«Dès qu’on veut toucher aux sous des avocats, le dialogue devient difficile», témoigne Luis Neves, président de l’association des Jeunes Barreau et Notariat valaisans (JBNVS). Et il sait de quoi il parle, puisque cette association a réussi à modifier la charte valaisanne relative au salaire des avocats stagiaires. «Cela nous a bien pris quelques années, car nous avons dû effectuer une analyse comparative entre les différents systèmes cantonaux, rédiger deux propositions motivées et mener des négociations avec l’Ordre des avocats valaisans (OAVS)», poursuit-il. Un travail d’envergure qui a été récompensé, en juillet 2016, par la signature d’une nouvelle charte. Désormais, les avocats stagiaires touchent au minimum 1500 fr. net durant les six premiers mois de leur stage, puis 2000 fr. net jusqu’à la fin de leur formation. Alors que l’ancienne réglementation prévoyait 1000 fr. par mois durant la première année, puis 1500 fr.
Mais le Valais n’est pas le seul canton à avoir revu les honoraires de ses stagiaires à la hausse. Les Fribourgeois ont, eux aussi, adopté un avenant à leur convention collective, qui n’avait pas été modifiée depuis 2010. En l’occurrence, le changement apporté prévoit également une rémunération par palier, avec 1900 fr. brut pendant les six premiers mois du stage, puis 2200 fr. brut pour les six mois suivants et, finalement, 2450 fr. brut jusqu’à la fin de la formation1 (voir tableau comparatif).
En Suisse romande, le stage d’avocat dure généralement deux ans, sauf pour les cantons de Fribourg et du Valais où la formation a été ramenée à 18 mois2, soit la durée minimale imposée par la loi sur la profession d’avocat. Et si on se penche sur les salaires, les montants varient également d’une région à l’autre, passant de 1770 fr. par mois à Neuchâtel à 3500 fr. dans les cantons de Vaud et de Genève (lire encadré).
Autant de prix que de justifications
Le coût de la vie plus élevé dans les grandes villes comme Lausanne et Genève permet de justifier ces différences, mais ce n’est pas la seule explication. «Selon une enquête menée récemment auprès des études suisses, les gains des avocats établis dans le Jura n’ont rien à voir avec ceux perçus à Genève, relève Claude Jeannerat, bâtonnier de l’Ordre des avocats jurassiens. Ici, la plupart des études sont tenues par une seule personne et, pourtant, elles continuent d’engager des stagiaires. Je ne suis pas sûr qu’il y ait beaucoup de petites études en ville qui se lanceraient dans ce type de formation, à moins que ce ne soit pour avoir du personnel bon marché.»
Du côté du Valais, c’est l’intensité et la diversification du travail qui crée la différence salariale: «Les études prennent au sérieux les formations des stagiaires, seules quelques-unes les voient comme des outils de rentabilité, constate Luis Neves. Il faut aussi relever qu’en Valais, on respecte des horaires décents, d’environ 8 heures par jour. Les heures supplémentaires sont rares, contrairement à d’autres grandes villes vaudoises ou genevoises où elles sont quotidiennes.» Autre avantage, selon lui, les avocats valaisans se doivent d’être des généralistes, ce qui serait bénéfique pour les jeunes recrues: «Cela leur permet de toucher à tout durant leur formation et ça, c’est un gros plus», considère-t-il.
Pour Isabelle Brunner Wicht, bâtonnière de l’Ordre des avocats fribourgeois, les formations proposées en parallèle du stage sont également des éléments à prendre en compte avant de juger le montant des salaires: «Les stagiaires peuvent bénéficier de deux heures de cours tous les vendredis et suivre ces conférences sur leur temps de travail, souligne-t-elle. Les maîtres de stage doivent leur libérer du temps pour assister à ces événements. Ce système n’existait pas à mon époque.» A noter que plusieurs cantons proposent des modules de formation de ce genre.
Le salaire d’un aide de cuisine non formé
Le parcours d’un étudiant qui rêve de devenir avocat est semé d’embûches. Il doit d’abord réussir son bachelor en droit, puis son master; ensuite, s’il a la chance de trouver tout de suite une place de stage, il enchaîne sa formation au sein d’une étude d’avocat, tout en suivant, en parallèle, des cours facultatifs ou obligatoires. A noter qu’à Genève, l’école d’avocature est un passage obligé.
Toutes ces étapes ont pour mission de préparer les érudits à affronter le célèbre examen du barreau. Alors pourquoi rémunère-t-on ces intellectuels moins que des aides de cuisine non formés (2733 francs par mois)3? «Pour la plupart des avocats, ces stages demandent un grand investissement de leur part au niveau de la formation», confie Luis Neves, tout en confirmant que les salaires sont «très bas».
«Je ne sais pas si les avocats sont avares, relève Claude Jeannerat, avec humour. Il faut aussi noter que les honoraires d’un avocat jurassien n’ont rien à voir avec ceux de Genève. Et c’est vrai que l’on constate également un taux d’échecs à l’examen du barreau de plus en plus important. D’après nos membres (Ordre des avocats jurassiens, ndlr.), les stagiaires arrivent de moins en moins bien préparés. La formation universitaire propose des cours plus «exotiques», comme le droit du sport, mais, en pratique, des cas issus de ces branches ne se présentent que rarement. Ainsi, les maîtres de stage doivent accorder plus de temps à leur recrue qu’auparavant, afin de combler leurs lacunes sur les aspects plus pratiques du métier et les procédures.»
L’union fait la force
Pointer du doigt les faiblesses du système, c’est toujours plus facile que de trouver des solutions. Pourtant, Claude Jeannerat a déjà réfléchi à quelques pistes pour relever le niveau des stagiaires. «Il faudrait modifier la loi pour obliger les étudiants à avoir leur master en poche avant de débuter un stage dans une étude», avance le bâtonnier.
Actuellement, chaque ordre des avocats cantonal organise des cours et des formations pour les avocats stagiaires, afin de les préparer au mieux à l’examen du barreau. Mais, selon Claude Jeannerat, il existe certaines différences d’un endroit à l’autre et, notamment, à cause du fait que certains cantons ont une université et d’autres pas. Alors, pour répartir les coûts et assurer une formation plus spécifique, il souhaiterait que les ordres se regroupent. «Il y a peut-être un avantage à ce que les cours soient aussi donnés par des gens de terrain», conclut-il.
Genève gagne une lutte
Le Conseil de l’Ordre vient de réviser sa charte sur les us et coutumes des avocats genevois dans le but d’astreindre les études du canton à respecter le salaire minimum des stagiaires. Un changement qui n’a l’air de rien, mais qui est le résultat d’une longue lutte pour Annette Micucci, premier secrétaire du Comité du Jeune Barreau: «On s’est battu pour avoir ce minimum parce que c’est vraiment un minimum. Payer moins, cela veut dire qu’une étude n’a pas les moyens d’avoir un stagiaire.» Mais s’il a fallu ajouter un article pour mentionner le caractère obligatoire de la charte, c’est parce que de nombreux abus ont été constatés. «Beaucoup de jeunes sortent de l’ECAV chaque année et il n’y a pas assez d’offres de stages, explique Annette Micucci. Alors la tentation est grande, pour les études, de baisser les salaires des recrues. Mais la situation du marché ne doit pas permettre à certaines études de profiter des stagiaires.» Ainsi, dès le 1er janvier 2018, tous les membres de l’Ordre des avocats genevois auront l’obligation de payer le salaire minimum.