition sportive pour laquelle des paris sont proposés, dans le but de fausser le cours de la compétition en faveur de cette personne ou d’un tiers (manipulation indirecte), est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
2 Quiconque, en tant que personne exerçant une fonction dans le cadre d’une compétition sportive pour laquelle des paris sont proposés, sollicite, se fait promettre ou accepte un avantage indu en sa faveur ou en faveur d’un tiers dans le but de fausser le cours de la compétition (manipulation directe) est puni d’une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire.
3 Dans les cas graves, le juge prononce une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou une peine pécuniaire; en cas de peine privative de liberté, une peine pécuniaire est également prononcée. Le cas est grave notamment lorsque le délinquant:
a. agit comme membre d’une bande formée pour se livrer de manière systématique à la manipulation indirecte ou directe de compétitions;
b. réalise un chiffre d’affaires ou un gain importants en faisant métier de manipuler des compétitions.
La personne exerçant une fonction dans le cadre d’une compétition sportive pour laquelle des paris sont proposés (intraneus) et le tiers (extraneus) sont les deux protagonistes nécessaires des infractions visées à l’art. 25a al. 1 et 2 LESp, en revêtant potentiellement un rôle d’auteur ou d’objet de l’infraction, voire les deux conjointement.
Il en découle que cette norme est construite sur le même schéma que les infractions réprimant la corruption: alors que la manipulation indirecte (al. 1) se conçoit comme le pendant sur le plan passif (incrimination du comportement de l’extraneus), la manipulation directe (al. 2) comme le pendant sur le plan actif (incrimination du comportement de l’intraneus)15. Les infractions demeurent néanmoins indépendantes les unes des autres, de sorte que l’on peut imaginer des configurations où, suivant les circonstances, l’extraneus ou l’intraneus sera punissable, et d’autres où ils seront tous deux punissables.
En ce qui concerne la classification typologique des infractions sanctionnées à l’art. 25a LESp, les infractions de base (al. 1 et 2) ont été érigées en délit (art. 10 al. 3 CP cum art. 333 al. 1 CP), alors que l’infraction aggravée (al. 3) constitue un crime (art. 10 al. 2 CP cum art. 333 al. 1 CP). Les peines encourues pour l’infraction de base et l’infraction qualifiée correspondent aux peines fixées dans les dispositions pénales réprimant le dopage (art. 22 LESp). Par ailleurs, les infractions de l’art. 25a LESp se définissent comme des délits formels de mise en danger abstraite16.
L’infraction se poursuit d’office.
L’action pénale se prescrit par dix ans s’agissant de l’infraction de base (art. 97 al. 1 let. c CP cum art. 333 al. 1 CP) et par 15 ans s’agissant de l’infraction qualifiée (art. 97 al. 1 let. b CP cum art. 333 al. 1 CP).
La responsabilité primaire de l’entreprise en cas d’actes de manipulations de compétitions sportives commises en son sein dans l’exercice d’activités commerciales conformes à ses buts n’est pas engagée (art. 25a à 25c LESp et art. 102 al. 2 CP a contrario)17.
2.2. Bien juridique protégé
Selon le Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur les jeux d’argent du 21 octobre 2015 (ci-après: «le Message»), la corruption et la manipulation des compétitions sportives sont contraires aux valeurs fondamentales du sport, qui reposent sur le «fairplay et le respect», de telle sorte qu’il existe un intérêt public important à protéger l’«intégrité du sport»18.
Dès lors que le bien juridique à protéger est le «fairplay dans le sport» et que les nouvelles dispositions pénales visent à garantir en priorité l’«intégrité du sport» et non les intérêts patrimoniaux des organisations sportives et des exploitants de paris, les dispositions pénales proposées ont été incorporées à la LESp19. Cette loi poursuit notamment le but de créer un environnement favorable au sport d’élite et à la relève dans le sport de compétition, en vue d’accroître les capacités physiques de la population, de promouvoir la santé, d’encourager le développement global de l’individu et de renforcer la cohésion sociale (art. 1 al. 1 let. c LESp). Il en découle que l’art. 25a LESp vise exclusivement à protéger l’intégrité du sport et le fairplay dans le sport en lien avec les bienfaits de la pratique sportive amateure et professionnelle.
Toutefois, alors que la protection de la régularité des paris sportifs ne figure ni parmi les buts de la LESp ni parmi les biens à protéger selon le Message, il est étonnant que le texte légal de l’art. 25a LESp incorpore la notion de «compétition sportive pour laquelle des paris sont proposés» dans le cadre de l’élément constitutif objectif de la cible de l’infraction (al. 1) ou de l’auteur (al. 2), limitant ainsi la portée de la norme à ces seules compétitions. L’intégration de cet élément laisse penser que la norme vise non pas à protéger le sport en tant que tel mais uniquement le sport en tant qu’objet des paris. Ce constat vient troubler la définition du bien juridique protégé par l’art. 25a LESp et par voie de conséquence compliquer la délimitation du champ d’application de la norme et du cercle de lésés potentiels de l’infraction, au sens de l’art. 115 al. 1 CPP20.
Cet ajout inattendu a donc pour conséquence que la manipulation de compétitions sportives pour lesquelles des paris ne sont pas proposés n’est pas réprimée pénalement.
De la même manière, certains comportements visant à manipuler les paris sportifs et perturbant les compétitions sportives, sans les manipuler, ne sont pas réprimés. On pense notamment aux stratagèmes mis en place pour devancer les opérateurs de paris dans le cadre de paris sportifs en direct («Live-Betting»)21. Selon le modus operandi le plus usuel, un spectateur présent sur place transmet des informations sur le déroulement de la compétition sportive à une autre personne connectée sur un site de paris sportifs, afin que celui-ci soit en mesure de placer des paris après le déroulement d’un événement sportif, mais avant la mise à jour de la page internet de l’opérateur (par exemple l’identité du vainqueur d’un point d’un match de tennis).
2.3. Eléments objectifs et subjectifs de l’infraction de manipulation indirecte (art. 25a al. 1 LESp)
2.3.1. Auteur
L’acte de manipulation indirecte peut être le fait de quiconque cherche à «corrompre» une personne exerçant une fonction dans le cadre d’une compétition sportive pour laquelle des paris sont proposés. Il peut s’agir, par exemple, d’un officiel d’une équipe adverse ou d’une personne ayant des intérêts financiers au résultat.
2.3.2. Comportement incriminé
Le comportement punissable consiste à offrir, promettre ou octroyer un avantage indu à une personne exerçant une fonction dans le cadre d’une compétition sportive pour laquelle des paris sont proposés, dans le but de fausser le cours de la compétition en faveur de cette personne ou d’un tiers. L’infraction s’inspire ainsi largement des infractions classiques de corruption22. Il y a donc lieu de considérer, comme en matière de corruption privée23, que la disposition pénale de l’art. 25a al. 1 LESp est un délit formel de mise en danger abstraite, aucun résultat ni même aucun danger concret pour le bien juridique (collectif) protégé par la disposition en question étant nécessaire. En d’autres termes, une condamnation est possible même si aucun avantage n’a finalement été remis, mais seulement promis, et même si la personne exerçant une fonction dans le cadre d’une compétition sportive pour laquelle des paris sont proposés n’a pas eu le comportement escompté. L’infraction est consommée dès que cette personne reçoit l’offre.
Les actes de corruption éventuellement commis dans le contexte d’une compétition, mais qui n’ont aucune influence directe sur celle-ci, n’entrent pas dans le champ d’application de la norme. Le Message cite comme exemple de comportement non visé par l’art. 25a LESp le paiement d’un dessous de table à un exploitant pour obtenir un emplacement pour son stand24.
Seules les compétitions pour lesquelles sont légalement proposés des paris en Suisse sont concernées25. A cette condition, l’infraction vise néanmoins toute compétition réglementée, c’est-à-dire régie par le règlement d’une organisation sportive, que l’on soit en présence de sport amateur ou professionnel; seront considérées comme telles toutes les manifestations sportives organisées par une association internationale, nationale ou régionale, ou encore par une antenne locale de cette dernière, ou qui se déroulent conformément aux règles fixées par une association sportive internationale ou nationale, quel que soit le statut juridique de l’organisateur26.
2.3.3. Avantage indu
Là encore, la notion d’avantage indu s’interprète à l’aune de la doctrine et de la jurisprudence rendue en matière de corruption. Il peut donc s’agir de tout avantage matériel ou immatériel, de tout type de don27. La notion d’avantage est large et englobe toute amélioration mesurable de la situation du bénéficiaire, aussi bien sur le plan économique, juridique que personnel28.
S’agissant du caractère indu de l’avantage, le Message le définit de la manière suivante: «[u]n avantage est indu s’il n’est pas dû pour un autre motif juridique, mais qu’il est conféré en échange du trucage d’une compétition»29. Ainsi l’avantage est indu non seulement lorsque l’intéressé n’a pas le droit de l’accepter30, mais également lorsqu’il ne repose sur aucune base légale ou contractuelle qui permettrait de le percevoir31. L’avantage peut être conféré à la personne corrompue elle-même ou à un tiers32.
Nous ne partageons pas l’opinion d’une partie de la doctrine, qui estime problématique le fait que l’art. 25a LESp ne contient aucune disposition similaire à l’art. 322decies CP réglementant les cadeaux d’usage et autres présents autorisés par règlement de service, au regard notamment du sponsoring33. Nous peinons à identifier quel comportement lié à un contrat de sponsoring aurait pour but de fausser le cours d’une compétition, étant précisé que le simple fait de promettre ou octroyer un avantage, respectivement de le solliciter ou l’accepter en lien avec une compétition sportive, mais sans dessein d’en fausser le cours, n’est pas punissable34. D’ailleurs, la LESp ne contient, à juste titre, aucune disposition semblable à l’infraction de l’art. 322quinquies CP (octroi d’un avantage). Enfin, le contrat de sponsoring rend à notre sens précisément l’avantage non indu, sous réserve évidemment d’un contrat simulé visant à occulter l’arrangement illégal.
2.3.4. Cible de l’infraction
La cible de l’infraction est une personne exerçant une fonction dans le cadre d’une compétition sportive pour laquelle des paris sont proposés. On pense en particulier aux sportifs, aux arbitres et à leurs assistants, aux entraîneurs, à l’équipe d’encadrement ainsi qu’à d’autres auxiliaires35. Selon les circonstances, les techniciens des exploitations sportives pourront également tomber sous le coup de la disposition pénale. Tel serait par exemple le cas d’un individu à qui l’on aurait offert un avantage indu pour provoquer une panne de projecteur ou enclencher le dispositif d’arrosage36.
Qu’en est-il des dirigeants d’organisations sportives, voire des membres des autorités publiques, qui pourraient par leurs décisions influer sur le déroulement d’une compétition? Selon Boss, on se trouve là dans une zone grise relativement large37. Nous soulignons pour notre part que les comportements qui ne tomberaient par hypothèse pas sous le coup de l’art. 25a LESp pourraient tomber sous celui des art. 322octies et 322decies CP réprimant la corruption privée active et passive. Les dispositions réprimant la corruption privée – appelées par certains la «lex FIFA» – ont d’ailleurs été introduites dans le code pénal notamment en réponse aux soupçons de corruption entachant la procédure d’attribution par la FIFA des Coupes du monde de football 2018 et 202238, ainsi qu’à l’initiative parlementaire 10.516 intitulée «FIFA. Pour une poursuite d’office de cas de corruption dans le secteur privé»39.
Les spectateurs en revanche, ne sont pas considérés comme des personnes exerçant une fonction dans le cadre d’une compétition sportive, pas plus que des éventuels perturbateurs40.
2.3.5. Contre-prestation de la cible
Le but de l’acte réprimé est de fausser le déroulement de la compétition. Le comportement réprimé consiste à convenir d’actions (par exemple changer un joueur, ne pas être offensif, feindre de mauvais choix) ne reposant pas sur des motivations sportives, mais sur l’accord illicite et la promesse d’un avantage indu; peu importe le résultat de la compétition, de même que de savoir si le comportement s’avère ou non conforme aux règles du jeu41. Les actes de dopage ne sont pas visés par l’art. 25a LESp42, mais font l’objet d’une infraction spécifique à l’art. 22 LESp.
2.3.6. Rapport d’équivalence
Il doit exister un rapport d’équivalence entre l’avantage indu et la manipulation de la compétition sportive. En d’autres termes, le comportement de l’auteur doit viser la conclusion d’un arrangement illégal. La forme et le contenu de la falsification doivent pouvoir être définis dans les grandes lignes43.
Selon le Message, l’infraction de l’art. 25a LESp ne sera pas réalisée s’il n’y a pas d’accord préalable relevant de la corruption44. Cette précision surprend et marque une distinction importante d’avec les autres infractions de corruption, telles que réprimées par les art. 322ter à 322novies CP. En effet, la doctrine majoritaire récente s’accorde sur le fait que l’exigence de l’antériorité de l’offre ou de la sollicitation d’avantage indu sur la décision d’action de l’agent public ou privé n’est plus déterminante45. A supposer que la jurisprudence confirme l’exigence de l’antériorité de l’accord, elle risque de restreindre ainsi de manière importante la portée de la norme, la preuve de l’antériorité du contrat corruptif risquant d’être parfois difficile à apporter. A notre sens, une telle exigence supplémentaire en matière de «match fixing» ne se justifie guère.
2.3.7.Intention
L’infraction est intentionnelle; le dol éventuel suffit, mais la négligence n’est pas punissable (art. 12 al. 1 et 2 CP cum art. 333 CP).
2.4. Eléments objectifs et subjectifs de l’infraction de manipulation directe (art. 25a al. 2 LEsp)
2.4.1. Auteur
L’auteur de l’infraction de manipulation directe est la personne exerçant une fonction dans le cadre d’une compétition sportive pour laquelle des paris sont proposés qui sollicite, se fait promettre ou accepte un avantage indu en sa faveur ou en faveur d’un tiers dans le but de fausser le cours de la compétition.
2.4.2. Comportement incriminé
Le comportement incriminé consiste à solliciter, se faire promettre ou accepter un avantage indu en sa faveur ou en faveur d’un tiers dans le but de fausser le cours de la compétition. Là encore, aucun résultat n’est exigé en ce sens qu’il n’est nul besoin que la compétition soit finalement faussée.
2.4.3. Avantage indu
La notion d’avantage indu est la même que pour la manipulation indirecte (cf. supra 2.3.3).
2.4.4. Prestation de l’auteur
Comme pour la manipulation indirecte, le comportement réprimé consiste à convenir d’actions ne reposant pas sur des motivations sportives, mais sur l’accord illicite et la promesse d’un avantage indu46. Comme en matière de corruption privée47, peu importe que le sportif ou la personne exerçant une fonction dans le cadre de la manifestation sportive adopte le comportement convenu ou que ce comportement fausse effectivement le cours de la compétition. Le simple fait de solliciter, de se faire promettre ou d’accepter l’avantage indu dans ce but suffit.
2.4.5. Intention
L’infraction est intentionnelle et le dol éventuel suffit (art. 12 al. 1 et 2 CP cum art. 333 CP). D’après le Message: «[c]ela ne devrait pas être difficile à prouver. Un sportif qui accepte de l’argent ou d’autres avantages pour modifier le cours ou l’issue d’une compétition doit obligatoirement se demander quelles sont les motivations du donateur, et notamment supposer qu’il existe un lien avec des paris sportifs»48. A notre sens, si l’auteur est convaincu qu’aucun pari sportif n’est proposé pour la compétition manipulée, il n’accepte pas que des paris soient faussés et le dol éventuel ne saurait être retenu. En revanche, celui dont le but n’est pas de fausser des paris sportifs mais uniquement de manipuler la compétition pour des raisons sportives, alors qu’il sait toutefois que des paris sont proposés en lien avec la compétition, est susceptible de réaliser l’infraction par dol éventuel49.
2.5. Cas graves (art. 25a al. 3 LESp)
L’infraction sera qualifiée et la peine plus sévère si l’auteur agit en bande (soit deux auteurs ou plus50) ou s’il fait métier (soit réalisant un chiffre d’affaires d’au moins 100 000 francs51 ou un gain d’au moins 10 000 francs52) de manipuler des compétitions. Dans cette hypothèse, la manipulation de compétitions sportives est érigée en crime. On peut toutefois se demander si, par nature, une manipulation de compétition sportive n’est pas nécessairement commise à tout le moins en bande53. Il est ainsi probable que le cas grave de l’art. 25a al. 3 LESp ne restera pas lettre morte.
Erigée en crime, l’infraction qualifiée de l’art. 25a al. 3 LESp, et elle seule, pourra faire l’objet de blanchiment d’argent au sens de l’art. 305bis CP. La Suisse répond ainsi à l’exigence posée par l’art. 16 de la Convention de Macolin qui enjoint les Etats parties à adopter une législation permettant la répression des actes de blanchiment du produit des infractions pénales relatives à la manipulation de compétitions sportives54.
Cassani55 relève à juste titre le paradoxe selon lequel la corruption d’un dirigeant de la FIFA ou du CIO est un délit, non susceptible de blanchiment, même en présence de très importants enjeux financiers, alors que la corruption à des fins de manipulation sportive d’une personne exerçant une fonction dans le cadre d’une compétition pour laquelle des paris sont proposés constitue un crime dans les cas graves de l’art. 25a al. 3 LESP56.
3. Conclusion
S’il est indiscutable que l’adoption d’une norme pénale permettant de réprimer la manipulation de compétitions sportives doit être saluée, il n’en demeure pas moins étonnant d’avoir limité le champ d’application de l’art. 25a LESp aux compétitions sportives pour lesquelles des paris sont proposés. Il n’est ainsi pas certain que cette disposition légale soit suffisante pour satisfaire aux conditions posées par la Convention de Macolin en matière de mesures de nature pénale, à savoir la répression de manipulation de compétitions sportives liée ou non aux paris sportifs57. En toute hypothèse, en liant la manipulation sportive aux paris sportifs, le législateur n’a ni protégé l’entier des compétitions sportives se déroulant sur sol suisse ni réprimé l’entier des comportements permettant de manipuler des paris sportifs. y
1Rapport sur les résultats de la consultation en lien avec l’approbation de la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives de novembre 2017, p. 4; recommandations du groupe de travail du CIO du 14 mai 2013.
2Texte publié dans la feuille fédérale: FF 2018 1029, p. 1029.
3Pour une analyse complète de la situation en droit suisse avant l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions pénales, voir: Mirjam Trunz, Ein globaler Lösungsansatz zur Bekämpfung der Spiel- und Wettspielmanipulation im Sport, Zurich/St.Gall, in: CAS tome 12 (2016), p. 230 ss, 230 à 254; Roger Staub, Beat Wicki, Sportwetten, in: Jan Kleiner, Margareta Baddeley et alii (éd.), Sportrecht - Band II, Berne 2018, pp. 281 à 286.
4CR CP II-Garbarski/Borsodi, art. 146 n. 94; StGB PK-Trechsel/Crameri, art. 146 n. 14.
5TF 6B_544/2017 du 11. 12.2017, c. 2.2.1., lequel confirme TPF SK.2016.48 du 14.022017, c. 2.3.3.4.; TPF2013 46 du 13.11.2012, JdT 2014 IV 227, c. 2.4.
6TPF 2013 113, c. 2.5.4.2.
7TPF 2013 113, c. 2.5.4.3.
8TPF 2013 113, c. 2.7.
9TPF 2013 113, c. 2.5.4.3.; TPF SK.2016.48 du 14.2.2017, c. 2.4.; TPF SK. 2011.33 et 2012.21 du 13.11.2012,
c. 2.5. (non publié dans TPF 2013 43).
10RS 415.0.
11Message concernant la loi fédérale sur les jeux d’argent du 21 octobre 2015, FF 2015 7627, p. 7698.
12RS 935.51.
13Introduites par le ch. II. 3 de l’annexe à la loi fédérale du 29 septembre 2017 sur les jeux d’argent (RS 935.51), en vigueur depuis le 1er janvier 2019 (RO 2018 5103; FF 2015 7627).
14Projet d’arrêté fédéral portant approbation de la Convention du Conseil de l’Europe sur la manipulation de compétitions sportives (FF 2018 1027, p. 1027). Suite à l’approbation de l’arrêté fédéral précité par le Conseil national et le Conseil des Etats le 14 décembre 2018 et l’écoulement du délai référendaire le 7 avril 2019, le Conseil fédéral va très prochainement ratifier la Convention de Macolin (objet du Conseil fédéral 18.017).
15Voir la structure des art. 322ter à 322decies CP: CR CP II-DYENS, Intro. aux art. 322ter – 322decies, n. 16 et 17; PC CP, rem. prél. aux art. 322ter à 322decies n. 11.
16 Il en va de même des infractions réprimant la corruption (cf. CR CP II-Dyens, Intro. aux art. 322ter – 322decies, n. 19; PC CP, rem. prél. aux art. 322ter à 322decies n. 13; Daniel Jositsch, Das Schweizerische Korruptionsstrafrecht, Art. 322ter bis Art. 322octies StGB, Zurich 2014, p. 271 s.).
17La Convention de Macolin prévoit que, selon les principes juridiques de la Partie, la responsabilité d’une personne morale peut être pénale, civile ou administrative (art. 18 al. 2 CM).
18FF 2015 7627, p. 7644.
19FF 2015 7627, p. 7746.
20Voir également: Trunz, Lösungsansatz, p. 256; Philippe Vladimir Boss, Manipulation de compétitions sportives (match fixing): aspects pénaux de la nouvelle Loi fédérale sur les jeux d’argent, in Forumpoenale 1/2019, p. 52 ss, p. 53.
21Sur les risques de manipulation des paris en direct: Staub, Wicki, Sportwetten, p. 272 s.
22FF 2015 7627, p. 7747.
23Miriam Mazou, Emmeline Bonnard, Les rétrocessions sous l’angle de la corruption privée, in: PJA 2019, p. 423 ss, 424; CR CP II- Queloz/Sadik, art. 322octies n. 18.
24FF 2015 7627, p. 7746.
25L’offre de paris sportifs légalement admise en Suisse est notamment réglementée par les art. 3 let. c, 25 al. 1 let. a et 2 et 35 LJAr et les art. 29 et 38 de l’Ordonnance sur les jeux d’argent du 7 novembre 2018 (OJAr; RS 935.511). Voir également dans ce sens: Boss, Manipulation, 57.
26FF 2015 7627, p. 7747; Boss, Manipulation, p. 53.
27FF 2015 7627, p. 7747.
28CR CP II-Queloz/Munyankidi, art. 322ter n. 14 à 39; PC CP, rem. prél. aux art. 322ter à 322decies n. 26 et 27; Mazou/Bonnard, Rétrocessions, p. 425; Roxanne Mingard, L’avantage indu dans les infractions relatives à la corruption, RPS 128 (2010), p. 197 ss, 197.
29FF 2015 7627, p. 7747.
30CR CP II-Queloz/Munyankidi, art. 322ter n. 34.
31CR CP II-Queloz/Munyankidi, art. 322ter n. 35; PC CP, rem. prél. aux art. 322ter à 322decies n. 28.
32FF 2015 7627, p. 7747.
33Boss, Manipulation, p. 54.
34A noter que l’exploitant de jeux de grande envergure ne peut pas détenir d’intérêts économiques dans des organisations sportives ou conclure des contrats de parrainage de collaboration avec des sportifs ou des organisations sportives qui participent à des compétitions sportives pour lesquelles il propose lui-même des paris sportifs (art. 63 al. 1 et 2 LJAr).
35FF 2015 7627, p. 7746.
36FF 2015 7627, p. 7746.
37Boss, Manipulation, p. 54.
38Message du 30 avril 2014 concernant la modification du code pénal (dispositions pénales incriminant la corruption), FF 2014 3433, p. 3442.
39FF 2014 3433, p. 3437.
40FF 2015 7627, p. 7746.
41FF 2015 7627, p. 7747; voir également: Trunz, Lösungsansatz, p. 257.
42FF 2015 7627, p. 7747.
43FF 2015 7627, p. 7747.
44FF 2015 7627, p. 7747; voir également: Trunz, Lösungsansatz, p. 257.
45Mazou/Bonnard, Rétocessions, p. 424; CR CP II-Queloz/Munyankidi, art. 322ter n. 22 à 33 et références citées.
46FF 2015 7627, p. 7747.
47Cassani, Evolutions législatives récentes en matière de droit pénal économique, blanchiment d’argent et corruption privée, in RPS 136 (2018), p. 179 ss, 210.
48FF 2015 7627, p. 7746.
49Contra Trunz, Lösungsansatz, p. 256 et 261, laquelle considère que les manipulations motivées par des raisons sportives sont exclues du champ d’application de l’art. 25a LESp, sans analyse de la question du dol éventuel.
50Sur la notion de bande: ATF 120 IV 317, c. 2a, puis confirmé notamment dans: TF, 6P.14/2004, 24.3.2005, c. 3.
51Sur la notion de chiffre d’affaires important: ATF 129 IV 188, c. 3.1.3, puis confirmé notamment dans: TF 6P.174/2006 et 6S.387/2006 du 8.11.2006, c. 4.1; TF 6S.293/2005 du 24.2.2006, c. 5.
52Sur la notion de gain important: ATF 129 IV 253, c. 2.2, puis confirmé notamment dans: TF 6B_1013/2010 du 17.5.2011, c. 6.2; TF 6S.293/2005 du 24.2.2006, c. 5.
53En lien avec la pratique du Tribunal arbitral du sport pour les cas de manipulation de matchs décelés par l’UEFA: García Silvero, The match fixing criteria in UEFA competitions: an overview of CAS case law, in Bulletin TAS 2018/1, Lausanne 2018, p. 6.
54La Convention de Macolin permet à chaque partie de décider, conformément à son droit interne, comment elle définira ces infractions et la nature de tout élément particulier de ces infractions qui en fait des infractions graves (art. 16 CM).
55Cassani, Evolutions, p. 210.
56Une des propositions dans le cadre de la procédure de conciliation était d’assimiler à des crimes (et non simplement à des délits) la corruption privée et la manipulation de compétitions (FF 2018 989, p. 995).
57Voir l’avant-dernier paragraphe du préambule et l’art. 15 CM.