1. Introduction
En date du 23 août 2023, le Conseil fédéral a annoncé que la réforme du code de procédure pénale (CPP1) du 17 juin 20222 entrera en vigueur le 1er janvier 20243.
En pratique, aucune procédure pénale d’envergure, respectivement d’entraide, n’échappe à une application des dispositions sur les scellés4. Au vu de leur importance pour les praticiens, la présente contribution a pour objectif de présenter les principales modifications en la matière.
Si l’introduction d’une voie de recours cantonale contre la décision du Tribunal des mesures de contrainte en matière de scellés a finalement été abandonnée5, plusieurs évolutions, et même révolutions, ont toutefois été introduites.
2. La réforme du CPP
Le 28 août 2019, le Conseil fédéral a adopté son message concernant la modification du code de procédure pénale, relevant que le CPP entré en vigueur n’occasionnait pas de grandes difficultés d’application, mais nécessitait une modification car certaines règles n’étaient pas «parfaitement en adéquation avec la pratique6». C’est dans ce contexte que la novelle du 17 juin 2022 a été votée (nCPP).
En matière de scellés, seules quelques modifications étaient envisagées, avant tout pour codifier ou préciser la jurisprudence du Tribunal fédéral7. Au final, les modifications sont cependant bien plus importantes. L’art. 248 nCPP a été entièrement réécrit et un art. 248a nCPP, non prévu dans le projet initial, a été introduit par le Parlement:
art. 248 nCPP
Mise sous scellés
1 Si le détenteur s’oppose au séquestre de certains documents, enregistrements ou autres objets en vertu de l’art. 264, l’autorité pénale les met sous scellés. Le détenteur doit requérir la mise sous scellés dans les trois jours suivant la mise en sûreté. Durant ce délai et après une éventuelle mise sous scellés, les documents, enregistrements et autres objets ne peuvent être ni examinés, ni exploités par l’autorité pénale.
2 Dès que l’autorité pénale constate que le détenteur n’est pas l’ayant droit, elle donne à ce dernier la possibilité de demander, dans un délai de trois jours, la mise sous scellés des documents, enregistrements ou autres objets.
3 Si l’autorité pénale ne demande pas la levée des scellés dans les 20 jours, les documents, enregistrements et autres objets mis sous scellés sont restitués au détenteur. art. 248a nCPP
Compétence pour lever les scellés et procédure
1 Si l’autorité pénale demande la levée des scellés, les autorités suivantes sont compétentes pour statuer sur la demande:
a. le tribunal des mesures de contrainte, dans le cadre de la procédure préliminaire et de la procédure devant le tribunal de première instance;
b. la direction de la procédure du tribunal saisi de la cause, dans les autres cas.
2 Si, après réception de la demande de levée des scellés, le tribunal constate que le détenteur n’est pas l’ayant droit, il informe ce dernier de la mise sous scellés des documents, enregistrements ou autres objets. Si celui-ci en fait la demande, il lui accorde le droit de consulter le dossier.
3 Le tribunal impartit à l’ayant droit un délai non prolongeable de dix jours pour s’opposer à la demande de levée des scellés et indiquer la mesure dans laquelle il souhaite que les scellés soient maintenus. L’absence de réponse est réputée constituer un retrait de la demande de mise sous scellés.
4 Lorsque l’affaire est en état d’être jugée, le tribunal statue définitivement en procédure écrite dans les dix jours qui suivent la réception de la prise de position.
5 Dans le cas contraire, il convoque le ministère public et l’ayant droit à une audience à huis clos dans les 30 jours qui suivent la réception de la prise de position. L’ayant droit doit rendre plausibles les motifs pour lesquels et la mesure dans laquelle les documents, enregistrements ou autres objets doivent être maintenus sous scellés. Le tribunal statue sans délai et définitivement.
6 Le tribunal peut:
a. recourir à un expert afin d’examiner le contenu des documents, enregistrements et autres objets, d’accéder à ceux-ci ou d’en garantir l’intégrité;
b. désigner des membres des corps de police comme experts afin d’accéder au contenu des documents, enregistrements et autres objets ou d’en garantir l’intégrité.
7 Si l’ayant droit, sans excuse, fait défaut à l’audience et ne s’y fait pas représenter, la demande de mise sous scellés est réputée retirée. Si le ministère public ne comparaît pas, le tribunal statue en son absence.
Nous allons dès lors aborder les principaux effets de ces modifications sur la pratique, à savoir la définition du cercle des ayants droit (art. 248 al. 1 et 2 ainsi que 248a al. 2 nCPP)8, le délai pour demander des scellés et l’interdiction d’exploiter les pièces durant ce délai (art. 248 al. 1 nCPP)9, le délai non prolongeable pour se déterminer sur la demande de levée de scellés (art. 248 al. 3 nCPP)10, l’audience en présence du ministère public (art. 248 al. 5 nCPP)11, le recours à la police dans la procédure de scellés (art. 248 al. 6 let. b nCPP)12 et enfin la question du recours au Tribunal fédéral contre la décision cantonale sur les scellés (art. 248 al. 5 nCPP et art. 80 al. 2 nLTF13)14.
3. La procédure de levée de scellés
Selon l’art. 248 al. 1 nCPP, tout détenteur peut s’opposer à un séquestre en sollicitant une mise sous scellés dans un délai de trois jours. L’autorité pénale a ensuite 20 jours pour solliciter la levée des scellés (art. 248 al. 3 nCPP). Durant la procédure préliminaire et la procédure de première instance, le Tribunal des mesures de contrainte est compétent pour statuer, selon une procédure qui est maintenant définie par la loi (art. 248a nCPP).
Le praticien qui vient de lire ce paragraphe constate ainsi que l’architecture de base de la procédure de scellés n’a guère changé. Abordons donc maintenant les éléments principaux qui ont été modifiés.
3.1 Le cercle des ayants droit
Selon le droit actuel, la mise sous scellés peut être demandée par chaque «intéressé». Le Tribunal fédéral a néanmoins rapidement jugé que toute personne disposant d’un intérêt juridiquement protégé pouvait la demander, charge aux autorités pénales de les interpeller d’office15. À notre connaissance, cette interpellation d’office était cependant très largement demeurée lettre morte en pratique.
La novelle a pour but de codifier cette obligation16. Il est maintenant prévu que tout «détenteur» de documents, enregistrements ou autre objet peut demander une mise sous scellés (art. 248 al. 1 nCPP). Toutefois, lorsque le détenteur n’est pas l’ayant droit du document, de l’enregistrement ou d’un objet, il doit être interpellé d’office (art. 248 al. 2 nCPP), le cas échéant par le Tribunal des mesures de contrainte durant la procédure de levée de scellés (art. 248a al. 2 nCPP).
Selon l’art. 248 al. 2 nCPP, le détenteur doit être informé «dès que l’autorité pénale constate que le détenteur n’est pas l’ayant droit». Si le texte de loi semble indiquer une obligation d’agir immédiatement, la doctrine relève qu’une interdiction de communiquer (art. 73 CPP) pourrait y faire obstacle durant un certain temps17. Dans une telle hypothèse, l’autorité a alors interdiction d’examiner ces documents durant tout ce laps de temps (248 al. 1 in fine nCPP).
Notons encore que les motifs de demande de scellés ont été précisés par la loi.
Seules les restrictions au sens de l’art. 264 CPP permettent de justifier une demande de scellés (art. 248 al. 1 nCPP). Seuls les éléments suivants pourront donc être soulevés à l’avenir: l’interdiction de séquestrer les documents concernant des contacts entre le prévenu et son défenseur; les documents personnels et la correspondance du prévenu, si l’intérêt à la protection de la personnalité prime l’intérêt à la poursuite pénale; les objets et les documents concernant des contacts entre le prévenu et une personne qui a le droit de refuser de témoigner en vertu des art. 170 à 173 CPP, si cette personne n’a pas le statut de prévenu dans la même affaire; les objets et les documents concernant des contacts entre une autre personne et son avocat, si celui-ci est autorisé à pratiquer la représentation en justice en vertu de la LLCA18 et n’a pas le statut de prévenu dans la même affaire.
3.2 Délai pour la requête de mise sous scellés
Le droit actuel ne prévoyait pas de délai pour demander une mise sous scellé. La modification met fin à cette incertitude et introduit un délai de trois jours pour demander des scellés, délai qui court à partir du moment où le détenteur est informé par l’autorité pénale (art. 248 al. 1 et 2 nCPP).
Cette clarification est accompagnée d’une nouveauté aux conséquences pratiques encore très incertaines: «Durant ce délai et après une éventuelle mise sous scellés, les documents, enregistrements et autres objets ne peuvent être ni examinés, ni exploités par l’autorité pénale» (art. 248 al. 1 in fine CPP).
Toute violation de cette règle entraîne une interdiction absolue d’exploiter la preuve (art. 141 al. 1 CPP)19. La doctrine cherche d’ores et déjà à prévoir des exceptions à cette interdiction20. À notre sens, la lettre de l’art. 248 al. 1 in fine nCPP s’y oppose toutefois, le législateur ayant prévu que les éléments ne peuvent être «ni examinés, ni exploités».
À notre avis, le vrai débat va se focaliser sur un autre point. La police et le ministère public pourraient en effet être tentés de faire signer, lors d’une perquisition, une renonciation du prévenu – ou du détenteur – à solliciter des scellés pour contourner l’art. 248 al. 1 in fine nCPP. Au vu de la technicité de la question et l’obligation d’informer les détenteurs non versés dans la science juridique de leurs droits21, une telle renonciation au début d’une procédure sans la présence d’un avocat serait cependant d’une validité hautement douteuse.
3.3 Délai non prolongeable pour se déterminer sur la demande de levée de scellés
Selon l’art. 248 al. 3 nCPP, dès réception de la demande de levée des scellés du ministère public, le tribunal impartit à l’ayant droit un délai non prolongeable de dix jours pour s’opposer à la demande de levée des scellés et indiquer la mesure dans laquelle il souhaite que les scellés soient maintenus.
L’absence de droit à la prolongation vaut uniquement pour cette première prise de position. Elle n’est en revanche pas applicable à la suite de la procédure, notamment pour la phase de tris de documents ou des données électroniques.
Cette modification ne devrait donc, en pratique, guère changer la durée de la procédure.
3.4 L’audience de tri en présence du ministère public
Si la procédure n’est pas en état d’être jugée, par exemple en raison de données électroniques à examiner, le tribunal doit convoquer une audience dans un délai de 30 jours, en présence du ministère public (art. 248a al. 5 CPP). L’ayant droit doit alors rendre plausibles les motifs pour lesquels et la mesure dans laquelle les éléments doivent être maintenus sous scellés (art. 248a al. 5 CPP).
À notre sens, cette révolution va poser de grandes difficultés en pratique. Elle oblige en effet un ayant droit à rendre vraisemblables, et donc décrire, des éléments couverts par un secret, devant le ministère public, auquel ce même secret peut être opposé. Cela va entraîner des refus légitimes de collaborer, respectivement des demandes de récusation contre le procureur présent à l’audience, et qui aura ainsi eu connaissance d’éléments couverts par un secret.
3.5 Le recours à la police dans la procédure de scellés
Enfin, dernière évolution qui pourrait déboucher sur des demandes de récusation, l’art. 248 al. 6 let. b nCPP, qui prévoit que le tribunal peut «désigner des membres des corps de police comme experts afin d’accéder au contenu des documents, enregistrements et autres objets ou d’en garantir l’intégrité».
Cette norme vise à faire échec à la jurisprudence du Tribunal fédéral qui l’interdit à ce jour22.
Cela étant, rien n’empêche l’ayant droit de demander la récusation du policier (art. 56 CPP) en raison de son lien avec le ministère public (art. 12 CPP). La présence d’une autorisation expresse du législateur de le désigner ne change rien au problème de l’indépendance qui avait été relevé par le Tribunal fédéral dans son arrêt. Au vu des considérants très clairs de l’ATF 142 IV 372, il est tout à fait possible que l’art. 248 al. 6 let. b nCPP demeure lettre morte, en raison d’une récusation systématique des policiers dans les procédures de levée de scellés23.
3.6 Recours au Tribunal fédéral
Selon le droit actuel, l’ordonnance du Tribunal des mesures de contrainte en matière de scellés est immédiatement sujette à recours au Tribunal fédéral (art. 78 et 80 al. 2 LTF)24.
La novelle prévoyant toujours que la décision du Tribunal des mesures de contrainte est définitive (art. 248 al. 5 LTF), une partie de la doctrine estime que le recours immédiat sera toujours ouvert25. Une autre partie en doute, relevant que l’art. 80 al. 2 LTF a également été modifié, instaurant une obligation pour les cantons d’instaurer des tribunaux supérieurs comme autorités cantonales de dernière instance, ce que le tribunal des mesures de contrainte n’est jamais26.
Le législateur en est bien conscient dans la mesure où il a adopté, le 7 juin 2023, une modification de l’art. 80 al. 2 LTF pour prévoir une exception pour le tribunal des mesures de contrainte27. Le recours au Tribunal fédéral restera donc ouvert à l’avenir en matière de scellés.
4. Conclusion
Plusieurs modifications introduites, en particulier à l’art. 248a nCPP, comme l’audience en présence du ministère public ou la délégation à la police va, à notre sens, générer un important contentieux avec de multiples procédures de récusation. La novelle ne va sans doute pas apporter des simplifications en matière de scellés, bien au contraire.
Les ministères publics considèrent généralement que la procédure de levée de scellés est trop longue et qu’elle est avant tout utilisée par des prévenus pour gagner du temps. Du côté de la défense, outre la protection légitime de secrets protégés par la loi, la procédure de levée de scellés présente l’énorme avantage de permettre d’accéder aux pièces avant toute audition par le ministère public sur le contenu de ces éléments.
Les modifications apportées au texte de loi ne modifieront rien à cette problématique. Et les délais introduits dans la novelle ne changeront pas grand-chose face aux vrais enjeux: les perquisitions informatiques. Des quantités astronomiques de données sont saisies et leur tri – réforme ou non – demande un temps et des moyens conséquents. Pour aller plus vite et faire mieux, nul besoin de modifier la loi. Il faut des moyens techniques et humains pour traiter la procédure.
Mais le législateur fédéral préfère se décharger sur les cantons, en précisant, avec un certain cynisme: «Il est difficile d’estimer les conséquences directes du projet sur les finances et l’état du personnel des cantons et des communes et encore plus d’avancer des montants»28.
Le CPP actuel prévoit que les scellés doivent être traités dans un délai d’un mois (art. 248 al. 3 CPP), délai (d’ordre) qui n’est jamais respecté en pratique. La novelle prévoit désormais que le tribunal doit statuer «sans délai» (art. 248a al. 5 nCPP). Cette dernière évolution risque d’être un simple tigre de papier. Sans moyens massifs supplémentaires pour les juges chargés du traitement des procédures de scellés, une telle injonction à la célérité restera en effet un vœu pieux…
1 RS 312.0.
2 FF 2022 1560.
3 bj.admin.ch/bj/fr/home/sicherheit/gesetzgebung/aenderungstpo.html
4 Cf. FF 2019 6351, p. 6403.
5 Cf. Damian K. Graf, Die strafprozessuale Siegelung nach der Revision, RSJ 13/2023, p. 680.
6 FF 2019 6351, p. 6353.
7 FF 2019 6351, p. 6403.
8 Infra 3.1.
9 Infra 3.2.
10 Infra 3.3.
11 Infra 3.4.
12 Infra 3.5.
13 RS 173.110.
14 Infra 3.6.
15 ATF 140 IV 28.
16 FF 2019 6351, p. 6402.
17 Graf, op. cit., p. 682.
18 RS 935.61.
19 Graf, op. cit., p. 682.
20 Graf, op. cit., p. 683.
21 Daniel Jositsch, Niklaus Schmid, Schweizerische Strafprozessordnung, Praxiskommentar, Zurich, 4e éd., 2023, ad art. 248 N. 4.
22 ATF 142 IV 372.
23 Contra, Graf, op. cit., p. 686-687.
24 ATF 143 IV 462.
25 Jositsch, Schmid, op. cit., ad art. 248a N. 10.
26 Graf, op. cit., p. 687.
27 Graf, op. cit., p. 687.
28 FF 2019 6351, p. 6430.