Introduction
Dans le procès pénal, la publicité des débats constitue «un principe général de procédure applicable à toutes les juridictions de jugement, à l’exception de la justice des mineurs», et même «l’un des dogmes fondamentaux de la procédure accusatoire»(1). Apparemment introduit sous la Révolution française dans le but de «rompre avec la justice secrète à l’égard du public et des parties»(2), ce principe sert non seulement l’intérêt des participants au procès, en tendant à leur garantir un «traitement correct et conforme à la loi», les intérêts des particuliers qui ne sont pas parties à la procédure, en leur offrant le droit d’assister au procès, mais aussi l’intérêt public, en permettant notamment un contrôle par le peuple de l’administration de la justice, fondamental dans une démocratie et nécessaire à la confiance qui est accordée à la justice et, ainsi, à son bon fonctionnement(3). La publicité offre en outre à la victime une reconnaissance publique du dommage qu’elle a subi, et permet que l’accusé soit «jugé» par l’opinion publique(4).
La question des conditions auxquelles la publicité des débats peut être restreinte par le prononcé d’un huis clos est importante et délicate.
Le plus souvent, le huis clos est ordonné pour protéger les intérêts de la victime, lorsqu’un procès public risquerait de contribuer à accroître le préjudice qu’elle a subi. La question est particulièrement sensible lorsque la victime est mineure ou en cas de délit sexuel ou d’atteinte à sa sphère privée(5). Il peut aussi constituer une protection contre le voyeurisme(6). Plus rarement, il peut être ordonné pour d’autres motifs, notamment pour protéger les intérêts du prévenu.
En droit suisse, la procédure pénale est devenue un domaine de compétence fédérale suite à l’adoption de l’art.123 de la Constitution fédérale (Cst.)(7). Les conditions du huis clos sont régies par l’art. 70 du Code de procédure pénale suisse du 5 octobre 2007 (CPP)(8). La prononciation d’un huis clos durant les débats en violation des conditions posées par la législation fédérale peut entraîner l’annulation du jugement rendu(9).
Principe de la publicité
Le principe de la publicité des débats ainsi que celui du prononcé public du jugement sont consacrés par l’art. 6 § 1 CEDH(10), qui énonce que «toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (…) publiquement» et que «le jugement doit être rendu publiquement», ainsi que par les art.14 § 1 Pacte ONU II(11) et 30 al. 3 Cst(12).
Ces principes sont concrétisés par l’art. 69 al. 1 CPP, qui dispose que «les débats devant le tribunal de première instance et la juridiction d’appel, de même que la notification orale des jugements et des décisions de ces tribunaux, sont publics, à l’exception des délibérations».
L’al. 4 précise que «les débats publics sont accessibles à tous, les personnes de moins de seize ans devant toutefois avoir l’autorisation de la direction de la procédure pour y assister». Ainsi, les particuliers qui ne sont pas concernés par la procédure peuvent en principe assister aux débats(13).
Selon l’al. 2, les parties peuvent renoncer à un prononcé du jugement en audience publique. Dans un tel cas, il suffit que le jugement puisse être consulté par les «personnes intéressées»(14). Lorsqu’il n’est pas lu, il doit en pratique être transmis en copie à ces personnes ou pouvoir être aisément consultable auprès du greffe du tribunal ou encore être publié dans une revue accessible au public(15). Tout un chacun doit pouvoir consulter le jugement, sans avoir à justifier d’un intérêt légitime(16).
Huis clos
Le principe de la publicité des débats connaît certaines limites, lorsqu’il pourrait entraîner des inconvénients trop importants. Les art. 6 § 1 CEDH, 14 § 1 Pacte ONU II et 30 al. 3 Cst. réservent à l’autorité compétente la possibilité d’y déroger dans certains cas. Elle ne peut le faire que pour des «raisons impérieuses»(17), soit uniquement «en présence d’intérêts publics ou privés prépondérants»(18).
Selon l’art. 70 al. 1 CPP, «le tribunal peut restreindre partiellement la publicité de l’audience ou ordonner le huis clos (…) si la sécurité publique et l’ordre public ou les intérêts dignes de protection d’une personne participant à la procédure, notamment ceux de la victime, l’exigent» ou «en cas de forte affluence».
Un huis clos peut donc être ordonné non seulement pour protéger les intérêts de la victime ou du prévenu, mais aussi, notamment, pour des motifs tenant au respect des bonnes mœurs, à la sécurité de l’Etat ou d’un participant à la procédure, à la garantie de l’anonymat de certaines personnes, par exemple des agents infiltrés, au risque de collusion(19) ou pour s’assurer qu’un témoin fasse des déclarations sincères et complètes(20).
Le huis clos peut être prononcé d’office(21), ou être requis par les parties, au sens de l’art.104 al. 1 CPP ainsi que, à certaines conditions, par les autres participants prévus par l’art. 105 al. 1 CPP(22). Le tribunal statue immédiatement sur la question, et rend une décision ou une ordonnance d’instruction contre laquelle il n’existe pas de recours immédiat(23).
Lorsqu’il doit se prononcer sur un huis clos, le tribunal doit se livrer à une pesée des intérêts en présence, en évaluant si la lésion des intérêts privés et publics qu’il est susceptible d’entraîner se justifie en l’espèce24. Il dispose dans ce cadre d’une marge d’appréciation relativement large25. Cette pesée des intérêts est impérative: dans un arrêt récent, le Tribunal fédéral a annulé un arrêt du Tribunal cantonal fribourgeois, au motif que les juges cantonaux avaient prononcé un huis clos sans s’y livrer26.
La référence expresse aux intérêts de la victime que prévoit l’art.70 al.1 CPP a pour but «de garantir que ceux-ci soient pris en compte d’office, dans chaque cas»(27). Contrairement à ce que prévoyait l’art. 5 al. 3 de l’ancienne Loi fédérale du 4 octobre 1991 sur l’aide aux victimes d’infractions (LAVI)(28) pour les infractions contre l’intégrité sexuelle, le huis clos ne saurait en aucun cas être prononcé de manière obligatoire sur simple demande de la victime sans que soit effectuée une pesée des intérêts(29). Il ne saurait non plus être admis, contrairement à ce qui était considéré par certains magistrats sous l’ancien droit(30), que la protection des intérêts de la victime prime toujours sur le principe de la publicité des débats.
S’agissant du prévenu, le fait qu’il bénéficie d’une certaine notoriété ou exerce un métier s’adressant au public, comme par exemple le métier d’avocat(31), ne saurait à lui seul, de manière générale, lui permettre d’obtenir que l’audience se déroule à huis clos(32). Il peut arriver, suivant les circonstances propres au cas d’espèce, que la nécessité de protéger la sphère privée du prévenu apparaisse comme prépondérante et justifie le prononcé d’un huis clos(33), qui ne sera parfois que partiel. Par exemple, dans une affaire impliquant un physiothérapeute accusé d’avoir porté atteinte à la pudeur de ses patientes, le Tribunal fédéral a considéré qu’un huis clos se justifiait, mais sans exclusion de la presse, l’intérêt public à l’information l’emportant sur l’intérêt du recourant à la protection de sa vie privée et professionnelle(34).
Selon le texte légal, le huis clos peut aussi être ordonné en cas de forte affluence. Cette règle, qui doit être interprétée de manière restrictive, ne permet pas d’interdire l’accès au public uniquement parce qu’il est nombreux, le principe de publicité imposant à la justice de prévoir des salles d’audience suffisamment vastes pour pouvoir accueillir le public(35). Elle peut par contre permettre de restreindre l’accès à la salle d’audience aux personnes auxquelles serait délivrée une autorisation(36).
Le prononcé du huis clos doit respecter le principe de proportionnalité. Ainsi, le tribunal doit «limiter autant que possible les effets du huis clos, par exemple, en le restreignant à l’administration de certaines preuves ou en autorisant certaines catégories de personnes, comme des chroniqueurs judiciaires, à assister aux débats»(37).
Présence des médias
Le principe de la publicité et les libertés fondamentales de communication impliquent, pour les médias, le droit d’assister aux débats, d’accéder au prononcé du jugement et d’en divulguer des comptes rendus(38). L’article 72 CPP dispose que «la Confédération et les cantons peuvent édicter des règles sur l’admis-sion des chroniqueurs judiciaires ainsi que sur leurs droits et leurs devoirs».
L’exclusion du public qui se fonde sur l’art. 70 al. 1 CPP vise en principe aussi les journalistes(39) et constitue ainsi une restriction au principe de publicité et aux libertés fondamentales de communication, empêchant les médias d’assumer leur rôle de lien entre l’Etat et le public, et de contribuer au contrôle des activités de l’autorité(40).
Pour ce motif, l’art. 70 al. 3 CPP précise que «le tribunal peut, à certaines conditions, autoriser les chroniqueurs judiciaires et d’autres personnes justifiant d’un intérêt légitime à assister à des débats à huis clos au sens de l’al.1».
Ainsi, même en cas de huis clos, les journalistes et toute autre personne justifiant d’un «intérêt légitime», comme par exemple un juriste, un criminologue, un historien ou un psychologue(41), peuvent assister aux débats. Avant l’adoption du CPP, ce type de huis clos partiel constituait le huis clos par défaut dans certains cantons(42).
L’admission des journalistes implique en principe qu’ils évitent de donner, dans leurs comptes rendus, des éléments permettant l’identification de la victime ou d’un témoin43. D’autres conditions peuvent leur être imposées(44). Si un chroniqueur judiciaire refuse de se soumettre aux exigences formulées par les juges, il peut être exclu de l’audience(45).
Notification du jugement en cas de huis clos
Selon l’art. 70 al. 4 CPP, «lorsque le huis clos a été ordonné, le tribunal notifie le jugement en audience publique ou, au besoin, informe le public de l’issue de la procédure sous une autre forme appropriée».
Ainsi, même lorsque le huis clos a été ordonné, le prononcé et la motivation du jugement doivent en principe être communiqués en audience publique ou mis à disposition du public(46). Ce principe repose sur l’idée que, «dans la plupart des cas, il résulte du principe de la proportionnalité que la protection d’intérêts déterminés est compatible avec la notification du jugement en audience publique»(47).
Exceptionnellement, lorsque la protection d’intérêts déterminés l’exige sous l’angle du principe de proportionnalité, le tribunal peut se limiter à un communiqué de presse(48).
Annotations:
1 Laurent Moreillon, Aude Parein-Reymond, CPP - Code de procédure pénale, Bâle 2013 (ci après Moreillon/Parein-Reymond), n. 1 p. 192.
2 Gérard Piquerez, Alain Macaluso, Procédure pénale suisse, 3ème éd., Genève 2011 (ci-après Piquerez/Macaluso), N 599.
3 Sur ces points, voir ATF 139 I 129, 133 c. 3.3, 137 I 16, 19 c. 2.2, 121 I 306, 311 c. 2.b, Pascal Mahon, art. 66-72 CPP, in: André Kuhn, Yvan Jeanneret, Code de procédure pénale suisse – Commentaire romand, Bâle 2011, p. 219 ss (ci-après Mahon), N 8 ad art. 69, Moreillon/Parein-Reymond N 5 p. 193, Piquerez/Macaluso N 598 s. et 610.
4 Voir Robert Roth, Christophe Keller-hals, David Leroy, Joëlle Mathey, La protection de la victime dans la procédure pénale – Rapport d’évaluation rédigé sur mandat de l’Office fédéral de la justice, Travaux CETEL N 50, Genève 1997 (ci-après Rapport CETEL), p. 16.
5 Voir aussi Rapport CETEL p. 16.
6 Voir aussi Rapport CETEL p. 17 s.
7 Sur le sujet, voir, plus en détail, André Kuhn, Ivan Jeanneret, Code de procédure pénale suisse – Commentaire romand, Bâle 2011, N 9 ss ad avant-propos.
8 RS 312.0.
9 Voir Piquerez/Macaluso N 622 et réf. citées, Mahon N 13 ad art. 69.
10 RS 0.101.
11 RS 0.103.2.
12 Sur la portée exacte de cette dernière disposition, voir ATF 128 I 288, 291 ss c. 2.3 ss.
13 Conseil fédéral, Message relatif à l’unification du droit de la procédure pénale du 21 décembre 2005, FF 2006 1057 (ci-après Message CPP), p. 1130.
14 Voir aussi Yvan Jeanneret, André Kuhn, Précis de procédure pénale, Berne 2013 (ci-après Jeanneret/Kuhn), n. 4068 et réf. citées.
15 Voir (avec les réf. citées) Moreillon/Parein-Reymond N 6 ad art. 69, Andreas Auer, Giorgio Malinverni, Michel Hottelier, Droit constitutionnel suisse – Volume II Les droits fondamentaux, 3e éd., Berne 2013 (ci-après Auer/Malinverni/Hottelier), n. 1313, Mahon n. 14 ad art. 69.
16 Message CPP p. 1130, Mahon N 21 ad art. 69, Jeanneret/Kuhn N 4069.
17 Piquerez/Macaluso N 616, Auer/Malinverni/Hottelier N 1301.
18 Moreillon/Parein-Reymond N 6 p. 193. Voir aussi ATF 121 I 306, 311 c. 2.b.
19 Voir les textes des art. 6 § 1 CEDH et 14 § 1 Pacte ONU II, Moreillon/Parein-Reymond N 5 ad art. 70 et réf. citées, Jeanneret/Kuhn N 4071, Mahon N 11 ad art. 69.
20 Auer/Malinverni/Hottelier N 1303.
21 Jeanneret/Kuhn N 4074.
22 Voir Moreillon/Parein-Reymond N 7 s. ad
art. 70.
23 Voir Jeanneret/Kuhn N 4074 et réf. citées.
24 Voir Message CPP p. 1131, Mahon N 11 ad art. 69, Moreillon/Parein-Reymond N 4 et 9 ad art. 70, Auer/Malinverni/Hottelier N 1304.
25 Voir aussi Auer/Malinverni/Hottelier N 1301.
26 Arrêt du Tribunal fédéral du 28 février 2013, 6B_350/2012, c. 1.
27 Message CPP p. 1130.
28 RO 1992 2465.
29 Voir Mahon N 7 s. ad art. 70, Moreillon/Parein-Reymond N 7 et 9 ad art. 70, Jeanneret/Kuhn N 4071.
30 Voir Rapport CETEL p. 17.
31 Piquerez/Macaluso nbp 389.
32 Voir ATF 117 Ia 387, 391 c. 3, Moreillon/Parein-Reymond N 10 ad art. 70, Jeanneret/Kuhn N 4071.
33 Voir Auer/Malinverni/Hottelier N 1302 et réf. citées, Moreillon/Parein-Reymond N 10 ad art. 70, Piquerez/Macaluso N 619.
34 Voir ATF 117 Ia 387, 390 ss c. 3.
35 Voir (avec réf. citées) Mahon N 9 ad art. 70, Jeanneret/Kuhn N 4071.
36 Moreillon/Parein-Reymond N 12 ad art. 70 CPP et réf. citées, Mahon N 9 ad art. 70, Jeanneret/Kuhn N 4071.
37 Jeanneret/Kuhn N 4073.
38 Voir notamment ATF 137 I 209, 211 s c. 4.2, Piquerez/Macaluso N 598, 611 s et 625.
39 ATF 137 I 209, 215 c. 4.7.
40 Voir, plus en détail, ATF 137 I 209, 211 s c. 4.2 et 217 c. 5.1.
41 Moreillon/Parein-Reymond N 20 ad art. 70.
42 Voir aussi Rapport CETEL p. 16.
43 Voir aussi Rapport CETEL p. 16.
44 Sur ces conditions, voir notamment, plus en détail, Eloi Jeannerat, La jurisprudence du Tribunal fédéral en matière de droit public publiée en 2011 – ATF 137 I 209-218 (14.7.2011/a) – Note, p. 393 ss, p. 393 s.
45 ATF 137 I 209, 215 c. 4.7.
46 Moreillon/Parein-Reymond N 22 ad art. 70.
47 Message CPP p. 1131.
48 Message CPP p. 1131, Moreillon/Parein-Reymond N 22 ad art. 70.