1.Introduction
La pénalisation du séjour irrégulier donne lieu à une jurisprudence complexe, dont l’abondance reflète sans doute une contradiction majeure: il s’agit de punir des personnes pour leur statut, c’est-à-dire pour ce qu’elles sont au lieu de punir pour ce qu’elles ont fait.
C’est paradoxalement le droit européen issu du développement de l’acquis de Schengen, soit la Directive 2008/115/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 décembre 2008, plus connue sous l’abréviation «Directive retour (DR)» qui a permis de poser des limites aux politiques d’enfermement pénal de «sans-papiers».
On peut s’en étonner, car la Directive retour est avant tout un cadre imposant un régime commun de mesures coercitives pour organiser les renvois des ressortissants extracommunautaires1.
La présente contribution vise à faire le point sur la répression du séjour irrégulier des ressortissants extra-européens à la suite des récentes évolutions législatives et jurisprudentielles.
2. Du cadre administratif de la fin du séjour en Suisse
Le droit des migrations contient différentes mesures administratives pour éloigner les personnes qui ne disposent pas ou plus le droit d’être sur le territoire. Celles-ci figurent aux sections 3 à 5 du chapitre 10 – «fin de séjour» de la Loi fédérale du 16 décembre 2005 sur les étrangers et l’intégration (RS 142.20, LEI/LEtr jusqu’au 1.01.2018).
Ces dispositions ont été modifiées le 1er janvier 2011 afin de s’adapter à la reprise par la Suisse de la Directive retour en tant que acquis Schengen (RO 2010 5925).
En concluant l’accord du 26 octobre 2004 sur l’association à Schengen (RS 0.362.31, AAS), la Suisse s’est engagée à reprendre et à transposer de manière dynamique le droit européen dans certains domaines visés par l’accord2.
Le Tribunal fédéral doit, à ce titre, suivre la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), bien que cette dernière n’ait pas directement juridiction sur la Suisse3.
3. Les infractions réprimant le séjour irrégulier en droit suisse
3.1. Généralités
Le droit suisse érige le séjour irrégulier en infraction. D’un point de vue de droit pénal spécial, deux dispositions sont pertinentes:
L’art. 115 al. 1 let. b LEI qui incrimine le «séjour illégal».
L’art. 291 CP qui réprime la «rupture de ban».
D’un point de vue général, il est utile de rappeler au préalable deux principes.
En premier lieu, «la punissabilité du séjour irrégulier suppose que l’étranger ne se trouve pas dans l’impossibilité objective de quitter la Suisse et de rentrer légalement dans son pays d’origine», ce qui implique, entre autres, d’avoir des documents de voyage4. La jurisprudence indique cependant aussi que la personne en séjour irrégulier qui ne collabore d’aucune manière à l’établissement de ceux-ci, agit de manière coupable et ne peut faire valoir l’impossibilité objective de quitter la Suisse5.
En second lieu, la présence irrégulière sur le territoire a un caractère continu. A ce titre, la période pénale retenue par l’accusation doit être fixée avec précision afin de respecter l’interdiction de double poursuite6. La jurisprudence considère qu’une condamnation pour séjour irrégulier durant une période T1 opère une césure, de sorte que le fait de perpétuer la situation irrégulière après une première condamnation constitue un acte indépendant permettant une seconde condamnation à raison des faits non couverts par le premier jugement, soit sur une période T27.
Cependant, lorsqu’une personne condamnée pour un séjour irrégulier reste sur le territoire à l’issue de sa condamnation (période T1), la jurisprudence relève que la situation irrégulière qui doit faire l’objet du nouveau jugement pour la période T2 procède alors de la même intention que celle qui a présidé aux faits déjà jugés dans la condamnation pour la période T1. La somme des peines prononcées à raison du délit continu doit être adaptée à la culpabilité considérée dans son ensemble8. Cette dernière règle a une importance pratique considérable, car le juge de la période T2 est lié par les maximums légaux tant de l’infraction que par le genre de peine infligée et doit, à ce titre, décompter les unités pénales qui ont déjà été infligées par le juge de la période T19.
3.2. L’irrégularité simple ou le «séjour illégal» (art. 115 al. 1 let. b LEI)
L’art. 115 al. 1 let. b LEI punit d’une peine privative de liberté d’un an au plus ou d’une peine pécuniaire quiconque séjourne illégalement en Suisse, notamment après l’expiration de la durée du séjour non soumis à autorisation ou du séjour autorisé.
Un séjour en Suisse est légal si la présence de l’étranger est autorisée (par une décision administrative) ou si une prescription autorise sa présence en Suisse (découlant par exemple d’un droit de séjourner sans autorisation)10.
A contrario, l’absence de droit fonde l’illégalité du séjour, au sens de cette disposition.
3.3. L’irrégularité qualifiée ou la «rupture de ban» (art. 291 CP)
L’art. 291 CP, quant à lui, prévoit une peine privative de liberté de trois ans au plus ou d’une peine pécuniaire celui qui aura contrevenu à une décision d’expulsion du territoire. Elle réprime aussi bien la transgression d’une expulsion pénale (art. 66a et 66abis CP/art. 49a et 49abis CPM) qu’une expulsion de police (art. 68 LEI).
Cette infraction préexistait à l’adoption des dispositions d’application de l’initiative «Pour le renvoi des étrangers criminels» entrées en vigueur le 1er octobre 2016 et elle n’a pas été modifiée à cette occasion11.
L’infraction de rupture de ban est consommée non seulement lorsqu’une personne expulsée entre malgré tout en Suisse, mais également si la personne reste en Suisse après l’entrée en force d’une décision d’expulsion. Elle peut donc, à ce titre, «séjourner» de manière irrégulière en réalisant à la fois les éléments objectifs des infractions de séjour illégal et de rupture de ban. Dans ce cas de figure, l’infraction générale de séjour illégal est subsidiaire à celle de rupture de ban12.
4. Les principes découlant de la jurisprudence européenne
4.1. L’arrêt El-Dridi du 28 avril 2011 de la CJUE
Le 28 avril 2011, la CJUE a rendu une décision ayant eu l’effet d’un «coup de tonnerre»13.
Dans cette affaire italienne, la CJUE dit que la Directive retour doit être interprétée en ce sens «qu’elle s’oppose à une réglementation (...) qui prévoit l’infliction d’une peine d’emprisonnement à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier (…)».
A ce jour, la règle jurisprudentielle est la suivante: «[La directive retour] s’oppose à une réglementation d’un Etat membre réprimant le séjour irrégulier par des sanctions pénales, pour autant que celle-ci permet l’emprisonnement d’un ressortissant d’un pays tiers qui, tout en séjournant irrégulièrement sur le territoire dudit Etat membre et n’étant pas disposé à quitter ce territoire volontairement, n’a pas été soumis aux mesures coercitives (…) et n’a pas, en cas de placement en rétention en vue de la préparation et de la réalisation de son éloignement, vu expirer la durée maximale de cette rétention»14.
Par «rétention», la CJUE entend une mesure administrative, et non une mesure d’incarcération pénale15.
4.2. La réception de la jurisprudence européenne par le Tribunal fédéral
A la suite de l’arrêt El-Dridi, le Tribunal fédéral a rendu des décisions fluctuantes en matière de séjour illégal16. Il a fallu attendre le 15 mai 2017 pour que le Tribunal fédéral fixe sa jurisprudence17.
A l’issue d’une analyse détaillée, le Tribunal fédéral décrète, dans l’ATF 143 IV 249, que la Directive retour ne s’oppose pas au principe du prononcé d’une sanction pénale en cas de séjour illégal (art. 115 al. 1 let. b LEI)18.
La problématique de la conformité à la Directive retour est renvoyée au choix de la sanction: une peine privative de liberté ne peut pas être infligée lorsque la personne en séjour illégal fait l’objet d’une décision de renvoi et que les mesures nécessaires pour procéder à l’éloignement n’ont pas encore été mises en œuvre19.
Le Tribunal fédéral laisse cependant ouverte la question de savoir si le recours à toutes les «mesures nécessaires» implique d’épuiser le catalogue des mesures administratives de contraintes contenues dans la LEI. Dans l’affaire examinée, l’épuisement des «mesures nécessaires» font défaut, car les autorités administratives n’ont entrepris aucune démarche pour exécuter le renvoi notamment parce que la personne a disparu20.
Dans ce cas de figure, la personne se rend coupable de l’infraction de séjour illégal, mais seule une peine pécuniaire peut être infligée «pour autant qu’elle n’entrave pas la procédure de retour»21.
Dans un autre arrêt du même jour, le Tribunal fédéral décrète que, en cas de commission d’une infraction autre que le séjour illégal, la personne est soustraite du champ d’application de la Directive retour22. Cela signifie que les principes du droit européen n’ont tout simplement pas à être examinés.
4.3. La novelle du 1er juin 2019 modifiant l’art. 115 LEI
Le Parlement a modifié les alinéas 4 à 6 de l’art. 115 LEI avec effet au 1er juin 201923. Cette modification législative impose de renoncer à une poursuite pénale «lorsqu’une procédure de renvoi ou d’expulsion est pendante». En revanche, lorsque la procédure de renvoi ou d’expulsion est seulement «prévue», l’autorité a la possibilité – mais non l’obligation – de suspendre la poursuite pénale24. L’alinéa 5 indique que l’autorité doit renoncer à poursuive pénalement l’étranger, lorsque l’infliction d’une peine «fait obstacle à l’exécution immédiate d’un renvoi ou d’une expulsion». L’alinéa 6 restreint le champ d’application de ces dispositions lorsque le prévenu a, «par son comportement (…), empêché l’exécution du renvoi ou de l’expulsion».
Ce champ d’application restreint, en particulier par l’ajout de l’adverbe «immédiat» a été voulu dans le cadre d’un débat politique devant les Chambres fédérales qui a fait l’impasse sur les obligations de la Suisse en matière de conformité à la jurisprudence CJUE. Or, selon cette dernière, l’interdiction d’infliger une peine privative de liberté n’est pas soumise à «l’immédiateté» de l’exécution du renvoi ou du «comportement» de la personne qui refuse un départ volontaire.
Compte tenu de la prépondérance du droit international sur le droit interne, ces restrictions issues de la novelle du 1er juin 2019 ne modifient pas la règle jurisprudentielle tirée de l’ATF 143 IV 249.
Ainsi, si les conditions d’application des art. 115 al. 4 et 5 LEI ne sont pas remplies, la poursuite pénale doit être engagée, mais aucune peine privative de liberté ne peut être infligée ou exécutée, si les mesures nécessaires à l’exécution du renvoi n’ont pas été entreprises.
4.4. L’application des principes à l’infraction de rupture de ban (art. 291 CP)
Le Tribunal fédéral a été récemment saisi du cas d’un ressortissant algérien qui avait été condamné à l’expulsion facultative (art. 66abis CP) pour une affaire mineure de vol. La personne étant restée en Suisse à l’issue de sa peine, elle a été arrêtée et condamnée à trois reprises pour rupture de ban et a cumulé un total de vingt-quatre mois de prison pour cette seule infraction.
Le Tribunal fédéral casse la dernière condamnation cantonale par arrêt du 10 mars 2021, jugeant que la Directive retour s’applique également à l’infraction de rupture de ban25. La Haute cour suisse fonde son raisonnement sur une décision récente de la CJUE. Cette dernière s’est prononcée sur la conformité à la Directive retour d’une disposition de droit néerlandais réprimant le «séjour irrégulier qualifié»26. Le Tribunal fédéral constate la similitude entre cette disposition néerlandaise avec l’infraction de rupture de ban récemment examinée par la CJUE en conformité avec la Directive retour27. Dès lors, le Tribunal fédéral constate qu’une peine privative de liberté ne peut être infligée pour l’infraction de rupture de ban à la suite d’un séjour irrégulier avant que les mesures nécessaires en vue du renvoi aient été entreprises par les autorités.
Cet arrêt a une portée pratique importante dans le Canton de Genève où, en 2020, pas moins de 61 condamnations ont été prononcées au seul motif de rupture de ban28. Compte tenu des principes européens, les peines privatives de liberté prononcées ne peuvent plus être exécutées licitement.
Cette décision du Tribunal fédéral du 10 mars 2021 intervient alors que le Parlement a adopté peu avant, soit le 18 décembre 2020, une révision de la LEI indiquant que «la [Directive retour] ne s’applique pas à la décision et à l’exécution de l’expulsion au sens des art. 66a ou 66abis CP ou 49a ou 49abis CPM (…)»29. L’entrée en vigueur de cette disposition devrait avoir lieu à la fin de l’année 2021.
Cette disposition a été ajoutée au Parlement contre l’avis du Conseil fédéral lors d’un débat politique qui portait essentiellement sur le respect de la volonté populaire exprimée par l’adoption de l’initiative «Pour le renvoi des étrangers criminels»30.
Le Ministère public genevois s’est empressé de dire que l’entrée en vigueur de cette révision législative du 18 décembre 2020 rendra caduc l’arrêt du 10 mars 2021 du Tribunal fédéral31.
La situation n’est cependant pas aussi claire, car l’infraction de rupture de ban n’est ni une décision ni une mesure d’exécution de l’expulsion, visée par la révision législative.
En outre, la révision législative ne mentionne que l’expulsion pénale prononcée selon les art. 66a, 66abis CP/49a et 49abis CPM, alors même que la rupture de ban réprime également le fait de pénétrer ou de séjourner en Suisse nonobstant une décision d’expulsion prononcée en vertu de l’art. 68 LEI. Il ne serait pas admissible de créer une application de la même infraction de rupture de ban à géométrie variable, sans violer le principe de légalité des peines (art. 7 CEDH).
La confusion provient du fait que la rupture de ban réprime à la fois le fait de demeurer en Suisse que d’y entrer. Or, le texte constitutionnel adopté à l’issue de l’initiative populaire «Pour le renvoi des étrangers criminels» parle de sanction pénale uniquement lors d’une entrée en Suisse, malgré une expulsion (art. 121 al. 6 Cst.)32. Dès lors, ni la volonté des initiants ni celle du législateur – qui vise à concrétiser la première – ne peut être interprétée comme imposant l’emprisonnement du séjour en rupture de ban à l’issue de la condamnation comme le souhaite le Ministère public genevois.
A notre sens, la révision législative du 18 décembre 2020 ne devrait pas remettre en question la jurisprudence établie par l’arrêt du Tribunal fédéral du 10 mars 2021 relatif aux sanctions qui peuvent être infligées en cas de rupture de ban résultant du séjour, c’est-à-dire le cas d’un expulsé n’ayant pas quitté la Suisse à l’issue de son expulsion. En cas de nouvelle entrée, en revanche, la Directive retour ne trouve pas application. Le juge est alors libre de fixer le genre de peine qui lui semble approprié, conformément aux principes généraux, sans que ni l’acquis de Schengen ni le droit interne issu de l’initiative populaire «Pour le renvoi des étrangers criminels» soient violés.
Il convient de mentionner que si le présent avis ne devait pas être suivi par le Tribunal fédéral, l’entrée en vigueur de la révision législative du 18 décembre 2020 posera néanmoins des questions délicates d’application de la lex mitior.
5. Des questions ouvertes
Malgré des décisions récentes du Tribunal fédéral, la problématique de la pénalisation de séjour irrégulier et l’incarcération litigieuse de «sans-papiers» laissent plusieurs questions ouvertes. De manière non exhaustive, on peut mentionner les suivantes.
5.1. Quelles sont les «mesures nécessaires»?
On a vu qu’aucune peine privative de liberté ne peut être infligée si «les mesures nécessaires» pour procéder à l’éloignement n’ont été mises en œuvre. Le Tribunal fédéral a cependant laissé ouverte la question de savoir quelles étaient ces mesures et, en particulier si elles se référaient à l’ensemble des mesures de droit administratif d’exécution du renvoi prévues dans la LEI.
L’enjeu pratique est bien entendu d’éviter que les autorités administratives puissent se défausser de leurs tâches en arguant du caractère récalcitrant d’une personne en séjour irrégulier. Cela provoquerait un transfert de l’administratif au pénal contraire aux principes communautaires.
A la lecture des arrêts du Tribunal fédéral, le fait de disparaître et de ne pas collaborer à l’obtention de documents de voyage ne suffit pas à considérer que la procédure de retour a été menée à terme sans succès33.
On aurait espéré que le Tribunal fédéral se montre plus affirmatif, compte tenu de la clarté de la jurisprudence européenne sur ce point. En effet, l’arrêt El-Dridi indique clairement que les autorités doivent mettre en œuvre une «gradation» de mesures allant du départ volontaire à la «rétention» prévue aux art. 15 et 16 de la Directive34. Par rétention, la CJUE entend des mesures de contraintes administratives et non pénales35.
Dès lors, l’Etat devrait avoir épuisé toutes les mesures administratives prévues par la LEI avant d’envisager une privation de liberté pénale.
5.2. Quid de la soustraction du champ d’application de la DR en cas de concours d’infractions?
La position du Tribunal fédéral selon laquelle une personne est soustraite de la Directive retour en cas de concours entre le séjour irrégulier et une infraction ne ressortissant pas du droit pénal des étrangers au sens strict ne convainc pas36.
Le Tribunal fédéral justifie sa position en disant qu’il n’y a pas de jurisprudence européenne «précise» sur la question du concours d’infraction. Il conviendrait dès lors de «s’en tenir à la jurisprudence fédérale constante»37. Toutefois au titre de jurisprudence fédérale «constante», il se réfère à un arrêt relativement isolé et non publié du 29 août 2013, qui lui-même justifie sa position en invoquant uniquement ladite jurisprudence européenne «imprécise», soit l’arrêt Achughbabian38. En outre, le Tribunal décrète que cette solution est «approuvée par la doctrine», alors même qu’elle fait l’objet de critiques sévères39.
En effet, si l’on prend l’arrêt Achughbabian, on constate qu’il ne fait que mentionner l’existence de l’art. 2 par. 2 let. b de la Directive retour. Cette dernière disposition indique que les Etats membres peuvent décider de ne pas appliquer la directive aux ressortissants de pays tiers faisant l’objet d’une sanction pénale prévoyant ou ayant pour conséquence leur retour, conformément au droit national, ou faisant l’objet de procédures d’extradition.
Cette dernière disposition ne permet dès lors pas d’exclure l’application de la Directive retour en cas de commission de n’importe quelle infraction pénale40.
Si on comprend aisément qu’une personne en situation irrégulière puisse être condamnée pour la commission d’une autre infraction que celle réprimant le séjour irrégulier, les principes tirés du droit européen s’opposent, en revanche selon nous, à l’application de l’aggravant art. 49 CP, si la peine d’ensemble porte sur la privation de liberté.
En effet, en aggravant la durée de la peine privative de liberté, la mesure pénale fait alors obstacle à la procédure de refoulement efficace voulue par la Directive retour, ce qui constitue l’essence de la règle de la jurisprudence «El-Dridi».
5.3. Quid des peines privatives de liberté déjà infligées?
Il convient de rappeler que ce n’est pas seulement le fait de prononcer une peine privative de liberté qui est contraire aux principes de la Directive retour, mais c’est surtout son exécution. Cette dernière fait en effet obstacle à l’exécution administrative du renvoi qui doit avoir la priorité.
Dès lors, tout ordre d’exécution d’une peine privative de liberté infligée en violation des principes jurisprudentiels ne peut être exécuté, même s’il repose, par hypothèse, sur une condamnation entrée en force. A fortiori, les peines qui sont en cours d’exécution doivent être suspendues.
De même, toute conversion d’une peine pécuniaire en peine privative de liberté (art. 36 CP) apparaît illicite, si une procédure administrative de renvoi n’a pas été menée à terme, c’est-à-dire, selon nous, après un examen de l’opportunité de l’intégralité des mesures de coercition de droit administratif prévues par la LEI.
6. Conclusion
Cette brève analyse de l’état du droit met en évidence un débat tortueux autour de l’application de la Directive retour. En réalité, les principes tirés du droit communautaire européen sont bien connus de l’ordre juridique suisse: il s’agit des principes de proportionnalité, de finalité des peines et de subsidiarité du droit pénal41. Face au séjour irrégulier, les autorités doivent, en premier lieu, mettre en œuvre des mesures administratives pour rétablir une situation conforme au droit.
En se référant à ces principes de droit interne, le Tribunal fédéral pourrait asseoir une jurisprudence pragmatique sur des bases moins polémiques et complexes que la reprise dynamique du droit européen.
1 Henriot Patrick, Dépénalisation du séjour irrégulier des étrangers: l’opiniâtre résistance des autorités françaises, Revue des droits de l’homme 3 - 2013, N° 3.
2 ATF 143 IV 249, consid. 1.2.
3 ATF 143 IV 249,consid. 1.2: Le comité mixte instauré par l’AAS peut, en cas de différence substantielle d’application du droit entre les juridictions suisses et européennes, engager une procédure qui peut aboutir à la cessation de l’application de l’AAS.
4 ATF 143 IV 249, consid. 1.6.1.
5 ATF 143 IV 249.
6 Directive B.3 du Procureur général Canton de Genève du 19.9.2012, état du 22.1.2020, ch. 3.8.
7 ATF 135 IV 6 consid. 3.2.
8 ATF 145 IV 449, consid 1.1.
9 ATF op. cit, consid. 1.5.
10 Sauthier Gaëlle, Code annoté de droit des migrations – Volume II, Minh Son Nguyen, Cesla Amarelle, Ed., Stämpfli, Berne, 2017 n. 15.
11 RO 2016 2329.
12 TF 6B_1398/2020 du 10.3.2021, consid. 1.1.
13 CJUE, arrêt C-61/11, «El Dridi» du 28.4.2011; Henrio, Patrick op cit.
14 Dispositif de CJUE arrêt C-806/18 «JZ» du 17.9.2020.
15 Haguenau-Moizard Catherine, La pénalisation du séjour irrégulier en droit européen, français et suisse in: Schengen et Dublin en pratique, 2015, pp. 173.
16 Voir notamment ATF 143 IV 249 consid. 1.6.2; Sergueeva Anna, La criminalisation des sans-papiers entre le droit et la pratique, Bulletin d’information de la Ligue suisse des droits de l’homme – section Genève, automne 2017, https://lsdh.ch; Haguenau-Moizard op. cit., pp. 183.
17 ATF 143 IV 249; cf. également TF 6B_308/2016 du 15.7.2017.
18 ATF 143 IV 249, consid. 1.5.
19 ATF 143 IV 249, consid. 1.5.
20 ATF 143 IV 249, consid. 3.1.
21 TF 143 IV 249, consid. 1.9
22 ATF 143 IV 264, consid. 2.6. En outre, même le concours avec une infraction prévue par la LEI peut exclure l’application de la DR si celle-ci réprime un acte autre que la non-exécution du renvoi (en l’occurrence l’interdiction de périmètre ordonnée en vue de réduire
le risque de trafic de stupéfiants) (art. 74 cum 119 LEI).
23 RO 2019 1413; FF 2018 1673.
24 Art. 115 al. 4 LEI (nouvelle teneur depuis le 1.6.2019 RO 2019 1413).
25 TF 6B_1398/2020 du 10.3.2021 destiné à publication.
26 CJUE, arrêt C-806/18 «JZ» du 17.9.2020.
27 ibid.
28 Mussadak Mohamed, «Sortie de prison des «moutons noirs?», Le Courrier du 28.4.2021.
29 Art. 124a nLEI (FF 2020 9723).
30 Cf. délibérations aux Chambres fédérales relatives à l’objet 20.025 – Développement de l’acquis de Schengen. Système d’information Schengen. En particulier la proposition de minorité II de la Commission des affaires juridiques du Conseil national in: BO-CN 2020 N. 1621.
31 Mussadak Mohamed, op. cit., cf. déclaration du Procureur général du Canton de Genève.
32 RO 2011 1199; FF 2008 174.
33 Voir l’état de fait de l’ATF 143 IV 249.
34 CJUE, arrêt C-61/11, «El Dridi» du 28.4.2011, par. 41.
35 CJUE, arrêt C-806/18 «JZ» du 17.9.2020, par. 27 qui parle de l’expiration maximale de la durée de «rétention»; Haguenau-Moizard op. cit., pp. 173.
36 ATF 143 IV 264, consid. 2.6.
37 op. cit.
38 TF 6B_320/2013 du 29.8.2013; CJUE, arrêt C-329/11 «Achughbabian» du 6.12.2011
39 Voir Haguenau-Moizard op. cit., pp. 183.
40 Voir la critique de Haguenau-Moizard op. cit., pp. 183.
41 ATF 115 IV 207.