Tout est parti d’un constat: aujourd’hui, pour travailler au sein des autorités de protection de l’adulte et de l’enfant, des Offices de la jeunesse ou des services sociaux, les connaissances issues d’une seule discipline ne suffisent pas. «Nous avons constaté que les psychologues travaillant avec des familles ou des enfants manquent de connaissances juridiques. Par exemple, dans le cadre d’une thérapie, qu’a-t-on le droit de faire? Comment faut-il informer les intéressés? Quel est l’impact de l’autorité parentale conjointe? Ce sont des questions auxquelles ils ne sont pas formés. Simultanément, les juristes s’intéressent à nos formations en psychologie», explique Gisela Kilde, coordinatrice à l’Institut de recherche et de conseil dans le domaine de la famille de l’Université de Fribourg. Ce centre de formation interdisciplinaire propose, dès l’automne 2015, un nouveau master en Etudes sur la famille, l’enfance et la jeunesse, en collaboration avec les Facultés de droit et des lettres.
Les étudiants pourront acquérir des méthodes et des compétences spécifiques non seulement en matière de droit, de psychologie et de sciences de l’éducation, mais aussi d’autres branches des sciences sociales et humaines. «Nous proposons l’accès à un large éventail de cours existants en anthropologie, en histoire, en archéologie ou en sociologie, par exemple pour étudier la famille au temps de l’Antiquité, poursuit la coordinatrice. Un programme d’ajustement permettra aux juristes et aux psychologues de suivre chacun des cours de niveau master dans la discipline où ils sont novices.» Les enseignements sont choisis parmi ceux déjà existants.
Interdisciplinarité souhaitée
La plus grande offre de cours est en français, mais certains enseignements sont donnés en allemand et en anglais. La formation, qui exige, en outre, un travail de master réalisé dans deux disciplines et qui représente 30 crédits ECTS, a pour but de préparer les étudiants à travailler au sein des autorités de protection de l’adulte et de l’enfant, des Offices de la jeunesse ou des services sociaux. Elle fournit également des bases solides aux personnes souhaitant travailler dans des organisations internationales de protection de la jeunesse ou de l’enfance et dans des institutions à but non lucratif (Pro Juventute) soutenant les familles et les enfants.
«Dans ce domaine, les formations interdisciplinaires ont le vent en poupe», constate Gisela Kilde, qui relève que le canton de Bâle a voulu que les avocats de l’enfant disposent aussi de connaissances psychologiques importantes. Prévu pour des étudiants déjà actifs dans la vie professionnelle, ce nouveau master peut être réalisé à 50%; des enseignements ont lieu le vendredi et le samedi. A la mi-juillet, quatre inscriptions définitives étaient enregistrées. «Tous viennent des sciences sociales et non du droit. Cela s’explique peut-être, car le diplôme délivré est un Master of Arts de la Faculté des lettres, ce qui a peut-être retenu les juristes de choisir une orientation entièrement différente.»
«Nous ne pouvons pas garantir qu’ils trouvent une place de travail après leur diplôme, mais ce master a été conçu pour offrir deux voies de spécialisation: celle consacrée aux sciences de la famille, destinée à fournir des spécialistes aux autorités de protection de l’enfant, de conseils à la famille et aux organisations internationales ou nationales travaillant avec les familles, et les études concernant l’enfance et la jeunesse, destinées aux Services de la jeunesse, aux directions de l’instruction publique ou à des institutions telles Pro Juventute», conclut Gisela Kilde.
Evaluation critique
Réunissant, en revanche, essentiellement des juristes et des personnes travaillant dans le domaine de l’asile ou des migrations depuis de nombreuses années, notamment dans les administrations cantonales et fédérales, le Certificate of Advanced Studies en droit des migrations (CAS) débutera en français le 4 décembre prochain aux Universités de Fribourg et de Neuchâtel.
Tel était en tout cas le profil des 33 personnes qui ont participé à l’enseignement en langue allemande à Berne, lancé en décembre 2014 (15 juristes, 14 personnes ayant une autre formation universitaire ou d’une haute école, quatre sans formation supérieure). Le but de cette formation postgrade est de dispenser des connaissances générales en sciences sociales permettant d’évaluer de manière critique la pertinence de certaines dispositions juridiques régissant le domaine du droit de la nationalité ou des migrations.
La professeure Christin Achermann, de la Faculté des lettres de Neuchâtel, donnera ainsi tout un module consacré à l’histoire de la politique migratoire suisse. «On ne peut avoir une formation complète du droit de la migration sans mise en perspective de son histoire», justifie Cesla Amarelle, qui dispense les enseignements de trois modules du CAS: «Par exemple, il y a beau avoir eu une douzaine de révisions de la loi sur l’asile depuis 1979, on parlait déjà dès les débuts de l’accélération des procédures.» Le programme national de recherche en droit des migrations met, lui aussi, l’accent sur l’interdisciplinarité, car «les spécialisations techniques pointues sont essentielles mais ne suffisent plus».
De la même manière, le CAS est ouvert aux personnes qui ne sont pas au bénéfice d’une formation supérieure, si elles disposent d’une expérience professionnelle et de connaissances théoriques suffisantes. «Dans les services d’aide juridique aux exilés et les associations d’aide aux migrants, on dispose de personnes qui, avec les années, connaissent mieux que les juristes eux-mêmes le droit des migrations. Nous avons voulu leur permettre de valider ces acquis pratiques», explique Cesla Amarelle.
Les sciences sociales apportent aux juristes des approches dont ils n’ont pas l’habitude, comme celle d’examiner quelle est la réalité de l’application du droit par les autorités et les tribunaux, en recourant à la sociologie du droit, ou à questionner l’opportunité des règles en vigueur. Pour Cesla Amarelle, «la richesse de ce CAS est de pouvoir disposer de praticiens sachant ce dont ils parlent. Par exemple, sur l’admission provisoire: on pourra expliquer quels problèmes pose le permis F et comment faire évoluer ce statut.»