Les victimes s'appelaient Hämmerli, Gugerli, Muggli, Düggeli, Stehli ou Bünzli. Elles étaient le plus souvent des femmes mariées ou veuves, en partie déjà âgées. Mais aucun membre des familles bourgeoises de la ville de Zurich ne figure sur la liste des femmes et des hommes condamnés par le Petit Conseil de Zurich (exécutif) à mourir sur le bûcher. En revanche, les auteurs de ces crimes portent les noms de Werdmüller, Thomann, Landolt, Burckhart, Hirzel, Rahn, Waser, Müller, Schmid, Maag, Escher, Wolf, Walder ou Wyss, de vénérables familles zurichoises actives dans les corporations et membres des conseils.
Ces noms de victimes et de criminels sont tirés des procès-verbaux des procès rassemblés récemment dans un livre* par l'archiviste zurichois retraité Otto Sigg. Accusations, aveux et jugements de douzaines de procès de sorcières y sont consignés méticuleusement. «La sorcellerie, le blasphème et la sodomie étaient punis par le feu. En revanche, le meurtre n'était pas toujours réprimé par la peine de mort», constate Ott Sigg.
L'archiviste a rassemblé des informations sur 79 cas qui se sont conclus par l'exécution de l'accusé: 74 émanant du «Ratsgericht», quatre des «Landgericht» de Kyburg et de Wädenswil et un cas du Tribunal privé de Wüflingen. En comparaison, Winterthour avait aussi, dans la période en question, soit de 1487 à 1701, sa propre juridiction. Aucun procès de ce genre n'y a pourtant été recensé.
Boucs émissaires
Le dénuement matériel et la faim régnaient à l'époque dans le pays, mais aussi la suspicion et la jalousie. Ceux qui se faisaient remarquer par leur apparence, leur comportement, leurs idées et leurs paroles devaient s'attendre à faire l'objet de soupçons et d'attaques. Ils étaient les prétendus coupables lorsque le lait de la vache se tarissait, qu'un homme tombait malade, qu'on rencontrait un chat dans un endroit inhabituel, qu'une tempête faisait rage. Une plainte des voisins était suffisante dans bien des cas.
Les notables locaux annonçaient les soupçons et les incidents aux baillis, qui représentaient alors le régime. La compétence en matière de procédure revenait aux 48 conseillers municipaux zurichois, qui officiaient à 24, plus le maire, pour une durée de six mois. Les conseillers étaient placés sous la responsabilité du chef et d'autres membres de la corporation.
L'exécution exigeait un aveu de sorcellerie, un reniement de Dieu et une relation intime avec le diable. Les accusations qui en résultaient ne pouvaient être que grotesques. Par exemple: «Il enduit un bâton avec une crème fournie par le diable et chevauche celui-ci sur le Heuberg.» Ou: «Acte sexuel de l'esprit maléfique, qui s'appelle Beltzebock.»
Otto Sigg commente ainsi ces procédures: «Les notions de reniement de Dieu et de relations intimes avec les forces du mal sont fabriquées dans les esprits, les geôles et les salons des conseillers municipaux, mais se traduisent par des actes de torture pour les victimes.»
«Des aveux, mais pas la réalité»
Les condamnés étaient généralement brûlés vifs lors d'une fête populaire, puis, au cours du XVIIe siècle, la décapitation précédait le bûcher. C'est en 1701, à Wasterkingen qu'on recense les dernières personnes brûlées vives dans le canton de Zurich.
Deux membres du Conseil de Zurich étaient chargés d'enquêter sur les accusés. Concrètement, ils les interrogeaient sous la torture, souvent en présence d'un ecclésiastique. Les enquêteurs faisaient leur rapport jusqu'à quatre fois par semaine au Conseil délibérant. Ses membres consignaient en détail la manière, l'intensité et les suites de l'interrogatoire et de la torture. Le bourreau pratiquait la torture en présence des enquêteurs. La procédure servait la légitimation du jugement.
Les conseillers croyaient-ils aux aveux obtenus sous la torture? Otto Sigg en est convaincu: «Nonante-cinq pour cent d'entre eux pensaient que le supplice choisi permettait d'établir la vérité et que les déclarations faites sous la torture étaient fondées. Cela correspondait à l'esprit du temps.» Mais il ajoute: «Les aveux faits moyennant des auditions impitoyables et d'atroces supplices n'ont naturellement rien à voir avec la vérité.»
Hier et aujourd'hui
Trois cents ans plus tard, la civilisation n'a pas beaucoup évolué. Dans son récent film «Zero Dark Thirty» la réalisatrice américaine Kathryn Bigelow ne conteste certes pas le caractère cruel de la torture. Mais elle laisse croire implicitement que les déclarations des personnes torturées correspondent à la vérité. Et que les aveux arrachés par la violence ont récemment permis de combattre des terroristes avec succès.
Cette répression d'innocents par des instances censées représenter la justice, Otto Sigg la décrit comme un acte de «meurtre judiciaire». Il a écrit son livre «à la mémoire des victimes exécutées». Les Conseillers zurichois savaient ce qu'ils faisaient. Des personnalités avaient à l'époque pris position contre les procès de sorcières et la torture, comme le théologien Anton Praetorius (1560-1613) ou le jésuite Friedrich Spee von Langenfeld (1591-1635).
Ce débat public avait eu des suites. Au milieu du XVIIe s., estime Otto Sigg, quelques conseillers trouvaient qu'il était exagéré de maltraiter des êtres humains et de les faire brûler vifs au nom de Dieu. De nombreux membres du Conseil étaient absents à la séance où l'accusée Elisabetha Bünzli devait être condamnée, après avoir été torturée. Le bailli Werdmüller avait dû mobiliser des membres de l'ancien Conseil pour faire prononcer la sentence.
res/spr
*Otto Sigg, «Hexenprozesse mit Todesurteil», à commander à:
Zumsteg Druck AG, 5070 Frick
(www.zumsteg-druck.ch),
ISBN 978-3-39523685-8-9