Avant l'été, la revue suisse des juges Justice-Justiz-Giustizia a publié, dans son numéro 2/2011, des chiffres intéressants: ils révélaient que, en Suisse, seuls les cantons d'Argovie, du Tessin, d'Uri et du Valais ne connaissaient toujours pas de juges à temps partiels.
L'Association suisse des magistrats de l'ordre judiciaire (ASM) a recueilli, à douze ans d'intervalle, des données sur l'évolution des postes de juges à temps partiel au sein des différents cantons suisses. En 1999, en Suisse romande, seul ceux de Genève et le de Vaud - pour les seuls juges de district - connaissaient le temps partiel pour les magistrats. Les pionnières genevoises, deux femmes, avaient alors confié être considérées comme des «souris de laboratoire» en se partageant, depuis le début de l'année, des postes au Tribunal de première instance. En 2011, la tendance s'est renversée: seul le Valais ne connaît pas de juges à temps partiel en Suisse romande. «Jusqu'ici, nous n'avons pas vraiment eu de demandes dans ce sens de la part des juges en postes», explique Walter Lengacher, secrétaire général du Tribunal cantonal, qui précise que cette possibilité n'est pas expressément prévue par la loi valaisanne. «Mais même sans base légale expresse, le travail à temps partiel n'est pas exclu. Nous avons cependant relativement peu de femmes magistrates - on en compte deux parmi les onze juges cantonaux et sept parmi les 27 juges de district.»
Temps des pionnières révolu
La féminisation des métiers de la justice semble bien être à l'origine de l'augmentation des temps partiels dans les tribunaux. Dans le canton de Vaud par exemple, sur la totalité de l'ordre judiciaire vaudois, on ne comptait que quatre hommes contre 40 femmes à temps partiel, ces dernières représentant déjà 31,5% de l'effectif des 127 juges. C'est à la fois à la justice de paix (19 sur trente, plus de 60% de l'effectif) et au Tribunal cantonal (9 sur 46) qu'elles sont les plus nombreuses. Dans le canton de Genève, le temps n'est plus aux pionnières puisque huit juges travaillent à mi-charge: quatre au Tribunal de première instance, deux à la Chambre des assurances sociales et deux au Tribunal des mineurs. L'art. 28 de la loi sur l'organisation judiciaire autorise en effet les juridictions - à l'exclusion du Ministère public, ainsi que des présidents et vice-présidents des tribunaux - à prévoir qu'à concurrence de 20% de leur dotation, les fonctions peuvent être exercées à 50%. Au temps où il était procureur, Bernard Bertossa avait expliqué que le Parquet ne pouvait être une fonction exercée à temps partiel, devant pouvoir être atteint en tout temps en raison d'urgences imprévisibles.
Tel n'est pas le cas à Fribourg, où «rien n'interdit d'officier au Ministère public ou dans les tribunaux d'arrondissement à mi-temps. Même la fonction de président peut se pratiquer à temps partiel; toutefois, il ne serait pas possible d'effectuer un temps partiel à moins d'un mi-temps», indique le greffier chef Henri Angéloz. L'art. 37 II de la loi sur la justice, en vigueur depuis le 1er janvier dernier, donne la possibilité d'exercer la fonction de juge cantonal à mi-temps, en limitant toutefois à quatre le nombre de postes pouvant faire l'objet d'un temps partiel. Pour l'heure, aucun juge cantonal fribourgeois n'a encore réduit son temps de travail. A Fribourg aussi, le temps partiel séduit surtout les femmes: «Nous ne comptons que deux hommes occupés à temps partiel.»
Changements législatifs
A Neuchâtel également, la loi vient de changer: l'art. 35 de la loi sur la magistrature de l'ordre judiciaire et la surveillance des autorités judiciaires, en vigueur depuis le 1er janvier 2011, prévoit qu'il est possible d'exercer la fonction de magistrat à temps partiel, mais que ce taux doit être d'au moins 50%. Pas question de se partager entre plusieurs postes de juge au sein de diverses instances, puisque chaque membre de la magistrature de l'ordre judiciaire ne peut exercer qu'une seule fonction. «C'est surtout en première instance que des femmes ont été élues à temps partiel. Sur 22 juges, on compte deux femmes à 60%, trois à 80%, un homme à 90% et une femme à 50%. Seul un homme les a rejointes, également pour des raisons familiales. Au Tribunal cantonal, sur 11 postes et demi, on ne compte qu'un 50% occupé par une femme», souligne Sandrine Di Paolo, secrétaire générale des autorités judiciaires. «L'incidence de tels choix sur la charge de travail? C'est vrai que cela complique un peu l'organisation, mais je n'ai pas constaté que cela prenne plus de temps pour rendre les jugements. En principe, les personnes à temps partiel ont tendance à faire plus que leur charge effective», constate Christine Keller, juriste au Conseil supérieur de la magistrature de Fribourg.
Enfin dans le Jura, depuis le mois d'août 2011, deux femmes se partagent un poste de procureur pour une durée temporaire de deux ans au maximum, l'une l'occupant à 60 et l'autre à 40%. Dès janvier 2012, un poste de juge au Tribunal cantonal sera également partagé en deux postes à 50%. Là aussi, c'est un effet du nouvel article 10 de la loi d'organisation judiciaire, en vigueur depuis le 1er janvier 2011 ainsi que l'ordonnance concernant l'exercice de la fonction de juge et de procureur à temps partiel (RSJU 181.111).
Questions non réglées
«Nous avons publié ces chiffres, car il s'agit d'un sujet d'actualité, de plus en plus de postes de magistrat étant offerts à temps partiel», explique la juge fédérale Florence Aubry Girardin, membre du comité de l'ASM. Les incompatibilités, par exemple, ne sont pas les mêmes d'un canton à l'autre: certains n'autorisent la pratique du barreau qu'aux juges suppléants (Genève), d'autres qu'à de rares exceptions (président du Tribunal des mineurs, juge ou procureur extraordinaire - Jura), d'autres encore l'excluent pour les juges cantonaux, les présidents des tribunaux d'arrondissement, des mineurs ou des baux, les juges de paix, les juges d'application des peines et ceux du Tribunal des mesures de contrainte (Vaud). Encore, dans ce dernier cas, les avocats ne peuvent-ils plaider devant la juridiction à laquelle ils sont attachés.
«D'autres questions se posent dans les instances où certains juges n'exercent qu'à mi-temps: dans les décisions de groupe que prend un tribunal cantonal, par exemple, leur vote vaut-il une voix pleine ou une demi-voix?», interroge encore Florence Aubry Girardin. «Ces questions mériteraient de faire l'objet d'une réflexion plus approfondie, par exemple lors de la journée des juges que nous organisons», conclut-elle.