Les Etats sont toujours plus nombreux à partager des données concernant la fortune de leurs habitants. La Suisse ne fait pas exception. Au début de 2017, elle a adopté la norme internationale permettant cette pratique. Elle a également introduit la loi fédérale sur l’échange international automatique de renseignements en matière fiscale (LEAR). A ce jour, elle collabore avec plus de 70 Etats et territoires.
Abus de données
L’objectif principal de l’échange automatique de renseignements (EAR) est d’empêcher toute évasion fiscale. Il permet de lutter contre la soustraction d’impôts sur le plan international. Les Etats ne peuvent, en principe, utiliser les données récoltées que dans ce but. Toutefois, la décision de respecter cette exigence leur appartient. Raison pour laquelle le professeur de droit émérite Rainer J. Schweizer redoute les conséquences de l’étendue de l’EAR à des pays tels que la Russie: «Certains Etats pourraient utiliser les éléments transmis à d’autres fins.» Un avis que partage le Préposé fédéral à la protection des données, Adrian Lobsiger: «Il faudrait garantir l’exclusivité d’une utilisation à titre fiscal, de sorte que les droits fondamentaux et la liberté personnelle de chacun soient respectés.»
Hanspeter Thür redoute, pour sa part, que ces échanges de renseignements à large échelle violent les principes de minimisation des données et de respect de la proportionnalité. En tant que prédécesseur d’Adrian Lobsiger, il rappelle que «l’article 6 de la loi fédérale sur la protection des données soumet toute communication avec l’étranger à la condition que le pays en question dispose d’une législation assurant un niveau de protection similaire. Ce qui n’est, par exemple, pas le cas des Etats-Unis.»
En Suisse, il est prévu que les banques transmettent les données relatives à l’année 2017 à l’Administration fédérale des contributions. A l’automne 2018, celle-ci les enverra à son tour aux autorités fiscales des lieux de domicile des personnes concernées. Frank Wettstein, collaborateur au sein du Secrétariat d’Etat aux questions financières internationales (SFI), précise que «les éléments déterminants seront l’état du compte au 31 décembre 2017, de même que l’ensemble des revenus obtenus ainsi que des paiements effectués durant l’année 2017». Les données transmises regroupent les informations personnelles du détenteur du compte, le nom et l’adresse de la banque, le numéro de compte, l’état du compte à la fin de l’année ainsi que les informations sur les revenus du capital, à savoir les impôts, les dividendes et les bénéfices tirés d’éventuelles ventes d’actions.
Accès unilatéral des Etats-Unis
Dès 2018, la Suisse a étendu son application de l’EAR. Le Conseil national vient en effet d’accepter l’échange avec 39 nouveaux pays. Il en a exclu certains, à l’image de la Nouvelle-Zélande et de l’Arabie saoudite.
Les Etats-Unis disposent, quant à eux, d’un statut particulier. Ils ne figurent pas parmi les signataires de l’EAR. De ce fait, les autorités fiscales suisses n’ont aucun accès aux données des comptes bancaires américains. Elles sont en revanche contraintes de transmettre leurs propres données: entré en vigueur le 2 juin 2014, l’accord conclu entre la Suisse et les Etats-Unis facilitant l’application de FATCA («Foreign Account Tax Compliance Act») oblige en effet la Suisse à communiquer aux autorités fiscales américaines les informations concernant les comptes de personnes imposables aux Etats-Unis.
Humains, immeubles et sociétés
L’EAR vise en premier lieu l’échange de données relatives à des personnes physiques. Aussi, celui qui vit en Suisse et détient un compte bancaire dans un pays participant à l’EAR doit s’attendre à ce que les autorités fiscales suisses aient, dès l’année prochaine, accès aux données du compte en question.
A noter que les immeubles à l’étranger font partie du patrimoine du contribuable. Il est donc impératif de les annoncer, que ceux-ci soient imposés en Suisse ou ailleurs. En effet, même si l’EAR ne s’applique pas à ces données, les autorités fiscales peuvent en avoir connaissance indirectement, notamment par le biais de la déclaration de comptes hypothécaires et d’entretien.
L’EAR s’applique aussi à certaines personnes morales. Les sociétés qui ont leur siège en Suisse et qui y sont exclusivement imposables, ne sont pas concernées. A l’inverse de celles dont le siège se trouve à l’étranger. De même, les entreprises suisses dont le responsable vit à l’étranger, verront leurs données partagées si le lieu de domicile en question se trouve dans un Etat ayant signé l’EAR.
Dénonciation spontanée
Dans certains cantons, il reste possible d’annoncer les montants omis dans la déclaration d’impôt. Et cela sans conséquence pénale si l’annonce se fait spontanément avant que les autorités ne découvrent d’une autre manière les avoirs concernés. Sinon, taxes supplémentaires, intérêts de retard et amendes sont à craindre.
Ces dénonciations spontanées ne sont, pour l’heure, soumises à aucun délai légal. Tant que le Tribunal fédéral ne se prononce pas sur la question, les cantons décident à leur gré. Verdict: selon une enquête du magazine saldo parue en automne dernier, certains cantons ont fixé un délai au 31 décembre 2017 (notamment Fribourg, Genève, Jura et Valais). D’autres, comme le canton de Vaud, au 30 septembre 2018. Le canton de Zurich est le seul à autoriser des annonces ultérieures à ces délais, à savoir jusqu’à ce qu’un office fiscal découvre les actifs.