La loi fédérale sur l’aménagement du territoire (LAT) a été révisée pour la dernière fois en 2012. Les nouvelles dispositions sont entrées en vigueur en 2014. Depuis lors, plusieurs questions restent encore ouvertes. Celles-ci n’intéressent pas uniquement les propriétaires fonciers. Les questions d’aménagement touchent l’ensemble de la population, en ce qu’elles concernent la façon dont le territoire se développe et comment le cadre de vie de chacun est appelé à évoluer. Les thématiques d’aménagement du territoire dépassent également les clivages politiques, en posant la question des possibilités de concilier des intérêts très différents, notamment comment protéger le sol et encourager un développement durable, sans pour autant remettre en cause la propriété foncière ou le développement de chaque région du pays.
Lors de la révision de la LAT, les conditions auxquelles de nouveaux classements en zone à bâtir peuvent être effectués ont été considérablement durcies1. En parallèle, la loi fixe désormais expressément un principe confirmé de jurisprudence constante depuis de nombreuses années, selon lequel les zones à bâtir surdimensionnées doivent être réduites. Cette obligation pose problème à de nombreuses communes, qui disposent de réserves de terrains constructibles bien supérieures aux besoins sur quinze ans, qui constituent le maximum admis (art. 15 al. 4 let. b LAT). A titre d’exemple, l’an dernier, 75% des communes du canton de Vaud disposaient de réserves de terrains constructibles excédentaires2. De très nombreuses communes doivent donc entreprendre la réduction de leur zone à bâtir, en déclassant des terrains jusque-là constructibles. Cela passe par des révisions des plans d’affectation.
Mécanisme de la LAT
L’idée sous-jacente des dispositions de la LAT étant de freiner un développement exponentiel des constructions et de préserver le sol pour les générations futures, le législateur fédéral a conçu un mécanisme prévu pour assurer une mise en œuvre effective des normes. La LAT existe depuis plus de trente ans. Pourtant, son application dans les cantons et les communes n’a pas permis de réaliser à satisfaction les principes d’utilisation judicieuse et mesurée du sol et d’occupation rationnelle du territoire ancrés dans la Constitution (art. 75 Cst.).
Afin de garantir que les collectivités publiques réduisent leurs zones à bâtir surdimensionnées et ne procèdent pas à de nouveaux classements avant que ces mesures ait été prises, l’art. 38a LAT interdit l’augmentation de la surface des zones à bâtir tant que les cantons n’ont pas adopté un plan directeur conforme au droit fédéral et que celui-ci n’a pas été approuvé par le Conseil fédéral.
Si cette disposition a le mérite de forcer les cantons à réviser au plus vite leur plan directeur et ce, afin de réduire les zones à bâtir surdimensionnées, elle soulève un problème de taille pour de nombreux cantons. Elle provoque en effet, d’une part, un gel des classements en zone à bâtir, ce qui peut retarder d’autant la réalisation de projets, même d’importance majeure (on peut penser notamment à la réalisation de grands complexes de logements dans un contexte particulièrement tendu de pénurie, avec des taux de vacance extrêmement bas pour la plupart des typologies de logements). D’autre part, elle force les communes à entreprendre, dans les meilleurs délais, des déclassements afin de réduire la surface des zones à bâtir.
La révision du plan directeur ne peut se faire d’un jour à l’autre, vu les impératifs de coordination qu’un tel instrument implique. Le plan directeur cantonal sert en effet à concevoir, dans les grandes lignes, les options principales de l’aménagement du canton sur une dizaine d’années. Les exigences de contenu ont, quant à elles, également été renforcées lors de la dernière révision de la LAT, en particulier en ce qui concerne le domaine de l’urbanisation (art. 8a LAT).
En attendant que les plans directeurs aient été révisés et approuvés par le Conseil fédéral, les communes ont tenté de trouver des solutions entre elles, afin de coordonner classements et déclassements3. En effet, le seul moyen pour qu’un nouveau classement soit admissible avant l’approbation du plan directeur révisé est que celui-ci soit compensé par un déclassement de même surface dans le canton. De telle sorte, l’art. 38a, selon lequel la surface totale des zones à bâtir ne doit pas augmenter avant l’approbation du plan directeur cantonal révisé, n’est pas violé.
Stratégie de promoteurs
Les promoteurs immobiliers ne sont pas non plus restés inactifs face à cette situation et ont tenté de développer des stratégies complémentaires aux accords entre communes. L’idée étant de conclure des accords multilatéraux entre (1) des propriétaires fonciers acceptant de voir leur terrain déclassé de la zone à bâtir vers la zone agricole, (2) un promoteur cherchant à construire sur une parcelle qui devrait préalablement être classée en zone constructible et (3) les communes où sont situés les terrains concernés.
Le concept part d’un constat économique simple: les déclassements de terrains prennent du temps et sont, dans la plupart des cas mal acceptés, mais surtout, ils occasionnent pour les communes une importante charge financière. En effet, les propriétaires de parcelles qu’une collectivité entend sortir de la zone à bâtir font en principe valoir un droit à une indemnité pour expropriation matérielle. Malgré le fait que la jurisprudence du TF n’accorde pas une telle indemnité systématiquement mais la fasse dépendre de la réalisation de plusieurs conditions – au demeurant relativement strictes, le risque de devoir verser de telles indemnisations effraie de nombreuses communes, qui ne seraient pas en mesure de faire face à ce genre d’obligations4.
Dans le cas de deux communes qui négocient entre elles, les modalités financières font l’objet d’une négociation bilatérale, qui n’est pas réglée d’emblée5. En effet, quand bien même les nouveaux classements donnent lieu au prélèvement d’une contribution de plus-value, la quotité de celle-ci est limitée à 20% (sauf si les cantons ont légiféré de façon à augmenter ce taux, qui ne constitue qu’un minimum selon l’art. 5 LAT). Or, si une indemnité pour expropriation matérielle est due, c’est l’entier de la baisse de valeur qui doit être compensée (art. 26 al. 2 Cst.), alors que seule une partie de l’augmentation de valeur est restituée à la collectivité par le propriétaire. On voit d’emblée que le système donnera naissance à d’âpres négociations au sujet de la répartition de la contribution de plus-value et que les communes qui procèdent à des déclassements pourraient devoir contribuer aux indemnisations, même en présence d’un accord avec la commune qui opère le nouveau classement.
Le rôle du promoteur immobilier, dans un tel contexte, est de proposer à la commune de prendre lui-même en charge cette (éventuelle) indemnisation du propriétaire déclassé, afin de faciliter le changement de zone.
Cela lui permet ensuite d’approcher une autre commune, celle où se situe la parcelle sur laquelle il entend développer son projet, afin de lui proposer un accord avec la commune disposée à procéder à un déclassement. Ainsi, le déclassement auquel le promoteur propose de participer financièrement ouvre la voie au classement d’une autre parcelle, par le jeu d’une compensation en termes de surface. La compensation doit être simultanée (art. 52a al. 2 let. a de l’ordonnance sur l’aménagement du territoire – OAT), comme l’a confirmé la jurisprudence6.
A la différence des accords entre communes, ce sont, en principe, les promoteurs immobiliers qui sont à l’origine de ce type d’accords et qui mènent les négociations. Les communes ne sont approchées que lorsque des parcelles ont été identifiées et que les propriétaires ont été contactés et ont manifesté de l’intérêt.
Incertitudes en période transitoire
Cette attitude proactive des acteurs de l’immobilier se comprend aisément, puisque la période transitoire entre l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions de la LAT et l’approbation, par le Conseil fédéral, d’un plan directeur cantonal conforme à celles-ci est synonyme d’incertitudes et de ralentissement dans l’exécution des projets.
Il est aussi compréhensible que certaines communes acceptent de tels d’arrangements, car elles peuvent y voir, pour certaines, une façon de régler partiellement l’épineux problème de la réduction de la zone à bâtir, en évitant tout risque d’indemnisation lors d’un tel déclassement. Pour d’autres, ces accords représentent l’opportunité de continuer à se développer et à attirer une vitalité économique s’accompagnant de nouveaux contribuables.
Risques des accords
Ces accords multilatéraux entre promoteurs, communes et propriétaires ne vont cependant pas sans soulever des doutes quant à leur compatibilité avec les règles et les principes d’aménagement du territoire.
D’emblée, la présence d’accords financiers passés entre une commune et un particulier concernant l’adoption d’une mesure d’aménagement du territoire tel un déclassement peut éveiller le soupçon que la collectivité publique ne prenne pas sa décision uniquement en fonction de considérations de développement territorial, mais que cette décision soit aussi déclenchée par la chance d’éviter des procédures qui pourraient s’avérer longues et coûteuses, dès lors que le déclassement pourrait potentiellement être considéré comme une expropriation matérielle, obligeant la collectivité à indemniser le propriétaire qui voit son terrain sorti de la zone à bâtir.
Savoir quelles parcelles doivent être classées dans la zone à bâtir ou quels terrains doivent en sortir dépend de principes comme celui de concentration. En application de ce principe, il faut classer prioritairement les parcelles qui se trouvent dans ou à proximité immédiate du milieu déjà bâti et déclasser les terrains situés en périphérie, éloignés du centre et des équipements aisi que des voies de communication.
On ne peut certes pas exclure que, par le jeu des accords multilatéraux entre communes, promoteurs et propriétaires, les parcelles classées et déclassées soient celles qui devraient l’être selon ces principes. Cependant, l’utilisation de ces accords pourrait mettre les communes dans une situation délicate, obligées de choisir entre une application stricte de la loi fédérale et des principes d’aménagement du territoire et la chance de procéder rapidement à certains déclassements, tout en évitant d’importantes dépenses, qui pourraient même mettre en péril leur survie. Le danger de tels accords multilatéraux est donc que les communes procèdent à des classements ou des déclassements sur des terrains qui ne seraient pas forcément les plus adéquats du point de vue de l’aménagement du territoire.
Si la collaboration entre l’ensemble des acteurs du milieu immobilier doit être encouragée à l’heure où les collectivités publiques peinent à mettre en œuvre les nouvelles dispositions de la LAT7, les collectivités publiques restent tenues de respecter les principes de coordination et de concentration lors de l’adoption de toute mesure d’aménagement du territoire. y