Traditionnellement, les spécialistes de l’orientation professionnelle mettent en avant les capacités d’organisation, d’analyse et de synthèse indispensables à l’exercice de la profession d’avocat, tout comme une certaine résistance au stress. D’autres qualités sont régulièrement citées: une bonne mémoire, de la rigueur, le goût de l’éloquence et de l’écriture, l’esprit combatif, la ténacité, le désir de convaincre, une bonne écoute ou encore la vivacité d’esprit, la réactivité, la discrétion, la maîtrise de soi, la capacité d’encaisser les coups1, celle de ne pas être rebuté par une grande masse de travail, etc. Certains2 mentionnent aussi la dimension pédagogique du métier d’avocat, qui doit sans cesse expliquer, clarifier, convaincre son client, le juge et autres interlocuteurs. La représentation que se fait le grand public de la profession est plus ou moins positive. L’avocat est tantôt traité de mercenaire prêt à tout, y compris de travestir la vérité, tantôt d’individus guidés par la soif de justice. Ce qui est certain, c’est qu’il ne suffit pas d’être bon juriste pour être un bon avocat.
«Noyau dur»
Les qualités principales exigées de l’avocat ne sont vraisemblablement pas tout à fait les mêmes selon le domaine et le type d’activités exercés. Les attentes du client de l’avocat pénaliste ne seront pas forcément identiques à celles, par exemple, du client de l’avocat actif en droit commercial. Pourtant, il y a, selon nous, un «noyau dur» de qualités qu’on devrait retrouver chez l’avocat, sans égard à son domaine de pratique: celles qui lui permettront de respecter au mieux les exigences –principes, valeurs et devoirs – encadrant la profession d’avocat.
Ces exigences sont résumées notamment dans la Charte des principes essentiels de l’avocat européen3, qu’on retrouve en général – exprimés plus ou moins différemment – dans des textes légaux4 régissant la profession d’avocat ou dans les codes de déontologie des barreaux. Cette Charte mentionne en particulier «l’indépendance et la liberté d’assurer la défense de son client; le respect du secret professionnel et de la confidentialité des affaires dont il a la charge; la prévention des conflits d’intérêts que ce soit entre plusieurs clients ou entre le client et lui-même; la dignité, l’honneur et la probité5; la loyauté à l’égard de son client; la délicatesse en matière d’honoraires6; la compétence professionnelle; le respect de la confraternité; le respect de l’Etat de droit et la contribution à une bonne administration de la justice; l’autorégulation de sa profession.» A travers ces principes, on perçoit les nombreuses qualités devant être réunies pour être un bon avocat. A titre d’exemple, celui-ci doit être capable de résister aux pressions extérieures pour respecter au mieux son obligation d’indépendance.
«Porte-dignité»
L’avocat exercera avec conscience7, laquelle signifie, selon les termes d’Ader et Damien, «la rigueur morale et professionnelle, la reconnaissance de l’importance de la cause ou des intérêts que l’on défend, la volonté de bien faire son travail». Il ne saurait être guidé par ses propres intérêts, financiers ou autres. Son intégrité est indispensable aux relations de confiance8. Il fera preuve d’honnêteté et, – comme le lui impose son serment9 –, d’humanité, y compris envers son adversaire10. Il ne devra pas être dans le jugement à l’égard de son client, mais faire preuve de compréhension et remplir son rôle de «porte-dignité» pour reprendre l’expression du bâtonnier Patrick Henry11. Cela n’implique pas qu’il devienne l’«écrivain public» de son mandant et qu’il suive aveuglément tout ce que celui-ci demande. Bien conseiller et bien défendre, c’est saisir la nuance, s’adapter, sans mettre inutilement de l’huile sur le feu. Acteur de la bonne administration de la justice12, l’avocat doit s’abstenir de multiplier des opérations inutiles13 et renoncer à un mandat lorsque ses devoirs professionnels l’imposent. Il doit savoir accepter le compromis quand l’intérêt du client le nécessite et ne rien lâcher, lorsque la cause l’exige. Et il doit, bien sûr, continuer à se former, bien connaître ses dossiers et les suivre avec diligence, tendre à être juridiquement compétent et – de manière générale – pertinent.
L’avocat s’efforcera de trouver la juste distance et être adéquat, y compris dans son comportement. Il devra respecter non seulement son client, mais aussi la partie adverse et les magistrats. Cela ne saurait toutefois empêcher l’audace, ni l’esprit critique ou la capacité de contradiction, qualités également indispensables à l’avocat, tout comme celles de se remettre en question et de s’interroger sur son rôle, afin de mieux remplir sa mission14.
A juste titre, les professeurs Bohnet et Martenet15 mentionnent l’humilité dont doit faire preuve l’avocat, qui prendra «garde à demeurer humble et se souvenir que son rôle consiste à représenter diligemment et fidèlement son client, dans les limites de l’ordre juridique. S’il se laisse guider par une trop haute opinion de lui-même au détriment des tâches qu’il assume, il risque de remettre en cause les valeurs qui constituent les fondements même de sa profession.» Enfin, à toutes ces qualités, il convient d’ajouter le courage, dont Robert Badinter16 a souligné l’importance par ces lignes bien connues: «Le courage, pour un avocat, c’est l’essentiel, ce sans quoi le reste ne compte pas: talent, culture, connaissance du droit, tout est utile à l’avocat. Mais sans le courage, au moment décisif, il n’y a plus que des mots, des phrases, qui se suivent, qui brillent et qui meurent.»
Ce que les juges attendent des avocats
Le magistrat n’aura sans doute pas les mêmes attentes d’un avocat, selon qu’il s’agit d’un juge de première instance ou d’instances supérieures. Les attentes du juge pourront aussi différer selon les domaines du droit ou si la cause présente un caractère très technique. Compte tenu des traditions judiciaires différentes, il est aussi possible que le lieu de formation des avocats et des juges ait une influence sur le comportement des premiers et les attentes des seconds. Nous avons demandé à quelques juges romands de s’exprimer sur ce qu’ils attendent des avocats.
Katia Elkaim, présidente au Tribunal d’arrondissement de Lausanne (juge de 1re instance en matière civile et pénale): «Déjà, je pars de l’a priori que l’avocat connaît bien son dossier. J’attends surtout de lui qu’il défende son client et non qu’il me fasse plaisir. Parce que, quand il y a un justiciable qui n’est pas vraiment défendu, le juge peut être tenté de rééquilibrer les forces en présence. Cela crée un malaise, car ce n’est pas le rôle du juge de procéder à ce rééquilibrage. Comme l’avocat, le juge doit s’adapter à l’évolution du dossier, de l’audience, mais pour qu’il puisse bien le faire, il faut que l’avocat lui transmette les informations pertinentes, même par des non-dits, pour que le juge comprenne où se situe le point réel d’achoppement. Il peut y avoir une forme de collaboration entre les conseils et le juge, afin d’amener à la meilleure solution pour le justiciable, notamment en cas de transaction.»
Florence Krauskopf, juge à la Cour de justice de Genève: «Le métier d’avocat est difficile. Souvent, l’avocat fait ce qu’il peut avec ce que le client lui donne. Il peut également, avec son client, décider d’une stratégie procédurale, comportant le choix de renoncer à l’allégation de certains faits ou de limiter l’administration de preuves. Sous réserve des situations que je dois instruire d’office, je respecte ce choix, dont les motifs appartiennent aux parties, et sur lequel je n’ai pas de jugement à porter. Le procès judiciaire, notamment dans sa partie orale, comprend une part de mise en scène dans laquelle l’avocat joue son rôle. Partant, je ne me formalise pas lorsque qu’il plaide des arguments davantage destinés à être entendus de son client qu’à convaincre le juge. En revanche, dès que je sens de l’inconfort, en particulier quant au ton ou aux propos employés par l’avocat, j’interviens. J’attends ainsi de l’avocat qu’il ait un comportement respectueux et qu’il soit courtois, non seulement envers moi ou les autres juges, mais également envers mes greffiers ainsi qu’envers tous ses interlocuteurs. Je peux comprendre que chacun a son tempérament, mais il y a une limite à ne pas dépasser, celle que fixent les règles du savoir-vivre: le respect et la courtoisie sont les plus pertinentes devant les tribunaux. L’avocat doit pouvoir s’adapter au contexte et à celui à qui il s’adresse, y compris lorsqu’il interroge, par exemple, un témoin en audience. Quant au fond, j’attends de l’avocat qu’il comprenne la mécanique juridique et, surtout, que son argumentation fasse bien le lien entre le droit et l’état de fait du cas qu’il défend.»
Alex Dépraz, juge cantonal à la Cour de droit public et administratif du Tribunal cantonal vaudois: «J’attends de l’avocat que je puisse lui faire confiance. S’il me dit que le dossier est complet, qu’il ne me mente pas. S’il promet qu’il va déposer une pièce, qu’il le fasse. On doit pouvoir faire confiance à la parole de l’avocat. Il doit participer à la bonne administration de la justice. L’avocat doit faire le tri et mettre le doigt sur l’enjeu du procès. Il doit argumenter sur les vraies questions juridiques, pas disserter sur le sexe des anges. Il ne doit pas être juste le porte-parole de son client, mais aussi l’intermédiaire entre celui-ci et le juge, un médiateur au sens étymologique du terme. Le débat judiciaire ne doit pas être une opposition stérile entre les parties tranchée par le juge, mais une discussion juridique organisée grâce aux avocats.» y
* Ancienne chargée de cours en droit et éthique de la profession d’avocat à l’Université de Lausanne.
1Cf. Bohnet/Martenet, Droit de la profession d’avocat, Berne 2009, p. 3.
2Cf. par ex. la fiche sur le métier d’avocat sur http://etudiant.aujourdhui.fr.
3Le texte de cette Charte, adoptée par le Conseil des barreaux européens (CCBE), est disponible sur www.ccbe.eu, avec un commentaire (cf. éd. 2013, Bruxelles).
4Cf. en Suisse, les art. 12 et 13 LLCA et le Code suisse de déontologie édicté par la FSA. Pour la France, cf. p. ex. l’inventaire de Ader/Damien, Règles de la profession d’avocat, 14e éd., Paris 2013, chap. 30, p. 275 ss.
5Ibid., p. 278, ch. 30.25: «La probité consiste à respecter les devoirs imposés par la justice et l’honnêteté. C’est la probité intellectuelle qui est visée ici, c’est-à-dire une honnêteté scrupuleuse dans le comportement.»
6Cf. par ex. le Commentaire de la Charte précitée (www.ccbe.eu) p. 10: «Les honoraires demandés par un avocat doivent être entièrement expliqués au client, être justes et raisonnables, dans le respect des droits et des règles professionnelles auxquelles l’avocat est tenu.»
7Ader/Damien, p. 278, ch. 30.23.
8Cf. art. 2.2 du Code de déontologie des avocats européens (code CCBE disponible avec un mémorandum explicatif, sur www.ccbe.eu), qui précise que ces vertus traditionnelles d’honneur personnel, de probité et d’intégrité sont, pour l’avocat, des devoirs professionnels.
9Cf. par ex. le serment de l’avocat dans le canton de Vaud (art. 24 LPav, RSV 177.11), qui promet d’exercer «avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité et de respecter les obligations professionnelles prévues par la loi».
10Cf. Ader/Damien, p. 279, ch. 30.26.
11Patrick Henry: «L’avocat? Un porte-dignité», texte publié le 9.3.2009 sur www.lalibre.be, qui mentionne «ce double personnage qu’est l’avocat: technicien du droit et démêleur de faits, porte-vérité et porte-dignité».
12Cf. Commentaire de la Charte CCBE, p. 10, ad principe (e) et (i).
13Pour reprendre l’expression du serment genevois (cf. art. 27 LPav, RSG E 6 10), il n’incitera personne «par passion ou par intérêt, à entreprendre ou poursuivre un procès».
14Pour une description de la mission de l’avocat, cf. art. 1.1 du Code de déontologie CCBE.
15Bohnet/Martenet, p. 9.
16Badinder, L’exécution, Paris 1973, p. 56 de l’édition Le Livre de poche.