1. Introduction
Le 17 juin 2022, une réforme du code de procédure pénale (CPP) a été adoptée. Son entrée en vigueur n’est pas fixée, mais est envisagée pour le 1er janvier 2024; le Conseil fédéral devant arrêter la date d’entrée en vigueur au courant du deuxième semestre 2023. Plusieurs dispositions de cette novelle vont toucher les droits du prévenu, mais aussi et surtout les droits et obligations de la partie plaignante, sans compter de nouvelles obligations pour le ministère public.
La présente contribution a ainsi pour objectif d’offrir un panorama de ces modifications à l’attention des praticiens, étant rappelé que l’ordonnance pénale est utilisée par le ministère public – en tout cas à Genève – pour traiter la moitié des procédures pour des crimes et délits dont il est saisi, étant en outre précisé que toutes les contraventions font l’objet d’une ordonnance pénale.
La majorité des condamnations pénales prononcées en Suisse l’est donc par ordonnance pénale, ce qui démontre l’importance de maîtriser les modifications à venir de cette figure juridique incontournable de la procédure pénale.
2. La réforme du CPP
Le 28 août 2019, le Conseil fédéral a adopté son message concernant la modification du code de procédure pénale. Il y est indiqué que le CPP entré en vigueur n’occasionnait pas de grandes difficultés d’application mais nécessitait une modification car certaines règles n’étaient pas «parfaitement en adéquation avec la pratique». C’est dans ce contexte que la novelle du 17 juin 2022 a été votée (nCPP).
Dans les principales modifications du texte listées par le Conseil fédéral, l’ordonnance pénale est visée comme suit: «le ministère public devra entendre le prévenu s’il prévoit de prononcer une peine privative de liberté à exécuter dans le cadre d’une procédure d’ordonnance pénale; il pourra par ailleurs statuer sur les prétentions civiles».
L’examen du texte voté démontre toutefois que l’impact sur l’ordonnance est bien plus large. Alors que le Conseil fédéral annonce deux modifications de la procédure pénale en matière d’ordonnance pénale, nous en avons listé six, dont une constitue une «fausse» nouveauté.
Elles peuvent être résumées comme suit: l’audition obligatoire du prévenu en cas de prononcé d’une peine privative de liberté ferme, l’interpellation obligatoire du lésé avant tout prononcé d’une ordonnance pénale, les compétences potestatives du ministère public sur les prétentions civiles, la demande d’assistance judiciaire pour la procédure de recours (et donc d’opposition), le droit de recours (et donc d’opposition) des autorités fédérales et la fausse nouveauté du droit d’opposition de la partie plaignante, qui confirme un droit d’ores et déjà consacré par voie prétorienne.
Notons en passant que le Conseil fédéral a renoncé à plusieurs modifications envisagées sur l’ordonnance pénale dans l’avant-projet, à savoir interdire le prononcé d’une ordonnance pénale en cas de présence d’une partie plaignante au bénéfice du statut de victime au sens de l’art. 117 CPP, supprimer le retrait fictif de l’opposition en cas de défaut à la convocation sur opposition (art. 355 al. 2 et 356 al. 4 CPP) ou encore introduire le principe de l’interdiction de la reformatio in pejus dans la procédure d’ordonnance pénale.
3. Les modifications des normes sur l’ordonnance pénale
Selon l’art. 352 CPP, le ministère public rend une ordonnance pénale si, durant la procédure préliminaire, le prévenu a admis les faits ou que ceux-ci sont établis et que, incluant une éventuelle révocation d’un sursis ou d’une libération conditionnelle, il estime suffisante une amende, une peine pécuniaire de 180 jours-amende au plus ou une peine privative de liberté de six mois au plus.
L’ordonnance pénale est ainsi une proposition de jugement faite au prévenu. Rendue à la suite d’une procédure simplifiée, elle ne déploie ses effets juridiques qu’en cas d’acceptation manifestée par une absence d’opposition. Si le prévenu refuse la proposition, il lui suffit de former opposition pour ouvrir la procédure ordinaire de jugement; mécanisme qui garantit la conformité aux droits fondamentaux de l’ordonnance pénale.
Selon l’art. 354 al. 1 CPP, peuvent former opposition contre l’ordonnance pénale devant le ministère public, par écrit et dans les dix jours, le prévenu (let. a), les autres personnes concernées (let. b) et, si cela est prévu, le premier procureur ou le procureur général de la Confédération ou du canton, dans le cadre de la procédure pénale pertinente (let. c). L’opposition doit être motivée, à l’exception de celle du prévenu (art. 354 al. 2 CPP).
On entend par prévenu, tel que le mentionne l’art. 354 al. 1 let. a CPP, toute personne qui, à la suite d’une dénonciation, d’une plainte ou d’un acte de procédure accompli par une autorité pénale, est soupçonnée, prévenue ou accusée d’une infraction (art. 111 al. 1 CPP).
Les autres personnes concernées au sens de l’art. 354 al. 1 let. b CPP sont les tiers que l’ordonnance pénale touche directement dans leurs droits au sens de l’art. 105 al. 2 CPP. L’art. 354 al. 1 let. b CPP exige – comme pour la qualité pour recourir selon l’art. 382 al. 1 CPP – l’existence d’un intérêt juridique. Sont notamment considérés comme des autres personnes concernées la partie plaignante qui invoque une violation de l’art. 433 CPP en se plaignant de ne pas avoir obtenu d’indemnité ou une indemnité insuffisante sous l’angle de cette disposition ou encore la partie plaignante qui vise à obtenir une qualification juridique plus sévère des faits.
Le Tribunal fédéral applique ainsi à l’opposition à l’ordonnance pénale certaines dispositions relatives à la procédure de recours, traitant ainsi juridiquement l’opposition à l’ordonnance pénale comme une voie de recours, ce qui va avoir, comme nous le verrons, un impact pour certaines dispositions adoptées lors de la novelle du CPP du 17 juin 2022.
3.1 L’audition obligatoire du prévenu
Selon la teneur actuelle du CPP, le ministère public n’a aucune obligation d’entendre le prévenu – ou une autre partie – lors d’une audience avant de rendre une ordonnance pénale. Ce ne sera plus le cas à l’avenir dans certaines situations.
Un nouvel art. 352a nCPP a en effet été introduit avec la teneur suivante: «Le ministère public entend le prévenu s’il est probable que l’ordonnance pénale débouchera sur une peine privative de liberté à exécuter».
Cette nouvelle norme n’impose que l’audition du prévenu, et d’aucune autre partie, en particulier pas la partie plaignante (art. 118 CPP) ou la victime (art. 117 CPP), avant le prononcé d’une ordonnance pénale. Et cette audition n’est obligatoire que si l’ordonnance pénale débouche «sur une peine privative de liberté à exécuter». Dans les autres cas, la situation reste inchangée et aucune audition par le ministère public n’est obligatoire.
Il ressort des travaux préparatoires que seul le prononcé d’une peine privative de liberté ferme (ou en partie ferme) est visé par le texte: «cette obligation ne s’appliquera que si le ministère public a l’intention de rendre une ordonnance pénale infligeant au prévenu une peine privative de liberté à exécuter, quelle qu’en soit la durée. Il pourra s’agir d’une peine ferme, d’une peine avec sursis partiel ou d’une peine à exécuter suite à la révocation d’un sursis. Le projet permet de la sorte de contrer les critiques selon lesquelles, d’une part, la peine encourue n’est pas un critère valable pour justifier l’obligation d’entendre le prévenu et selon lesquelles, d’autre part, cette obligation s’appliquerait surtout à des cas mineurs».
En revanche, le prononcé d’une peine pécuniaire, même ferme, n’est pas visé par cette obligation à notre sens, car la lettre du texte mentionne uniquement les peines privatives de liberté, ce que la peine pécuniaire n’est pas.
3.2 L’interpellation du lésé
En application de la jurisprudence actuelle, le ministère public n’a pas l’obligation d’annoncer à la partie plaignante son intention de rendre une ordonnance pénale (art. 318 CPP) afin de lui permettre de faire valoir des prétentions en indemnité (art. 433 CPP). Cette dernière doit ainsi former opposition afin de pouvoir les réclamer.
La réforme prévoit l’introduction d’un nouvel alinéa 1bis à l’art. 318 avec la teneur suivante: «il indique par écrit aux personnes lésées dont le domicile est connu et qui n’ont pas encore été informées de leurs droits qu’il entend rendre une ordonnance pénale, une ordonnance de mise en accusation ou une ordonnance de classement; il leur fixe un délai pour se constituer parties plaignantes et pour présenter leurs réquisitions de preuves».
Cette novelle n’est toutefois nullement un changement de paradigme, car sa lettre démontre qu’elle ne s’applique qu’au lésé (art. 115 CPP) qui ne s’est pas constitué partie plaignante (art. 118 CPP), et qui n’a pas encore été informé de ses droits.
Cette interprétation restrictive est confirmée par les travaux préparatoires: «L’al. 1bis prévoit de ce fait une nouvelle obligation d’informer du ministère public avant la clôture de l’instruction, et ce uniquement pour les lésés qui n’ont pas encore été informés de leurs droits (en particulier le droit de se constituer parties plaignantes). Contrairement à ce que prévoit l’al. 1, le ministère public sera également tenu de faire cette communication avant de rendre une ordonnance pénale, car c’est précisément dans ce genre de procédures que les lésés risquent de ne pas se constituer parties plaignantes suffisamment tôt, en particulier si le ministère public rend immédiatement une ordonnance pénale».
Cette modification n’impose donc pas l’interpellation des parties plaignantes avant le prononcé d’une ordonnance pénale, mais uniquement celle des lésés qui n’ont pas été informés de leur droit. En pratique, la majorité des lésés auront déjà été informés de leur droit par la police (cf. art. 118 al. 4 CPP). Cette nouveauté ne devrait donc guère avoir d’impact sur un plan pratique.
3.3 Les prétentions civiles
À ce jour, les prétentions civiles – sous réserve de l’indemnité de procédure pour le défenseur de la partie plaignante au sens de l’art. 433 CPP – ne sont pas traitées dans l’ordonnance pénale, l’art. 353 al. 2 CPP se limitant à prévoir que si le prévenu a reconnu des prétentions civiles de la partie plaignante, mention en est faite dans l’ordonnance pénale. Les prétentions qui n’ont pas été reconnues sont renvoyées au procès civil. En pratique, le ministère public renvoie donc systématiquement la partie plaignante à agir au civil.
Une (r)évolution a été introduite par la réforme, le ministère public pouvant maintenant traiter les prétentions civiles jusqu’à 30 000 francs selon la nouvelle teneur de l’art. 352 al. 2 nCPP: «Le ministère public peut statuer sur les prétentions civiles par ordonnance pénale, dans la mesure où celles-ci sont reconnues par le prévenu, ou lorsque les conditions suivantes sont réunies: aucune administration supplémentaire des preuves n’est nécessaire (let. a); la valeur litigieuse n’excède pas 30 000 francs (let. b)».
Selon les travaux préparatoires, «il est en effet absurde que le ministère public doive renvoyer au civil une créance certes contestée par le prévenu, mais liquide». Il ressort ainsi de cette mention qu’il s’agit pour le ministère public de trancher des prétentions civiles démontrées par pièces, par exemple par des factures en cas de vol (art. 139 CP).
Il n’en demeure pas moins que l’art. 352 al. 2 CPP demeure une norme potestative pour le ministère public, qui ne s’est pas vu imposer une obligation de trancher les prétentions civiles jusqu’à 30 000 francs. Ainsi, en cas de violation de cette disposition par le ministère public, la seule voie de la partie plaignante sera de former opposition (art. 354 CPP).
3.4 Le droit d’opposition de la partie plaignante
Nous avons vu qu’il ressort de la jurisprudence que la partie plaignante qui invoque une violation de l’art. 433 CPP en se plaignant de ne pas avoir obtenu d’indemnité ou une indemnité insuffisante sous l’angle de cette disposition ou encore la partie plaignante qui vise à obtenir une qualification juridique plus sévère des faits peut former opposition à une ordonnance pénale au sens de l’art. 354 let. b CPP, en sa qualité «d’autre personne concernée».
La réforme lui accorde maintenant formellement ce droit – qu’elle avait donc déjà – par l’introduction d’une nouvelle lettre à l’art. 354 CPP dans l’énumération des personnes pouvant former opposition: «abis la partie plaignante». L’art. 354 al. 1bis nCPP prévoit cependant maintenant explicitement que la partie plaignante ne peut pas former opposition sur la sanction: «La partie plaignante ne peut pas former opposition contre la sanction prononcée dans l’ordonnance pénale».
Cette novelle ne changera rien en pratique, ce droit d’opposition existant déjà.
3.5 La demande d’assistance judiciaire pour la procédure de recours
En revanche, la qualification juridique de «recours» pour la voie de l’opposition par le Tribunal fédéral conjuguée à une modification sur les règles sur l’assistance judiciaire gratuite pour la partie plaignante et la victime introduit une chausse-trape pour les parties plaignantes (et les victimes) plaidant au bénéfice de l’assistance judiciaire.
L’art. 136 al. 3 nCPP prévoit en effet nouvellement que «Lors de la procédure de recours, l’assistance judiciaire gratuite doit faire l’objet d’une nouvelle demande». La procédure d’opposition étant qualifiée de «procédure de recours» par le Tribunal fédéral, la partie plaignante au bénéfice de l’assistance judiciaire devra donc redemander l’assistance judiciaire en cas d’opposition (la sienne ou celle du prévenu) à une ordonnance pénale et ce à deux reprises, pour la procédure devant le ministère public (art. 355 al. 1 CPP), puis, à nouveau, pour la procédure devant le tribunal de première instance (art. 356 al. 1 CPP).
Cette modification n’apporte rien en pratique, sauf une multitude d’actes à effectuer par la partie plaignante et le ministère public. Le législateur aurait été bien inspiré d’exclure l’ordonnance pénale de son champ d’application, ce qu’il n’a malheureusement pas fait.
3.6 Le droit de recours des autorités fédérales
Enfin, le législateur a accordé aux autorités fédérales un droit de recours général à l’art. 381a nCPP: «Les autorités fédérales peuvent recourir contre les décisions cantonales lorsque le droit fédéral prévoit que la décision doit leur être communiquée».
Or, comme nous l’avons déjà vu pour le droit d’opposition pour la partie plaignante et pour les questions relatives à l’assistance judiciaire, le Tribunal fédéral traite l’opposition à ordonnance pénale comme une voie de recours. À notre sens, cela signifie que toutes ces autorités fédérales disposeront de la qualité pour déposer une opposition contre toute ordonnance pénale en leur qualité «d’autres personnes concernées» au sens de l’art. 354 let. b CPP.
Cette modification n’est pas négligeable en pratique au vu du nombre d’autorités fédérales concernées par une telle communication (cf. art. 75 al. 4 CPP et ordonnance réglant la communication des décisions pénales prises par les autorités cantonales).
4. Conclusion
Il ressort de ce panorama que l’institution juridique de l’ordonnance pénale n’a pas été véritablement modifiée en profondeur. Il s’agit avant tout de modifications de pure procédure.
À cet égard, il est à craindre que l’audition obligatoire en cas de prononcé d’une peine ferme ne soit qu’une audition de pure forme. On demande en effet au ministère public de faire un pronostic sur la peine qu’il entend prononcer afin de déterminer la nécessité d’auditionner un prévenu. Il y a peu de chances que sa vision, qui sera basée principalement sur les antécédents du prévenu (art. 42 CP), ne change radicalement après son audition.
S’agissant de la partie plaignante, une première lecture peut laisser penser qu’elle est la grande gagnante de cette modification. Il n’en est rien à notre sens: son droit d’opposition existait déjà, l’obligation de se prononcer sur les prétentions civiles n’en est pas une et, pour compliquer les choses, elle devra redemander l’assistance juridique à chaque étape de l’opposition à l’ordonnance pénale. Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué! Surtout quand c’est inutile…
1 RS 312.0.
2 FF 2022 1560.
3 Compte rendu de l’activité du Pouvoir judiciaire genevois en 2022, Genève, mars 2023 (justice.ge.ch/fr/contenu/comptes-rendus-de-lactivite-
du-pouvoir-judiciaire, consulté le 11 juin 2023), p. 20.
4 FF 2019 6351, p. 6353.
5 FF 2019 6351, p. 6354.
6 Infra 3.1.
7 Infra 3.2.
8 Infra 3.3.
9 Infra 3.5.
10 Infra 3.6.
11 Infra 3.4.
12 FF 2019 6351, p. 6373.
13 ATF 130 IV 72 c. 2.3.
14 Arrêt 6B_1290/2021 du 31 mars 2022 c. 4.1 et les références citées.
15 Arrêt 6B_410/2013 du 5 janvier 2016 c. 3.3, publié in SJ 2016 I 193.
16 ATF 141 IV 231 c. 2.3.
17 ATF 139 IV 102 c. 5.2.
18 ATF 141 IV 231 c. 2.3.
19 Infra 3.5 et 3.6.
20 Arrêt 6B_460/2015 du 2 mars 2016 c. 2.4 et les références citées.
21 FF 2022 1560.
22 FF 2019 6351, p. 6412.
23 Arrêt 6B_549/2015 du 16 mars 2016.
24 FF 2022 1560.
25 FF 2019 6351, p. 6410.
26 FF 2022 1560.
27 Code pénal; RS 311.0.
28 Supra 3.
29 ATF 139 IV 102 c. 5.2.
30 ATF 141 IV 231 c. 2.3.
31 FF 2022 1560.
32 FF 2022 1560.
33 ATF 141 IV 231 c. 2.3; ATF 139 IV 102 c. 5.2; arrêt 6B_410/2013 du 5 janvier 2016 c. 3.3, publié in SJ 2016 I 193. À ce sujet, cf. supra 3.
34 FF 2022 1560.
35 RS 312.3.