Le constat n’est pas nouveau: en Suisse, la proportion de libérations conditionnelles prononcées varie fortement d’un canton à l’autre. En 2015, selon des chiffres que nous a fournis l’Office fédéral de la statistique, seules 355 personnes sur 656 personnes détenues pour plus de trois mois ont été libérées dans le canton de Vaud, ce qui correspond à un taux de 54,1%. Ce taux était un peu plus élevé cette même année à Genève (325 personnes libérées sur 485, soit 67%). Mais rien à voir avec les taux que connaissent des cantons comme Bâle (167 personnes libérées sur 215, soit 77%) ou Zurich (482 personnes libérées sur 660, soit 73%)1.
Pratique plus sévère
«Nous avons constaté que la pratique, au sein du Concordat latin sur l’exécution des peines privatives de liberté, était la plus sévère, alors que le Concordat de la Suisse orientale est celui qui octroie le plus de libérations conditionnelles. Le Concordat du Nord-Ouest et de la Suisse centrale se trouve au milieu. Les différences sont relativement significatives (environ 25% entre le Concordat latin et les Concordats alémaniques pour la période de 2009-2013 – analyse portant sur 13 cantons, et de 7% à 14% pour la période de 2014-2015 avec 23 cantons)», constate la doctorante à l’Université de Fribourg Aimée Zermatten, qui a mené une enquête présentée aux 10e Journées pénitentiaires de Fribourg avec le chef de l’Office de l’exécution judiciaire du canton de Berne, Thomas Freytag. «Nous ignorons si cela est lié à un taux d’expulsion différent dans les cantons alémaniques (on libérerait plus facilement en sachant que cette libération sera suivie d’expulsion). Il semble, en revanche, qu’il n’y ait pas de grande différence liée à la composition des autorités, qui peuvent être soit administratives, soit judiciaires.»
Pour remédier à ces différences de traitement, notamment, il est nécessaire de créer une seule commission concordataire latine de libération conditionnelle, centralisée sur le modèle qui prévaut en Suisse alémanique, selon Aimée Zermatten. En effet, actuellement, sept commissions cantonales, ayant, chacune, leur composition propre, se prononcent dans chaque canton latin au sujet de la libération conditionnelle des détenus.
Standard minimum
«L’art. 62d II CP fixe un standard minimum en exigeant qu’il y ait des représentants des autorités de poursuite pénale, des autorités d’exécution et des milieux de la psychiatrie. A mon avis, la présence de représentants de la probation, qui ont une vision de l’avenir possible d’un détenu, comme c’est le cas à Neuchâtel, est aussi indispensable, commente Christian Clerici, chef du Service pénitentiaire de ce canton. Je regrette que les cantons latins, qui se sont posé la question de l’opportunité de passer à une commission d’examen unique en 2014, y aient renoncé. Je suis pour que ces commissions aient un haut niveau scientifique et, en ayant un bassin de recrutement plus grand, je suis persuadé qu’on aurait un meilleur outil. Dans de plus petits cantons, on peut avoir de la peine à trouver des spécialistes qui ne se sont pas déjà prononcés. On perdrait peut-être en efficacité et en rapidité, mais l’expérience du Concordat alémanique nous montre qu’une Commission unique fonctionne.»
Les risques de récusation, par exemple d’un procureur membre de la commission de libération conditionnelle qui avait soutenu l’accusation lors de la condamnation du détenu, sont aussi plus fréquents sur le plan cantonal qu’au niveau de tout un concordat. Le TF a reconnu au détenu, dans un tel cas, le droit de demander la récusation du procureur2; mais les conditions sont sévères. Il ne pourra plus s’en prévaloir s’il ne l’a pas fait immédiatement après avoir connu la composition de cette autorité3.
Rapprocher les méthodes
«J’ai été à l’origine des réunions bisannuelles des présidents de commissions, afin de rapprocher nos vues et nos méthodes de travail», indique le président de la Commission genevoise d’évaluation de la dangerosité, Jean-Pierre Bissat. Une première séance a eu lieu ce printemps et une seconde est prévue d’ici à Noël. La Commission genevoise siège selon une composition de trois membres (un représentant du Ministère public, un fonctionnaire de l’Office cantonal de la détention et un psychiatre des Hôpitaux universitaires genevois)4. «Je ne pense pas qu’une commission concordataire permettrait un suivi aussi étroit que le nôtre», estime Jean-Pierre Bissat, qui souligne que la commission auditionne tous les détenus ayant commis des infractions qualifiées et concernés par des allégements dans l’exécution, «ce que ne font pas systématiquement les cantons alémaniques». La confrontation du dossier et de l’écoute de la personne «permet une profondeur d’appréciation significative qu’une appréciation du seul dossier ne permet pas. La libération conditionnelle peut encore être encadrée par une assistance de probation», conclut-il. S’il n’est pas opposé dans l’idéal à une unification des diverses commissions cantonales, en l’état, l’avocat valaisan Olivier Derivaz, qui préside la Commission valaisanne d’évaluation de la dangerosité5, est aussi pour le statu quo: «L’idée d’une commission unique intercantonale n’est pas agréée politiquement par les départements des cantons concernés, et n’est donc pas réaliste.» Il ajoute: «Le fait que le dossier d’une même personne puisse être soumis plusieurs fois à la même commission me paraît être plutôt un avantage pour examiner l’évolution de la situation.»
Poids différent
«Il faut distinguer les cantons qui connaissent une commission rendant un préavis à l’intention d’une autorité administrative, comme Fribourg ou Neuchâtel, où le préavis a un poids important dans la décision du Service d’application des peines, et un système comme dans le canton de Vaud, où l’avis de la commission n’est qu’un élément parmi d’autres soumis au juge d’application des peines. On ne peut pas dire que ces commissions aient le même poids partout», souligne Raphaël Brossard, chef de service adjoint au Service pénitentiaire vaudois. Il n’est pas non plus favorable à une commission romande d’examen de la dangerosité centralisée: «Il n’est pas certain que l’on trouve des experts prêts à ne faire que cela et à assumer une telle responsabilité. Aujourd’hui, le fait que les membres de la commission gardent un pied dans leur activité professionnelle me semble leur assurer un regard plus fiable», confie-t-il. D’autant que des évolutions sont possibles: le règlement définissant la composition de la commission vaudoise est en train d’être révisé6.
Pressions
Le professeur de droit pénal à l’Université de Fribourg, Nicolas Queloz, est cependant convaincu qu’une commission concordataire unique «résoudrait le problème de la diversité de composition de ces commissions, même si certaines professions se retrouvent dans toutes. Une des difficultés majeures est qu’une commission de dangerosité cantonale est plus susceptible d’être en butte aux pressions locales, qu’elles soient politiques ou médiatiques. En principe, les personnes qui ont déjà pris une décision relative au condamné et qui n’auraient plus l’objectivité nécessaire devraient se récuser et être remplacées par une personne posant un regard neuf sur la situation. Ce n’est pas la pratique courante, et c’est là que le cercle restreint de spécialistes et de membres d’une commission seulement cantonale pose problème et est critiquable.»
Le président de la Commission jurassienne, Gérald Schaller, qui comprend justement le bâtonnier de l’Ordre des avocats de ce canton, admet qu’«une commission plus éloignée pourrait s’abstraire de certaines pressions». Il juge aussi que «si, année après année, on a des différences aussi importantes dans le taux d’admission des libérations conditionnelles, c’est un peu gênant, comme le sont aussi les différences culturelles cantonales en matière de détention avant jugement».