LL.M. – trois lettres qui font saliver les cabinets d’avocats spécialisées en affaires internationales. Certains traversent l’Atlantique pour chercher de futurs diplômés de cette formation post-grade en droit d’un an. «Ils mènent une «war for talents», afin de se distinguer des autres», explique Pierre-Dominique Schupp, président de la Fédération suisse des avocats.
Stéphanie Musy, avocate chez Lenz & Staehelin a été recrutée l’an dernier pendant son LL.M. à Columbia, dans un grand hôtel de Time Square. A l’occasion d’une «job fair» réunissant de prestigieuses universités, elle a enchaîné une dizaine d’entretiens d’un quart d’heure. «C’est un peu comme du «speed dating», s’amuse la jeune femme. Mais l’atout recherché pour la carrière a été atteint et son année à New York exceptionnelle.
Florian Ducommun, associé de l’étude HDC à Lausanne, visait une spécialisation en droit comparé de la propriété intellectuelle. Il a fait son LL.M. en 2005-2006 à l’Université Mc Gill de Québec, qui combine droit civil et common law. Selon lui, «pour être pris en LL.M., il faut avoir une idée très claire de ce qu’on veut et dont l’Université pourra tirer une publication ou avoir une pratique qui peut l’intéresser».
Beaucoup plus interactif
Les Suisses doivent s’adapter à une autre méthode d’enseignement. Dans les pays anglosaxons, les cours sont beaucoup plus interactifs. Il faut aussi rendre des «papers» à un rythme assez soutenu et lire beaucoup.
Associé de l’étude KGG à Neuchâtel et professeur à l’Université de Neuchâtel, François Bohnet a décroché un LL.M. de Harvard en 2000. Il voulait compléter ses recherches après un doctorat en droit sur les papiers-valeurs et ambitionnait une carrière académique. L’année lui a été très utile car «avoir suivi une formation à l’étranger est quasiment indispensable pour un professeur».
Exigé jusqu’en 2002 pour l’admission au stage d’avocat dans le canton de Vaud, le doctorat reste un titre reconnu. Mais c’est plutôt une marque académique de recherche qu’un atout commercial, estime François Bohnet. Il n’y a pas de concurrence entre les deux titres, juge, pour sa part, Blaise Lambelet, responsable des ressources humaines à l’étude BCCC. Le cabinet spécialisé en droit des affaires a toutefois fait son choix. «Une formation complémentaire (LL.M.) est un atout», est-il précisé sur ses offres d’emploi d’avocats.
Pour le recruteur, «cela tend à devenir une condition d’embauche, même si la sécheresse du marché l’empêche pour le moment». Selon lui, c’est mieux si le cursus a été suivi à Columbia qu’à Bruxelles ou à Genève, car le côté tant humain que linguistique prime. Un candidat qui s’est immergé un an dans le monde anglophone sait sortir de son confort et pourra converser au-delà des sujets juridiques avec la clientèle étrangère de BCCC. L’étude en est si convaincue que comme d’autres, elle accorde des prêts à des collaborateurs tentés par un LL.M.
Pas donné
Le prix de la formation est en effet son plus gros handicap. Tout compris, l’année à New York a coûté environ 100 000 fr. à Stéphanie Musy. Elle l’a financée avec ses économies et un soutien familial. D’autres comme Coralie Germond, associée du cabinet Subilia, Mingard, Mangold, Germond & Iselin à Lausanne, ont dû contracter un prêt. Son LL.M. de l’Université de Londres (School of Oriental & African Studies) lui est revenu à au moins 70 000 fr. La note est un peu moins salée au Canada: le budget de Florian Ducommun était plus proche des 50 000 fr.
Certains établissements proposent des bourses ou des arrangements. Les étudiants de Neuchâtel peuvent suivre le LL.M. du King’s College de Londres dans le cadre d’un double master bilingue. Mais seul le pionnier a été exempté en 2009 des frais de formation londoniens. La taxe atteint entre-temps près de 20 000 fr. Résultat, l’Université de Neuchâtel n’arrive pas à trouver les cinq candidats éligibles par an.
Attendre quelques années de pratique peut être mieux. Stéphanie Musy estime qu’elle a ainsi davantage profité du LL.M. Le créneau est toutefois court si l’on veut éviter un décalage d’âge avec les autres étudiants et des interférences avec des obligations familiales.
Aucun des diplômés interrogés ne dit regretter l’investissement. Outre des connaissances et une ouverture, le LL.M. permet de se créer un réseau. Les personnes qui décrochent un poste dans une étude réputée peuvent rembourser leurs prêts en quelques années sans problème, note François Bohnet. Chez BCCC, un LL.M. rapporte quelques centaines de francs en plus par mois sur la feuille de paie.
Machine à sous
«Pour les universités anglosaxonnes, le LL.M. est une machine à sous qui finance d’autres formations, juge Aladar Sebeni, directeur de l’Institut du droit des affaires de l’Université de Fribourg. Les universités suisses n’ont pas une telle pression à la profitabilité, mais elles souffrent d’un décalage de visibilité internationale énorme.»
Elles essaient de se démarquer par leurs programmes. Dans le sillage de la crise financière, Genève a mis sur pied deux cursus donnés principalement en français et en cours d’emploi (deux ans): le «LL.M. Banking and Finance» et le «LL.M. Tax», centré sur la fiscalité suisse.
Fribourg mise sur la pluriculturalité avec son LL.M. en Cross-Cultural Business Practice monté en 2008. Autour du droit des contrats et des transactions internationales, une trentaine d’étudiants de 24 nationalités, cette année, apprennent à résoudre en anglais des problèmes juridiques en tenant compte de leurs différences culturelles. Contrairement à l’usage outre-Atlantique, le programme est largement prédéfini.
Pour les universités suisses, offrir des LL.M témoigne de l’ouverture sur le monde et devient une «sorte de must», estime le professeur Franz Werro de l’alma mater fribourgeoise. «Il existe ici des offres de qualité, personne n’est obligé d’aller à l’étranger, pour autant que le cursus insuffle la même ouverture,» relève Florian Ducommun. «Un LL.M n’est de toute façon pas indispensable pour faire honnêtement son métier d’avocat au sens traditionnel en Suisse», rassure Pierre-Dominique Schupp.