plaidoyer: La modification du Code des obligations introduite dans la foulée du nouveau droit d’assainissement des entreprises prévoit, dès le 1er janvier, une obligation de négocier un plan social pour les grandes entreprises. Or, certains syndicalistes estiment qu’il s’agit d’un coup d’épée dans l’eau. En effet, pour des questions d’image, les entreprises occupant au moins 250 travailleurs ne pourraient, déjà aujourd’hui, résilier le contrat d’au moins 30 travailleurs sans négocier un plan social. Rien ne va donc fondamentalement changer?
Rémy Wyler: Il ne s’agit pas d’un coup d’épée dans l’eau, pour deux motifs. Tout d’abord, inscrire cette obligation de négocier un plan social dans la loi, ce qui était depuis des années une revendication syndicale, contribue à la sécurité du droit. Car, même si, en pratique, la plupart des grandes entreprises le font déjà, certaines d’entre elles, qui délocalisent leur production à l’étranger, ne voient pas d’inconvénient à ne rien négocier du tout. Deuxièmement, l’obligation de saisir un tribunal arbitral qui arrêtera un plan social obligatoire au cas où les parties ne parviendraient pas à s’entendre (selon le nouvel art. 335j CO, ndlr.) va renforcer la position des travailleurs dans la négociation. Ce qui pouvait apparaître comme une faveur offerte à bien plaire par l’employeur est désormais une obligation légale.
Ruth Derrer: Nous regrettons que ces articles aient été introduits une fois la procédure de consultation faite. Je ne suis pas sûre qu’on puisse dire qu’il s’agit là d’une amélioration de la position des travailleurs. Les conventions collectives de branche permettaient jusqu’alors d’inclure des dispositions sur les plans sociaux qui tenaient compte de leurs besoins spécifiques, sans pour autant prévoir l’intervention d’un tribunal arbitral en cas de désaccord. Cette nouveauté exposera les entreprises à faire de larges concessions aux syndicats qui seront en position de force.
Rémy Wyler: Votre crainte montre bien qu’il est faux de parler d’une disposition inutile. L’inconnue, aujourd’hui, c’est de savoir quel sera le standard fixé dans la plupart des futurs plans sociaux. S’agira-t-il de deux, de six ou de douze mois de salaire?
Ruth Derrer: Et qui définira la limite, puisqu’un plan social ne doit pas «mettre en danger l’existence de l’entreprise», selon l’art. 335h II nouveau CO? Cette notion indéterminée devra être précisée.
plaidoyer: Une autre critique porte sur l’absence de contenu minimal obligatoire du plan social, la loi ne le définissant pas. Même si le Message cite des exemples de mesures pouvant être prévues – tels que le paiement de cours de reconversion, l’aide d’un service de placement pour les travailleurs licenciés ou une contribution aux frais de déplacement pour se rendre à un nouveau poste – on ne peut exclure que l’employeur propose un plan social sans consistance.
Ruth Derrer: Pour l’Union patronale suisse, le plan social ne doit pas être une simple question d’argent. L’ouverture d’un bureau de reclassement du personnel, des mesures de reconversion sous-traitées à des spécialistes peuvent composer son contenu. Nous constatons que de grandes banques prévoient maintenant des plans sociaux valables pour plusieurs années. Une entreprise qui continue à exister a intérêt à ce que l’opinion publique en dise du bien, et donc à veiller à ce qu’il remplisse son rôle.
Rémy Wyler: Le premier rôle d’un plan social est d’accompagner les travailleurs licenciés vers un nouvel emploi, les indemnités salariales ayant une fonction subsidiaire. Les plans devraient, à mon avis, privilégier le reclassement. Ces clauses sont toutefois difficiles à négocier car les employés sont plus intéressés par les montants octroyés. L’employeur qui négocie peut fixer ses priorités…
Ruth Derrer: Je suis tout-à-fait d’accord. Mais il est vrai que ces clauses sont difficiles à mettre en œuvre, car l’argent est préféré aux cours de langues.
plaidoyer: La question de savoir quelles mesures prendre dans le cadre d’un plan social fournit en tout cas matière à conflit selon l’UPS?
Ruth Derrer: C’est le cas, car la seule limitation est que ces mesures ne mettent pas en danger l’existence de l’entreprise. Cela pourrait conduire les syndicats à formuler des exigences démesurées, par exemple que les travailleurs dépassant 55 ans aient droit à leur salaire jusqu’au moment de la retraite. Il est probable que ces conflits finiront devant un tribunal arbitral et nous risquons d’avoir des procédures qui, devant respecter le Code de procédure civile suisse, pourront durer des mois.
Rémy Wyler: Les partenaires sociaux devront être raisonnablement imaginatifs, mais pas exubérants! Aujourd’hui, on considère qu’un plan social où l’employeur garantit six mois de salaire est généreux. Je suis confiant sur le fait que la durée des rapports de travail, la situation familiale et l’égalité de traitement seront des facteurs pris en compte pour trouver des solutions satisfaisantes. S’agissant des craintes au sujet de la durée, en matière d’arbitrage, dans certains cas, les Swiss Rules imposent une procédure maximale de six mois. Rien n’empêcherait les parties de prévoir également des limites temporelles à la négociation paritaire ou au temps mis à disposition des arbitres pour rendre leur sentence.
plaidoyer: La nouvelle loi ne péjore-t-elle pas la situation des travailleurs, dès lors que cette obligation de négocier un plan social ne s’appliquera pas en cas de faillite ou de sursis concordataire (art. 335e II nouveau CO)? L’Union syndicale suisse estime que des mesures de compensation seront nécessaires pour les travailleurs ne bénéficiant plus du transfert automatique de leurs contrats de travail en cas de reprise d’entreprise (art. 335b CO).
Rémy Wyler: Le Tribunal fédéral avait déjà affirmé qu’il n’existait pas de responsabilité solidaire entre l’entreprise en faillite et son acquéreur pour les créances salariales échues avant la reprise de l’entreprise au sens de l’art. 333 III CO. Le nouveau droit, en ne prévoyant pas d’obligation de reprendre tous les contrats de travail, maintient un certain libéralisme qui facilitera les reprises d’entreprises et qui est souhaitable. Les travailleurs dont le contrat n’est pas repris bénéficient des mesures usuelles de protection. Ce sont l’assurance-chômage, le privilège de première classe octroyé aux créances des travailleurs, éventuellement une action en responsabilité contre les administrateurs qui assureront la protection des salariés. Il n’y a aucune raison d’impliquer le repreneur dans ces mesures qui ne le concernent pas.
Ruth Derrer: Je partage l’avis de Me Wyler. Si un département seulement d’une entreprise est viable, il vaut mieux poursuivre l’exercice avec les travailleurs de ce département plutôt que de couler toute la société du fait de charges excessives.
plaidoyer: Ruth Derrer, pourquoi l’obligation de plan social ne permettrait-elle pas de trouver des solutions tenant compte des spécificités de branche, tel que c’était le cas lors de la libre négociation entre partenaires sociaux?
Ruth Derrer: L’industrie des machines, par exemple, possède déjà une grande expérience de la négociation de plans sociaux; elle a développé des solutions et procédures qui ont fait leurs preuves. Nous aurions souhaité que la loi dise expressément que ces solutions peuvent être maintenues; or, la nouvelle loi semble faire table rase de tout ce qui a été fait jusqu’ici.
Rémy Wyler: Je ne suis pas certain que la loi, qui prévoit dans ce cas qu’il y ait une négociation avec les représentants des travailleurs, soit un obstacle à ces solutions de branche. En particulier, la CCT de branche pourrait prévoir un mécanisme arbitral en cas d’échec des négociations.
plaidoyer: Faut-il s’attendre à une forte activité des tribunaux arbitraux instaurés par la loi?
Rémy Wyler: Je pense, au contraire, qu’ils fonctionneront très peu. Ils joueront le rôle d’une épée de Damoclès qui poussera les parties à s’entendre, mais ne sera pratiquement pas utilisée. La loi sur la fusion a aussi des dispositions poussant les parties à se mettre d’accord; je pense aux articles 28, III, 50 et 77 II LFus selon lesquels le juge peut interdire l’inscription de la fusion, de la scission ou du transfert de patrimoine au Registre du commerce en cas de non-respect du devoir d’information et de la procédure de consultation des travailleurs, si des mesures les concernant sont envisagées. Or, cette possibilité n’a apparemment pas encore été utilisée car les employeurs ont pris conscience de la nécessité de favoriser la participation des travailleurs.
Ruth Derrer: Je ne partage pas votre optimisme. Nous voyons de plus en plus des syndicalistes non issus du monde du travail comme c’était le cas traditionnellement, mais de jeunes diplômés ayant des ambitions politiques, avec lesquels la confrontation est de plus en plus idéologique. Cette évolution fait qu’il est plus difficile aux partenaires sociaux de s’entendre.
plaidoyer: Les arbitres pourront aussi pousser les parties à la négociation…
Rémy Wyler: Oui et il faut leur faire confiance. L’art. 335i III CO représente un gain syndical, car les syndicats étaient, jusqu’alors, exclus des négociations en vue d’établir un plan social. Pour autant qu’il existe une CCT d’entreprise, ils ont gagné le droit d’y participer désormais. Les représentants des travailleurs devront être formés à la négociation.
Ruth Derrer: Cela va en effet nous amener à avoir plus de discussion avec les représentants des travailleurs.
plaidoyer: Cette obligation de plan social ne s’applique, pour l’heure, que dans moins de 1% des entreprises privées, représentant cependant près de 39% des salariés. Faudra-t-il l’étendre plus largement, comme le demande l’Union syndicale suisse (seuil d’application abaissé dès 100 salariés)?
Ruth Derrer: Je ne comprends pas cette argumentation. Pour moi, ce qui importe est le pourcentage des employés soumis, qui est déjà important. J’espère qu’on n’en viendra pas à une obligation de négocier pour toutes les entreprises, surtout si l’on pense qu’elle a été introduite subrepticement, sous le manteau, sans respecter le partenariat social, dans un chapitre traitant de la restructuration des entreprises en faillite. Nous n’avons pas été entendus correctement, et cela nous reste en travers de la gorge.
Rémy Wyler: J’estime pour ma part logique que la situation des travailleurs ait été évoquée dans le cadre de la révision du droit de l’assainissement. Je ne me prononce pas sur la question de savoir si l’on est allé trop loin. S’agissant d’élargir l’obligation de plan social à l’avenir, il ne faut pas sous-estimer les instruments en place. De mon expérience d’avocat, lorsque les parties se retrouvent devant la Commission cantonale de conciliation, les pressions sur l’employeur pour qu’il consente à négocier un plan social sont très efficaces.
Rémy Wyler, 53 ans, docteur en droit, avocat, spécialiste FSA en droit du travail et professeur de droit du travail à l’Université de Lausanne.
Ruth Derrer Balladore, 59 ans, licenciée en droit, avocate, membre de la direction de l’Union patronale suisse, secteur droit du travail et marché du travail.