1. Introduction
En date du 20 juin 2014, l’Assemblée fédérale a adopté la loi fédérale sur la nationalité (nLN)1, destinée à remplacer la loi fédérale sur l’acquisition et la perte de la nationalité suisse du 29 septembre 1952 (LN)2, actuellement en vigueur, après plus d’un an de débats soutenus en raison de divergences persistantes entre les deux Chambres3. En effet, bien qu’elle n’ambitionne pas de révolutionner le domaine4, mais vise avant tout à sa consolidation et à sa mise à jour, la nLN opère, par rapport au droit actuel, un durcissement en matière d’accès à la nationalité par naturalisation ordinaire, en particulier s’agissant des conditions formelles à remplir par le candidat avant le dépôt de sa demande (infra 3). Même si la nLN porte sur l’ensemble du droit de la nationalité, son adoption n’a pas pour autant réalisé une refonte de la matière, dès lors que, non précédée d’une modification constitutionnelle, elle se base sur la répartition des compétences découlant de l’art. 38 Cst., qui définit la marge de manœuvre des autorités fédérales (infra 2). De nouvelles modifications constitutionnelles, entraînant des révisions législatives, ont ainsi été lancées en parallèle en faveur des partenaires enregistrés5 et des jeunes étrangers, ces derniers ne disposant actuellement d’aucune facilité de naturalisation (infra 4).
2. L’art. 38 Cst. et la marge de manœuvre de la Confédération
En prévoyant que la Confédération règle l’acquisition et la perte de la nationalité par filiation, mariage et adoption, l’art. 38 al. 1 Cst. confère à celle-ci la compétence de réglementer ces matières de manière exhaustive6, tout comme d’ailleurs la naturalisation facilitée des enfants apatrides, cas expressément mentionné à l’art. 38 al. 3 Cst. D’autres situations, comme des facilités de naturalisation, voire d’acquisition de la nationalité de par la loi en faveur des jeunes étrangers ne sont ainsi pas couvertes par ces dispositions7, interprétées de manière restrictive.
La situation se présente sous un autre angle en matière de naturalisation ordinaire, puisque la Confédération, qui dispose de compétences concurrentes à celles des cantons8, ne peut édicter que des «dispositions minimales» et «octroyer l’autorisation de naturalisation»9. Elle peut néanmoins fixer des lignes directrices aux cantons, dont l’intensité s’est accrue au gré de l’interprétation donnée à l’art. 38 al. 2 Cst. Il est à présent admis que la Confédération est habilitée, sur cette base, à imposer aux cantons des principes, sous forme de dispositions «maximales», que ceux-ci ne peuvent outrepasser, en vue d’une uniformisation et d’une harmonisation10.
3. Les conditions formelles de naturalisation ordinaire
Les conditions formelles de naturalisation permettent l’accès à la procédure et doivent être réalisées par le candidat lors du dépôt de sa demande, sous peine d’irrecevabilité. Elles ont trait tant à la durée de résidence qu’au statut en Suisse de l’intéressé.
3.1 Une réduction de la durée de résidence…
En droit actuel, sans préjudice des durées supplémentaires exigées par les cantons, l’étranger peut demander l’autorisation de naturalisation s’il a résidé en Suisse pendant douze ans, dont trois au cours des cinq années qui précèdent la requête11, le temps passé en Suisse entre l’âge de 10 et 20 ans révolus comptant double12.
La nLN est, sur ce point, plus favorable au candidat, puisqu’elle lui permet de déposer sa requête après un séjour en Suisse de dix ans, dont trois sur les cinq ans ayant précédé le dépôt de sa demande13, étant précisé que, dans ce calcul, le temps qu’il a passé dans le pays entre l’âge de 8 et 18 ans compte double14. La nouvelle loi limite également la possibilité, jusqu’alors offerte aux cantons, de fixer une durée de résidence supérieure, en leur imposant un séjour, sur leur territoire, compris entre deux et cinq ans15.
3.2 … à relativiser
Cette diminution globale de la durée de résidence prévue par la nLN n’est toutefois pas absolue et doit être mise en relation avec les exigences posées en matière d’autorisation de police des étrangers, plus précisément s’agissant du statut en Suisse du candidat, tant avant le dépôt de la demande que lors de celui-ci.
Le droit fédéral actuel ne pose aucune exigence s’agissant du premier point, la LN se référant uniquement à une «présence (…) conforme aux dispositions légales sur la police des étrangers»16, de sorte que tout séjour effectué par le candidat au bénéfice d’une forme légale de présence est comptabilisé pour arriver à la durée prescrite17. Il en découle également que seul un permis stable suffit à l’étranger pour déposer une demande de naturalisation18, étant précisé que les cantons peuvent, pour leur part, se montrer plus sévères, en exigeant, par exemple, la titularité d’un permis d’établissement19.
Sur ces deux aspects, la nLN est plus restrictive.
3.2.1 L’énumération des titres de présence en Suisse
La nLN énumère désormais de manière exhaustive les titres de présence pouvant être pris en compte dans le calcul des dix ans de résidence requis et qui doivent avoir été effectués au bénéfice d’une autorisation de séjour ou d’établissement, d’une admission provisoire20 ou d’une carte de légitimation délivrée par le DFAE ou d’un titre similaire21.
A l’inverse, les séjours, mêmes légaux, qui ne correspondent pas à l’un ou à l’autre de ceux mentionnés par la loi ne seront pas comptabilisés22. Il en va en particulier ainsi du temps passé en Suisse par un candidat au bénéfice d’un permis «N» qui, malgré une présence d’une certaine durée, devra attendre de disposer d’une autorisation selon l’art. 33 al. 1 nLN, ce qui augmentera d’autant la durée de résidence finalement requise. Outre le fait que cette situation est problématique au regard des obligations internationales liant la Suisse, telles que définies par la Convention relative au statut des réfugiés du 28 juillet 195123 – en particulier de son art. 34 qui impose aux Etats contractants (en l’occurrence au législateur suisse) d’accélérer les procédures de naturalisation en faveur des réfugiés reconnus, puisque, une fois ce statut acquis, la période le précédant n’est tout simplement pas prise en compte – l’art. 33 al. 1 nLN péjore également les enfants et les jeunes étrangers, souvent très bien intégrés en raison de leur scolarisation et du suivi, en Suisse, d’une formation supérieure ou professionnelle.
Elle touche également les personnes admises provisoirement, puisque seule une partie du séjour effectué à ce titre sera comptabilisé, alors même que, bien souvent, rien ne distingue les jeunes au bénéfice de ce statut des autres étrangers de la même tranche d’âge. Cet argument a d’ailleurs eu un poids décisif lors des débats au Parlement, puisque le Conseil national, en considération du fait que ce statut n’offrait pas de stabilité suffisante à son titulaire, car octroyé dans l’attente de la levée des obstacles à son renvoi, avait décidé de supprimer tout séjour effectué à ce titre24, ce que le Conseil des Etats n’a toutefois pas accepté, notamment au regard des mesures prises ces dernières années en vue de stabiliser, en droit des étrangers, la situation déjà précaire de leur titulaires25. C’est finalement une solution de compromis qui a été trouvée, en conférence de conciliation seulement, visant à la prise en compte de la moitié du séjour effectué au bénéfice d’un permis «F»26.
3.2.2 L’autorisation d’établissement
La nLN se distingue également de la loi actuelle par le fait qu’elle exige du candidat, lors du dépôt de la demande de naturalisation, qu’il soit titulaire d’un permis d’établissement27. Cette nouvelle condition d’accès à la procédure doit être mise en relation avec la finalité poursuivie par la loi, laquelle, vouée à s’insérer dans le droit des migrations dans son ensemble, est centrée sur l’intégration en Suisse du candidat28. En effet, la procédure de naturalisation est, dans ce cadre, conçue comme l’aboutissement d’un processus migratoire, l’intéressé devant franchir différentes étapes successives pour obtenir une autorisation d’établissement et, en dernier lieu, prétendre à la naturalisation, censée couronner une intégration réussie29.
Cela étant, en cherchant à matérialiser l’intégration dans un statut particulier, la nLN ferme l’accès à la procédure de naturalisation à un certain nombre de candidats qui en remplissent pourtant toutes les conditions, sans pour autant être titulaires d’une autorisation d’établissement. Outre les personnes au bénéfice d’un permis «F» ou «N» déjà mentionnées, d’autres catégories d’étrangers risquent d’être pénalisés. Il en va en particulier ainsi des titulaires d’un permis de séjour pour étudiants, cas bien connu des autorités, puisque souvent, après un long séjour en Suisse, ceux-ci déposaient une demande de naturalisation à la fin de leurs études, mais aussi, en particulier, dans un canton comme Genève, des fonctionnaires internationaux et membres du personnel diplomatique et consulaire, au bénéfice d’une autorisation délivrée par le DFAE.
A cela s’ajoute que cette nouvelle condition rend illusoire, du moins pour une partie des candidats, la réduction de la durée de résidence prévue par la nLN, puisqu’une durée identique, de dix ans, est en principe exigée pour l’obtention d’un permis «C»30. Ce n’est ainsi qu’après avoir reçu une autorisation d’établissement, dont l’examen, qui requiert, à l’instar de la naturalisation, également la vérification d’un certain nombre de conditions en lien avec l’intégration du candidat31, que ce dernier pourra déposer sa demande de naturalisation, prolongeant ainsi, dans les faits, la durée fixée à l’art. 9 al. 1 lit. b nLN. Cette situation s’explique par le fait que la nouvelle loi entend encourager autant que possible le futur candidat à s’intégrer et à obtenir, après un séjour de cinq ans en Suisse, une autorisation d’établissement32, de manière à pouvoir, après y avoir résidé durant dix ans, directement déposer une demande de naturalisation33. Bien que permettant un accès plus rapide à la procédure de naturalisation des candidats bien intégrés, elle n’en créera pas moins une disparité entre étrangers, en séparant ceux pour lesquels la durée de dix ans s’applique des autres.
En outre, alors qu’actuellement la jurisprudence ne subordonne pas l’octroi de la naturalisation à la titularité d’une autorisation durant la procédure ni au moment du prononcé de la décision y relative34, la nLN exige, du moins implicitement, du requérant qu’il conserve son permis d’établissement jusqu’à l’issue de la procédure, puisque, en cas de révocation d’une telle autorisation, les motifs de celle-ci ne seront pas sans incidences sur les conditions matérielles de naturalisation, qui ne pourront être considérées comme réalisées35.
3.2.3 Et les cantons?
Quant aux cantons, leur marge de manœuvre se trouve réduite par la nLN. Si le fait de leur imposer une durée maximale de résidence sur leur territoire a le mérite de favoriser la mobilité géographique des candidats, il n’en reste pas moins qu’ils ne pourront pas avoir de pratique moins restrictive s’agissant en particulier du titre de présence requis au moment du dépôt de la demande, à l’instar du canton de Genève qui prévoit que le candidat peut présenter celle-ci indépendamment du titre de séjour dont il dispose36.
4. Les «jeunes» étrangers
Le droit actuel, pas davantage que la nLN, ne prévoit de facilités de naturalisation en faveur des jeunes étrangers, hormis le fait que, en matière de naturalisation ordinaire, les années passées en Suisse durant une certaine tranche d’âge comptent double37. Cette condition a d’ailleurs bien failli ne pas être reprise par la nLN en raison de plusieurs faits divers à caractère pénal ayant impliqué des jeunes Suisses naturalisés38. De leur côté, les cantons peuvent octroyer, dans les limites du droit fédéral, des facilités en matière de naturalisation ordinaire aux jeunes étrangers, en allégeant notamment la procédure39, sans pour autant qu’il existe de réglementation uniforme sur le plan national.
4.1 Bref historique
La volonté d’octroyer des facilités de naturalisation en faveur des jeunes étrangers, soit une catégorie de la population bien intégrée en Suisse pour y avoir passé son enfance, son adolescence, voire une partie de sa vie de jeune adulte, n’est pas nouvelle. Elle a d’ailleurs été tentée, en vain, à plusieurs reprises et à intervalles réguliers au cours des trente dernières années, soit en 198340, en 199441 et, enfin, en 200342. Cette dernière tentative prévoyait d’octroyer à la Confédération, d’une part, la compétence de faciliter la naturalisation par les cantons des jeunes étrangers ayant grandi en Suisse et, d’autre part, de régler l’acquisition de la nationalité et des droits de cité par la naissance en Suisse lorsque l’un des parents au moins y a grandi.
4.2 L’objet n° 08.432
4.2.1 L’idée
En 2008, la conseillère nationale Ada Marra a déposé l’initiative parlementaire n° 08.432, «La Suisse doit reconnaître ses enfants», dont le texte vise à ce que les étrangers de la troisième génération établis en Suisse obtiennent la nationalité sur demande des parents ou des personnes elles-mêmes. L’idée à la base de cet objet est de permettre aux personnes, notamment celles nées en Suisse de parents qui, eux-mêmes, sont nés en Suisse et dont les parents ont séjourné, dans la plupart des cas, plus de vingt ans en Suisse, d’acquérir de manière facilitée la nationalité suisse, dès lors qu’elles ne peuvent plus être considérées comme étrangères, leurs liens avec leur pays d’origine se limitant à des aspects touristiques et symboliques.
4.2.2 Sa concrétisation
Sur la base de cette initiative parlementaire, la Commission des institutions politiques du Conseil national a rendu, le
30 octobre 2014, son rapport43, accompagné de deux projets, l’un tendant à la révision de la Cst. (projet 1)44, l’autre de la nLN (projet 2)45. Alors que le premier projet prévoit une modification de l’art. 38 Cst., en conférant à la Confédération la compétence de régler l’acquisition de la nationalité et des droits de cité par naissance en Suisse (al. 1) et de faciliter la naturalisation des étrangers de la troisième génération (al. 3 lit. a), le deuxième introduit dans la loi un nouvel art. 24a définissant le cercle des bénéficiaires de la naturalisation facilitée. Peut ainsi y prétendre l’enfant étranger né en Suisse et titulaire d’une autorisation de séjour ou d’établissement, à condition que l’un de ses grands-parents au moins soit né en Suisse ou était titulaire d’un droit de séjour en Suisse et que l’un de ses parents au moins soit né en Suisse ou était titulaire d’une autorisation de séjour ou d’établissement avant l’âge de 12 ans.
L’objet n° 08.432 a globalement reçu un bon accueil, d’abord par le Conseil fédéral46, ensuite par le Conseil national, qui a adhéré aux deux projets lors de la session de printemps de cette année47, et, enfin, par le Conseil des Etats, qui a accepté l’entrée en matière lors de celle d’automne, malgré certaines réticences, tout en retournant l’objet à la commission pour qu’elle procède à la discussion par article.
4.2.3 Quelles suites?
Pour autant qu’ils soient adoptés par le Parlement, les projets ont de bonnes chances d’être acceptés respectivement par le constituant et le législateur, se distinguant des précédentes tentatives en la matière, notamment celle de 2003, sur plusieurs aspects.
A la différence de l’arrêté de 2003, les projets ne prévoient pas l’acquisition automatique de la nationalité, mais soumettent les étrangers de la troisième génération à la naturalisation facilitée, opérant un transfert de compétence des cantons en faveur de la Confédération, laquelle est seule habilitée à en prévoir les conditions et la procédure48. Ils ne proposent ainsi pas l’introduction du droit du sol à proprement parler49, la naissance en Suisse n’étant qu’une condition, parmi d’autres, à remplir, dans la mesure où l’acquisition de la nationalité demeure subordonnée à une décision de l’autorité, laquelle statue à la demande de l’intéressé50. En outre, le projet 2 pose des critères formels stricts pour que les candidats puissent en bénéficier et, bien qu’en liant l’octroi de la nationalité à la titularité d’un permis «B» ou «C», il crée une présomption d’intégration, celle-ci peut être renversée lorsque l’examen du dossier laisse apparaître que l’intéressé ne respecte pas l’ordre juridique ou que son intégration est insuffisante51. Par ailleurs, la notion d’«enfant de la troisième génération» est bien plus restrictive que celle qui était prévue par l’arrêté de 2003, lequel se limitait à exiger que l’un des parents ait accompli sa scolarité en Suisse pendant au moins cinq ans et soit titulaire d’une autorisation de séjour ou d’établissement depuis cinq ans lors de la naissance de l’enfant52.
Il n’en demeure pas moins que la concrétisation de l’objet n° 08.432, outre les problèmes administratifs que peut poser la vérification des conditions mentionnées à l’art. 24a projet 2, outrepasse dans une certaine mesure le texte de l’initiative parlementaire à son origine, qui, formulé de manière plus générale, n’érige pas la naissance en Suisse en condition de naturalisation. L’art. 38 al. 3 lit. a projet 1 s’inscrit d’ailleurs dans ce contexte, puisqu’il ne se limite pas à permettre à la Confédération de faciliter la naturalisation des étrangers de la troisième génération nés en Suisse, tel que résultant de l’art. 24a projet 2, mais permet également à la Confédération de prévoir les mêmes facilités, indépendamment du lieu de naissance de cette catégorie de personnes, cas non concrétisé par le projet 253. En outre, comme les projets ne prévoient pas d’âge limite pour présenter une demande et que le cercle des bénéficiaires de la naturalisation facilitée va au-delà des étrangers de la troisième génération, en s’étendant aux suivantes, les autorités estiment les personnes concernées à quelque 100 000, lesquelles pourraient ainsi engager la procédure dès l’entrée en vigueur de la nouvelle réglementation54.
5. Conclusion
Bien qu’elle diminue la durée de résidence en Suisse en vue du dépôt d’une demande de naturalisation ordinaire, qui, fixée à dix ans, demeure néanmoins l’une des plus longues d’Europe55, la nouvelle loi durcit simultanément l’accès à la procédure de naturalisation ordinaire en posant des conditions formelles plus strictes qu’en droit actuel et crée, au demeurant, deux catégories d’étrangers, en fonction des efforts d’intégration fournis. Ce durcissement se reflète également dans les projets visant à conférer des facilités de naturalisation aux étrangers ayant grandi en Suisse, du moins par rapport aux précédentes tentatives, même si la révision constitutionnelle proposée dans ce cadre permet d’élargir le cercle des bénéficiaires et, par voie de conséquence, de soustraire une nouvelle catégorie d’étrangers à la naturalisation ordinaire et à ses (nouvelles) conditions restrictives. y