1. Soixante ans pour introduire le congé maternité
Accepté en votation populaire du 25 novembre 1945, par une large majorité du peuple et des cantons, a été introduit l’art. 34 quinquies de la Constitution fédérale de 1874, dans lequel il est écrit que «La Confédération instituera, par la voie législative, l’assurance-maternité». Dans l’actuelle Constitution fédérale du 18 avril 1999, l’art. 116 al. 3 prévoit que la Confédération institue une assurance-maternité. En date du 13 juin 1999, le peuple suisse a rejeté la loi fédérale du 18 décembre 1998 sur l’assurance-maternité.
Un nouveau projet a été présenté le 3 octobre 2002 par la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N), lequel a été soutenu par le Conseil fédéral (avec quelques observations), de sorte que le congé de maternité de 14 semaines (art. 329f aCO) est entré en vigueur le 1er juillet 2005, simultanément avec les dispositions de la loi sur les allocations perte de gain (LAPG) relatives à l’allocation de maternité. Près de 60 ans se sont écoulés entre l’expression de la volonté populaire et l’introduction d’un congé de maternité.
2. Les fulgurantes évolutions depuis 2021
Pendant près de 15 ans depuis l’entrée en vigueur du congé de maternité, les protections parentales n’ont guère évolué en Suisse. Le 4 juillet 2017, a été lancée une initiative, «Le congé paternité maintenant!», à la suite de laquelle la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des États (CSSS-E) a déposé un contre-projet indirect. Ainsi, le 1er janvier 2021, est entré en vigueur le congé de paternité (art. 329g aCO), simultanément à l’introduction de l’allocation de paternité (art. 16i ss. LAPG).
Dans la même période, le 22 mai 2019, le Conseil fédéral a publié son Message concernant l’amélioration de la conciliation entre activité professionnelle et prise en charge de proches. Cette procédure a conduit à l’entrée en vigueur le 1er janvier 2021 du congé pour la prise en charge de proches (art. 329h CO), le 1er juillet 2021 du congé pour la prise en charge d’un enfant gravement atteint dans sa santé en raison d’une maladie ou d’un accident (art. 329i CO), avec les allocations perte de gain y relatives, ainsi qu’au renforcement des protections relatives à la réduction des vacances (art. 329b CO) et à la protection contre la résiliation en temps inopportun (art. 336c CO) en relation avec ces nouvelles dispositions.
Depuis, le Parlement n’a cessé de s’intéresser à l’amélioration des protections parentales. Le congé d’adoption (art. 329j CO) est entré en vigueur le 1er janvier 2023. Les congés du parent survivant sont entrés en vigueur le 1er janvier 2024 (art. 329f al. 3 et 329g bis CO). Le 12 juin 2024, le Conseil national a décidé de transmettre une motion, tendant à accorder le congé de paternité ou de l’autre parent dans son intégralité même si l’enfant est mort-né ou décède dans les 14 jours suivant sa naissance.
La période quinquennale actuelle est celle de l’amélioration des protections parentales en droit fédéral, dans une perspective de plus en plus égalitaire entre les parents, étant rappelé que le mariage pour tous a été accepté en votation populaire le 26 septembre 2021.
Les protections parentales fédérales ont été adoptées dans des processus successifs, non coordonnés, de sorte qu’elles présentent des structures asymétriques. Conscient des nombreuses évolutions de la LAPG, depuis son entrée en vigueur en 1953, étant précisé que celle-ci ne prévoyait initialement que l’indemnisation pendant le service militaire, le Conseil fédéral a mis en consultation le 22 décembre 2023 un avant-projet de loi tendant à mieux harmoniser les différentes prestations et à les adapter aux évolutions de la société. Cet avant-projet (AP) envisage d’apporter de nombreuses modifications au régime prévu par la loi fédérale sur les allocations perte de gain et par le code des obligations; nous nous y référerons en les citant «AP-LAPG» et «AP-CO».
Dans ce contexte, nous proposons un tour d’horizon, qui synthétise ces protections, en tentant de dégager leurs particularités essentielles, tout en mentionnant certaines des évolutions envisagées par le Conseil fédéral dans son avant-projet de décembre 2023.
Nous tenons compte de la législation en vigueur à la date du 1er septembre 2024.
3. Droit cantonal
Les législations cantonales contiennent aussi des protections.
Par exemple, les femmes salariées domiciliées depuis 9 mois au moins dans le canton de Vaud ont droit durant 98 jours aux prestations dont elles sont exclues par la LAPG, soit parce qu’elles n’en remplissent pas les conditions, soit parce qu’elles accueillent en vue de l’adoption, après autorisation, un enfant de moins de 12 ans, autre que celui du conjoint (art. 20 VD-LVLAFam).
Le canton de Genève dispose d’une loi instituant une assurance en cas de maternité et d’adoption (GE-LAMat) ayant pour but de compléter les prestations prévues par la LAPG; elle prévoit notamment le paiement de l’allocation de maternité pour une durée de 16 semaines avec prolongation du droit de 12 semaines au plus en cas d’hospitalisation du nouveau-né (art. 5 GE-LAMat), avec un principe de subsidiarité par rapport aux allocations versées en application du droit fédéral (art. 6 GE-LAMat). En votation du 18 juin 2023, le peuple genevois a accepté l’initiative populaire prévoyant de compléter l’assurance-maternité cantonale existante par huit semaines en faveur de l’autre parent, financée à parts égales par les employeurs et les employés.
Toutefois, compte tenu de son avis selon lequel les cantons ne disposent pas de la compétence générale d’introduire un congé parental ou de paternité cantonal plus étendu que ce qui est prévu par le droit fédéral pour les travailleurs au bénéfice d’un contrat de travail de droit privé, le Conseil fédéral a considéré que la modification de la Constitution genevoise en relation avec l’assurance cantonale de parentalité (art. 205 al. 3 et 4 Cst. GE) n’est pas totalement compatible avec le droit fédéral. Dans son message du 22 mai 2024, il a mentionné son ouverture à l’amélioration des libertés cantonales à ce sujet, en précisant qu’il a mis une modification de la LAPG en consultation, en prévoyant la possibilité pour les cantons d’étendre le congé paternité et de le financer, par exemple, par un supplément cantonal aux cotisations APG.
4. Congé de maternité
Le congé de maternité est prévu par l’art. 329f CO, qui a la teneur suivante:
1. En cas de maternité, la travailleuse a droit, après l’accouchement, à un congé d’au moins 14 semaines.
2. En cas d’hospitalisation du nouveau-né, le congé est prolongé d’une durée équivalente à la prolongation de la durée du versement de l’allocation de maternité.
3. En cas de décès de l’autre parent durant les six mois qui suivent la naissance de l’enfant, la travailleuse a droit à deux semaines de congé supplémentaires; celles-ci peuvent être prises sous la forme de semaines ou de journées dans un délai-cadre de six mois à compter du jour suivant le décès.
En outre, les conditions d’octroi de l’allocation de maternité figurent aux art. 16b ss. LAPG. L’indemnité journalière est égale à 80% du revenu moyen de l’activité lucrative obtenue avant le début du droit à l’allocation, le montant maximal étant plafonné à 220 francs par jour (art. 16e et f LAPG).
Le congé de maternité peut être synthétisé comme suit:
• Le droit au congé de maternité de 14 semaines après l’accouchement est inconditionnel, de sorte qu’il existe même si la mère ne remplit pas les conditions d’octroi de l’allocation de maternité (art. 329f al. 1 CO);
• en cas d’hospitalisation du nouveau-né, la prolongation du congé de maternité est soumise à la condition que la mère remplisse les conditions d’octroi de l’allocation de maternité pour cette période (art. 329f al. 2 CO et 16c al. 3 LAPG);
• le congé de maternité ne constitue pas une incapacité non fautive de travailler, de sorte que l’employeur n’est pas tenu de compléter les allocations de maternité (art. 324b CO) ou de suppléer à une éventuelle absence de réalisation des conditions d’octroi de celles-ci (art. 324a CO). Cependant, pour les mères dont l’activité est soumise à la loi sur le travail, la période d’interdiction de travailler pendant les huit semaines qui suivent l’accouchement constitue un cas d’application des art. 324a et 324b CO;
• le décès de l’enfant n’entraîne aucune réduction du congé de maternité.
Il est envisagé de modifier l’art. 329f al. 2 CO de façon à prolonger le congé de maternité de la durée de l’allocation de maternité lorsque la mère (et non seulement le nouveau-né) est hospitalisée dans les deux semaines après la naissance (art. 16c al. 3 AP-LAPG et 329f al. 2 AP-CO).
5. Congé de l’autre parent
Alors que l’art. 329g CO, dans sa teneur initiale, concernait exclusivement le congé de paternité, le mariage pour tous est entré en vigueur le 1er juillet 2022. En conséquence, lorsque l’enfant est né pendant le mariage, le marié est présumé être le père (art. 255 CC). Si la mère est mariée à une femme au moment de la naissance et que l’enfant a été conçu un moyen d’un don de sperme conformément à la loi sur la procréation médicalement assistée, l’épouse de la mère est l’autre parent de l’enfant (art. 255a CC). Il ne se justifiait dès lors plus de réserver aux seuls hommes le congé de paternité. Ainsi, au 1er janvier 2024, l’art. 329g CO a été adapté, de sorte qu’il s’applique dorénavant au congé de l’autre parent.
L’art. 329g CO a la teneur suivante:
1. Ont droit au congé de l’autre parent de deux semaines:
1 a. Le travailleur, s’il est le père légal au moment de la naissance de l’enfant ou s’il le devient au cours des six mois qui suivent;
1 b. la travailleuse, si elle est l’autre parent légal au moment de la naissance de l’enfant.
2. Le congé doit être pris dans les six mois qui suivent la naissance de l’enfant. Ce délai est suspendu pendant le congé au sens de l’art. 329g bis.
3. Le congé peut être pris sous la forme de semaines ou de journées.
De manière semblable au congé de maternité, le congé de l’autre parent n’est pas soumis à la condition que ce dernier remplisse les conditions d’octroi de l’allocation à l’autre parent (art. 16i ss. LAPG), lesquelles sont d’ailleurs similaires à celles de l’allocation de maternité.
De manière synthétique, les modalités du congé à l’autre parent sont les suivantes:
• Le droit au congé est indépendant du droit à percevoir l’allocation à l’autre parent, tel que prévu par les art. 16i ss. LAPG;
• la filiation est déterminée conformément au droit civil;
• lorsque les parents sont mariés au moment de la naissance, la filiation est donnée pour l’épouse lorsque l’enfant a été conçu au moyen d’un don de sperme conformément aux dispositions de la loi sur la procréation médicalement assistée (art. 255a CC) et présumée pour le mari (art. 255 al. 1 CC);
• lorsque le père n’est pas le mari de la mère au moment de la naissance, la filiation doit être établie dans les six mois qui suivent la naissance, tant pour pouvoir bénéficier du congé (art. 329g al. 1 let. a CO) que de l’allocation perte de gain (art. 16i al. 1 let. a LAPG). La déclaration de reconnaissance doit avoir été effectuée devant l’officier de l’état civil et enregistrée dans ce délai.
Toutefois, dans une affaire où la demande de reconnaissance fut enregistrée auprès de l’Office de l’état civil le 14 juillet 2022, l’enfant étant né le 21 juillet 2022, les parents ayant été convoqués le 23 janvier 2023 pour la signature de la reconnaissance de la paternité, la caisse de compensation a rejeté la demande d’allocation présentée au motif que la reconnaissance est intervenue deux jours après l’expiration du délai de six mois. L’Office de l’état civil cantonal vaudois ayant admis qu’en raison de diverses circonstances exceptionnelles, dont aucune ne relevait du père, il s’était trouvé dans l’impossibilité de le convoquer avant le 23 janvier 2023, notre Haute Cour a considéré que le droit à l’allocation ne saurait être mis en échec pour des motifs liés à l’absence d’organisation de l’autorité compétente pour la reconnaissance de l’enfant, de sorte que le droit à l’allocation de paternité a été reconnu dans ces circonstances particulières.
Cet arrêt est nuancé. Il ne suffit pas que la demande en vue de la reconnaissance ait été présentée avant l’échéance de ce délai. Nous sommes ainsi d’avis que le père doit être diligent et compter avec des délais usuels de traitement d’un dossier administratif par une administration diligente; il ne peut attendre la veille du délai de six mois dès la naissance pour entamer la procédure de reconnaissance. Dans l’affaire examinée par le Tribunal fédéral, le père avait entamé les démarches avant la naissance pour n’être convoqué qu’à une date postérieure au délai de six mois après la naissance! Toute circonstance étant particulière, à titre indicatif, nous proposons de considérer qu’une anticipation d’un mois entre le dépôt de la demande et la date de signature de la reconnaissance devrait au moins être considérée comme diligente et suffisante.
Toutefois, étant précisé qu’il appartient au père de prouver en fait que les conditions d’octroi de son droit sont réunies (art. 8 CC), rien n’oblige l’employeur à octroyer le congé au père pour la période antérieure à l’accomplissement des démarches en vue de la reconnaissance; pour la période postérieure à l’accomplissement diligent des actes tendant à la reconnaissance, nous considérons que les conditions d’octroi du congé de l’art. 329g CO sont réunies, ce d’autant plus que le droit à l’allocation semble aussi être reconnu rétroactivement si la filiation est établie dans le délai de six mois.
• la prise de ce congé est une faculté et non une obligation, de sorte que cette période ne saurait être assimilée à une incapacité non fautive de travailler au sens des art. 324a et 324b CO;
• le congé doit être pris dans les six mois qui suivent la naissance de l’enfant, sous la forme de semaines ou de journées;
• en cas de naissances multiples, le droit de congé n’est accordé qu’une seule fois;
• si l’employeur résilie le contrat de travail et que l’autre parent bénéficie encore d’un solde de jours de congé au sens de l’art. 329g CO au moment de la réception de la résiliation, le délai de congé est prolongé du nombre de jours calendaires de congé qui n’ont pas été pris au moment de la réception de la résiliation (art. 335c al. 3 CO).
Il est envisagé de modifier l’art. 329g CO en ce sens que lorsque la mère est hospitalisée de façon ininterrompue durant deux semaines au moins entre le jour de l’accouchement et les 14 semaines suivantes, le congé de l’autre parent est prolongé de la durée de l’hospitalisation restante à compter de la troisième semaine, mais de 12 semaines au maximum, cette prolongation devant être prise en jours consécutifs (art. 329g al. 1 bis et 3 AP-CO).
6. Congé de l’autre parent en cas de décès la mère
Selon l’art. 329g bis CO, en cas de décès de la mère le jour de l’accouchement ou durant les 14 semaines qui suivent, l’autre parent a droit à un congé de 14 semaines à prendre de manière ininterrompue à compter du jour qui suit le décès. En outre, selon l’art. 16k bis LAPG, l’autre parent a droit à 98 indemnités journalières supplémentaires.
Ce congé peut se synthétiser de la manière suivante:
• en cas de décès de la mère, l’autre parent bénéficie d’un congé de 14 semaines qui doit être pris de manière ininterrompue à compter du jour qui suit le décès, ou, si la filiation est établie postérieurement, dès l’établissement du lien de filiation, le délai de 14 semaines n’étant pas extensible;
• aucune condition n’est posée quant au statut professionnel de la mère qui décède, de sorte qu’il n’est pas déterminant qu’elle ait ou non exercé une activité lucrative avant son décès;
• le droit à ce congé n’est pas soumis à la condition que l’autre parent remplisse les conditions d’allocation des indemnités journalières supplémentaires en cas de décès de la mère;
• ce congé est indépendant du congé de maternité, en ce sens qu’il n’y a pas lieu d’imputer des jours de congé de maternité qui auraient été éventuellement utilisés par la défunte jusqu’à son décès;
• le décès de l’enfant entraîne l’extinction du droit au congé ou à la part non utilisée de celui-ci.
Il n’est actuellement pas envisagé de modifier l’art. 329g bis CO.
7. Congé de la mère en cas de décès de l’autre parent
Symétriquement à l’hypothèse précédente, en cas de décès de l’autre parent durant les six mois qui suivent la naissance de l’enfant, la travailleuse a droit à deux semaines de congé supplémentaires (art. 329f al. 3 CO).
Synthétiquement, la situation peut être résumée comme suit:
• seule la mère est bénéficiaire de ce congé;
• pour pouvoir bénéficier de ce congé, le décès de l’autre parent doit intervenir dans les six mois qui suivent la naissance de l’enfant, le congé devant être lui-même pris dans un délai-cadre de six mois à compter du jour suivant le décès. Ce congé peut être pris sous la forme de semaines ou de journées;
• le décès de l’enfant entraîne l’extinction du droit au congé ou à la part non utilisée de celui-ci.
Il n’est actuellement pas envisagé de modifier ce droit.
8. Congé d’adoption
Selon l’art. 329j CO, toute travailleuse ou tout travailleur qui accueille un enfant en vue d’une adoption a droit à un congé d’adoption de deux semaines, pour autant que les conditions d’octroi de l’allocation d’adoption soient remplies.
Les modalités des conditions d’octroi du congé d’adoption peuvent être synthétisées de la manière suivante:
• le congé d’adoption est soumis à la condition que le congé soit indemnisé par le régime des allocations perte de gain;
• en cas d’adoption conjointe (art. 264a CC), les conditions prévues à l’art. 16t al. 1 LAPG doivent être remplies simultanément par les deux parents (art. 16t al. 2 let. a LAPG). Dans ce cas, le congé peut être partagé entre les deux parents (art. 16t al. 2 let. b LAPG et art. 329j al. 3 CO);
• en cas d’adoption de l’enfant du conjoint ou du partenaire (art. 264c al. 1 CC), il n’existe pas de droit au congé (art. 16t al. 5 LAPG);
• le congé de prise en charge doit être pris dans un délai-cadre d’une année dès l’accueil d’un enfant de moins de 4 ans en vue de son adoption (art. 16t al. 1 LAPG et 264 CC).
Il n’est actuellement pas envisagé de modifier ce droit.
9. Congé pour la prise en charge d’un enfant gravement atteint dans sa santé
De manière corrélée avec le droit aux allocations perte de gain, l’art. 329i CO permet aux parents dont l’enfant est gravement atteint dans sa santé en raison d’une maladie ou d’un accident qui interrompent leur activité lucrative pour prendre en charge l’enfant de bénéficier d’un congé de prise en charge de 14 semaines, lequel doit être pris dans un délai-cadre de 18 mois (art. 329i CO et 16n ss. LAPG). Si les deux parents travaillent, chacun a droit à un congé de prise en charge de sept semaines, qu’ils peuvent toutefois convenir de se répartir de manière différente. Seuls les parents d’un enfant mineur gravement atteint dans sa santé peuvent bénéficier ce congé.
À notre sens, ce congé doit être assimilé à un empêchement non fautif de travailler, de sorte que l’employeur est tenu de compléter le salaire dans l’hypothèse où l’allocation perte de gain n’atteindrait pas 80% du salaire (art. 324b CO).
Il est envisagé d’étendre cette protection aux cas où l’enfant est hospitalisé pour quatre jours consécutifs au moins, sauf si l’hospitalisation a lieu directement après la naissance, car cette hypothèse relève du congé de maternité. En cas d’hospitalisation, le nombre d’indemnités journalières et de jours de congé correspondrait à la durée de l’hospitalisation et de la convalescence, cette dernière étant prise en compte pour trois semaines au plus (art. 16n, 16o bis et 16q AP-LAPG et 329i AP-CO).
10. Protection contre la résiliation en temps inopportun
Les nouveaux congés parentaux donnent lieu à des protections contre la résiliation en temps inopportun. Ainsi, l’art. 336c al. 1 CO a été complété pour assurer une protection en cas d’hospitalisation du nouveau-né, de décès de la mère ou de l’autre parent et en cas de congé de prise en charge d’un enfant gravement atteint dans sa santé (pour une durée maximale de six mois à compter du jour où le délai-cadre de congé commence à courir). Ces nouvelles protections donnent lieu à des nouvelles constellations possibles en cas de cumul interlittéral ou intralittéral.
Il est envisagé d’étendre la protection accordée à l’autre parent à la durée du congé qui lui est accordée en cas de décès ou d’hospitalisation de la mère (art. 336c al. 1 let. c bis AP-CO).
11. Réduction des vacances
L’art. 329b CO a été complété en ce sens que le congé de l’autre parent (art. 329g CO), le congé en cas de décès de la mère (art. 329g bisCO), le congé de prise en charge d’un enfant gravement atteint dans sa santé (art. 329i CO) et le congé d’adoption (art. 329j CO) ne donnent lieu à aucune réduction.
Il n’est actuellement pas envisagé de modifier la teneur existante de l’art. 329b CO. Toutefois, les modifications des congés qui entrent dans le champ d’application de l’art. 329b CO, telles que les modifications prévues par les art. 329g al. 1 bis et 329i AP-CO devraient engendrer automatiquement une extension de la protection contre la réduction des vacances.
12. Droit européen
L’art. 33 § 2 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne garantit le droit à un congé de maternité payé et à un congé parental à la suite de la naissance ou de l’adoption d’un enfant.
La Directive 92/85/CEE du Conseil, du 19 octobre 1992, concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail dispose que les États membres doivent instituer un droit à un congé de maternité d’au moins 14 semaines continues, réparties avant et/ou après l’accouchement, conformément aux législations et/ou pratiques nationales (art. 8 Dir. 92/85), ainsi que des mesures concernant le travail de nuit (art. 7 Dir. 92/85) et une protection contre le licenciement (art. 10 Dir. 92/85). Sous réserve de quelques possibles exceptions, le droit suisse est compatible avec cette protection.
La Directive (UE) 2019/1158 concernant l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée des parents et des aidants et abrogeant la directive 2010/18/UE a été adoptée le 20 juin 2019; son délai de transposition a été fixé au 2 août 2022 (art. 20 Dir. 2019/1158). Elle a notamment pour objectifs d’assurer la mise en œuvre du principe de l’égalité entre hommes et femmes en ce qui concerne leurs opportunités sur le marché du travail et le traitement au travail dans toute l’Union européenne. Tout en rappelant qu’elle ne présente pas d’effet en droit suisse, il est intéressant de la mentionner, car elle met aussi en évidence une évolution de la protection parentale. Dans une perspective comparatiste, nous mentionnons quelques-unes des protections qu’elle entend mettre en œuvre:
• Un congé de paternité de 10 jours ouvrables, lequel doit être pris à l’occasion de la naissance de l’enfant du travailleur, les États membres pouvant décider si le congé de paternité peut être pris en partie avant la naissance de l’enfant ou seulement après sa naissance et si ce congé peut être pris en recourant à une solution flexible. Ce congé est également accordé aux personnes reconnues comme seconds parents équivalents par la législation nationale (art. 4 Dir. 2019/1158). Le droit suisse nous paraît s’accorder avec cette protection.
• Un congé parental de quatre mois pour chaque travailleur, dont deux mois ne peuvent être transférés, à prendre avant que l’enfant n’atteigne un âge déterminé pouvant aller jusqu’à 8 ans (art. 5 Dir. 2019/1158). La durée minimale de congé parental qui ne peut pas être transférée d’un parent à l’autre a pour but d’encourager les pères à prendre un congé parental tout en maintenant le droit pour chaque parent de prendre un congé parental d’une durée minimale. Le droit suisse ne prévoit actuellement pas un tel congé.
• Un congé d’aidant de cinq jours ouvrables par an (art. 6 Dir. 2019/1158). Si la directive laisse une grande marge de manœuvre pour la définition du cercle des proches, les États membres sont encouragés à rendre le droit à ce congé disponible par rapport à d’autres membres de la famille (que les enfants, parents et conjoints), tels que les grands-parents ou les frères et sœurs, l’exigence de la production d’un certificat médical préalable attestant d’un besoin important de soins ou d’aide pour raison médicale grave étant admissible. Le droit suisse prévoit une protection compatible aux art. 329h CO et 36 al. 3 LTr.
• Les situations précitées comprennent une protection contre le licenciement (art. 12 Dir. 2019/1158) et le paiement d’une rémunération ou d’une allocation. Là encore, le droit suisse est largement compatible, référence étant notamment faite aux art. 335c al. 3 et 336c CO.
13. Conclusions
Il aura fallu attendre près de 60 ans entre l’adoption d’une disposition constitutionnelle prévoyant l’assurance-maternité et sa concrétisation dans la loi le 1er juillet 2005, puis plus de 15 ans pour l’entrée en vigueur du congé de paternité et des améliorations au congé de maternité. Depuis 2021, les réformes sous forme d’amélioration des protections parentales ne cessent de se suivre, de manière non synchronisée, ce qui crée des asymétries dans la logique de ce corpus de dispositions légales. Signe de l’importance de ce thème, le Conseil fédéral a mis en route un processus d’harmonisation par l’ouverture d’une procédure de consultation le 22 décembre 2023, laquelle a pris fin le 12 avril 2024. Ce processus est en cours et nombre de dispositions légales vont être modifiées. Nous avons tenté une synthèse.
Ces évolutions ne sont pas anodines. Elles sont le reflet de l’évolution de la société, d’une sensibilité plus égalitaire dans les rôles des parents avec leurs enfants et dans le soutien à la parentalité. La natalité est en baisse. Selon l’Office fédéral de la statistique, en 2009, l’indicateur conjoncturel de fécondité avoisinait 1,5 enfant par femme; en 2022 il était de 1,39. Les facteurs influençant l’évolution démographique sont nombreux. Entre 1991 et 2023, six générations ont été présentes sur le marché suisse du travail. Les baby-boomers, nés entre 1946 et 1964, ont dominé le marché du travail jusqu’en 2009. Ils ont été dépassés en 2010 par la génération X (naissances entre 1965 et 1980), puis en 2014 par les milléniaux (génération Y, nés entre 1981 et 1996). En 2023, la génération Y (35,8%) dépassait la génération X (34,9%) et devint ainsi la génération la plus représentée parmi la population active.
Ces fluctuations numériques induisent des solidarités entre générations, en ce sens que les jeunes et moins jeunes sont concernés à divers titres par leurs propres situations et aussi par celles des autres, notamment en ce qui concerne la répartition de la charge des cotisations sociales et leurs bénéfices liés aux allocations perte de gain relatives à la parentalité. Associé à l’évolution d’une société vers plus d’égalité entre les individus dans le monde du travail et les rôles parentaux, cela met en évidence l’importance du rôle de l’Etat dans l’encouragement à la natalité, donc à la parentalité. Sont concernés les enfants, les parents, les grands-parents, car chacun y a un intérêt.
L’évolution des protections parentales est nécessaire; elle est en cours, tel un long fleuve, dont le débit, de tranquille, est devenu rapide et se stabilisera. ❙
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