La CrEDH2 vient de réaffirmer qu’il est essentiel pour une société démocratique et pour l’application effective de la CEDH, particulièrement pour la garantie d’un procès équitable, que les avocats puissent exercer leur profession sans entraves et que leur liberté d’expression soit respectée (cf. art. 6 et 10 CEDH). «Outre la substance des idées et des informations exprimées, elle englobe leur mode d’expression.» L’avocat peut aussi attirer l’attention du public sur des dysfonctionnements judiciaires et contribuer à un débat d’intérêt général, ses jugements de valeur devant toutefois reposer sur une «base factuelle» suffisante. Le TF3 considère que l’avocat, qui peut se prévaloir de la liberté d’opinion (art. 16 Cst.), «dispose d’une grande liberté pour critiquer l’administration de la justice» et qu’«il y a un intérêt public à ce qu’une procédure se déroule conformément aux exigences d’un Etat fondé sur le droit». Il a «le devoir et le droit de relever les anomalies et de dénoncer les vices de procédure. Le prix à payer pour cette liberté de critiquer l’administration de la justice consiste à s’accommoder de certaines exagérations.» S’il est vrai que le libre exercice de la parole constitue, pour l’avocat, une valeur essentielle de son métier4 et que sa liberté d’expression doit être protégée pour assurer une défense effective de ses clients, est-ce à dire que cette liberté est sans limite? Compte tenu du rôle clé de l’avocat, «intermédiaire entre les justiciables et les tribunaux», on attend de lui qu’il ne sape pas la confiance dans les autorités et n’entrave pas la bonne administration de la justice. Le TF (par exemple les arrêts cités à la note 3) a précisé les contours de cette liberté et admet que l’art. 12 lit. a LLCA constitue une base légale suffisante pour la limiter5.
En substance, les limites dépendront du contexte, en particulier du cadre dans lequel cette parole est exercée et du contenu de ce qui est exprimé, étant précisé que l’avocat ne saurait nuire aux intérêts de son client. L’avocat dispose d’une grande liberté de parole dans le cadre d’une procédure, qu’il s’exprime par écrit ou par oral. Lors de débats oraux, «dans le feu de l’action», on admet une moins grande retenue. L’appréciation sera plus stricte si l’avocat s’exprime hors procédure, par exemple dans les médias, et si ses déclarations ne sont pas en lien avec une affaire. Quant au contenu, l’avocat ne saurait formuler des critiques de mauvaise foi, tenir des propos attentatoires à l’honneur, menaçants, injurieux ou inutilement blessants. Il n’a pas à proférer d’attaques personnelles. Rappelons que la clause générale de l’art. 12 lit. a LLCA vise aussi son comportement envers ses confrères, la partie adverse et toutes les autorités (cf. aussi art. 8 CSD).
Dans notre cas, Me Lur s’est exprimé lors d’une audience, pour assurer la défense de son client dans le cadre d’une procédure pénale. On peut se demander s’il s’agit d’une attaque personnelle envers le procureur, mais on relève qu’il mentionne le Ministère public sans autre précision, en réponse à des propos critiquables. Me Lur devrait pouvoir invoquer que cette unique déclaration en audience ne constitue pas un manquement significatif aux devoirs de la profession permettant de lui infliger une sanction pour violation de l’art. 12 lit. a LLCA (TF 2C_652/2014 & réf. c. 3.2). Il nous paraît qu’il s’agit d’une exagération à laquelle l’autorité doit pouvoir s’accommoder dans ces circonstances.
1Ce cas est inspiré de l’arrêt TF 2C_652/2014 du 24.12.2014.
2L’arrêt du 23.4.2015 de la Grande Chambre de la CrEDH dans l’affaire Morice c. France (n. 29369/10) résume sa jurisprudence en la matière (ce cas concernant des propos tenus hors prétoire).
3TF 2C_652/2014 et par exemple 2C_247/2014; 2C_1138/2013; 2C_665/2010; 2C_737/2008; 2A.368/2005; 2A.600/2003; 2A.191/2003; 2A.448/2003; 2A.151/2003; ATF 131 IV 154; ATF 130 II 270; ATF 108 Ia 316; ATF 106 Ia 100. Chappuis (La profession d’avocat, T. 1, 2014, p. 37) relève à juste titre la sévérité parfois du TF.
4Casadevall, L’avocat et la liberté d’expression, p. 1 (www.ccbe.eu, cf. Human Rights Seminar, Athènes 16.5.2013).
5P. ex. TF 2A.368/2005 c. 2.2. Bohnet/Martenet, Droit de la profession d’avocat, Berne 2009, p. 179 N 415, signalent la position partagée de la doctrine et considèrent qu’une restriction grave nécessite une base légale plus précise.