En 2010 déjà, Félix Gutzwiller, conseiller aux États, déposait une motion du même nom, laquelle s’intitulait «Moderniser le droit des successions». Cette motion proposait en particulier une modification des art. 462 CC (part successorale du conjoint survivant), 470 al. 1 CC (étendue de la quotité disponible) et 471 CC (réserve).
Cette modernisation a été examinée dans le rapport du Conseil fédéral du 25 mars 2015 intitulé Modernisation du droit de la famille.
S’agissant du droit successoral, ce rapport souligne que, «dans l’optique d’une réglementation moderne, le testateur devrait avoir plus de latitude pour disposer de ses biens. Il faut repenser le cercle des héritiers réservataires et le montant des parts réservataires, qu’il conviendrait de réduire».
Dans les grandes lignes, la révision est basée sur une augmentation de la liberté de disposer du testateur au moyen d’une réduction des réserves légales. Le de cujus bénéficiera ainsi de plus de liberté pour disposer de ses biens. En outre, il pourra favoriser davantage une personne de son choix par des dispositions pour cause de mort. On pense notamment aux personnes faisant ménage commun avec le défunt ou encore les enfants de celui-ci.
1. De la modification des réserves
À titre de rappel, les réserves héréditaires constituent le patrimoine dont le de cujus ne peut pas disposer librement. Les descendants, le père ou la mère et le conjoint ou le partenaire enregistré ont chacun une réserve légale (art. 471 CC).
Ces réserves héréditaires ont essentiellement pour but de garantir aux héritiers du défunt des ressources nécessaires. Aujourd’hui, le père et la mère ont ainsi une réserve de la moitié de leur droit de succession (art. 471 al. 1), les descendants des trois quarts de leur droit de succession (art. 471 al. 2 CC) et le conjoint survivant ou le partenaire enregistré de la moitié.
Plusieurs propositions ont été envisagées s’agissant de la modification des réserves. La suppression totale a même été étudiée. Après les diverses consultations, il est apparu que la réserve des parents était devenue obsolète et qu’il se justifiait de la supprimer afin de mieux refléter la société actuelle. Le Conseil fédéral a également considéré qu’une protection suffisante en matière de prévoyance existait.
Cette suppression est surtout importante si le de cujus souhaite laisser ses biens à son partenaire de vie.
La suppression totale des réserves a par contre été écartée.
Aujourd’hui, les personnes vivant en union libre sans enfant en commun ne peuvent pas disposer entièrement de leur patrimoine, sous peine de léser la réserve de leurs parents si ces derniers sont encore en vie. Dans la nouvelle proposition adoptée, la réserve des parents est supprimée, permettant ainsi au de cujus de disposer librement d’une plus grande partie de sa succession voire de toute sa succession s’il n’a pas d’enfant et n’est pas lié par un partenariat enregistré ou un mariage.
Le de cujus, non marié et sans enfant, ne devra pas oublier de prendre des dispositions testamentaires en faveur de son partenaire de vie afin d’éviter que, faute de dispositions prises, l’entier de la succession soit dévolu aux héritiers légaux.
Dans une même idée, le Conseil fédéral a proposé la réduction de la réserve des descendants de trois quarts à une demie. Il a été considéré que désormais les descendants héritaient alors qu’ils étaient finalement bien installés dans la vie et que l’héritage n’avait plus la même fonction qu’au moment de la rédaction initiale de cette disposition.
La réserve du conjoint survivant n’a quant à elle pas subi de modification malgré une proposition en ce sens du Conseil fédéral.
Dans la mesure où la réserve des parents a été supprimée et celle des descendants réduite, le nouvel article 471 nCC a pu être simplifié. Dans sa nouvelle teneur, il prévoira ainsi uniquement que la réserve est d’une demie.
2. Perte de la réserve pendant la procédure de divorce
Aujourd’hui, les époux en procédure de divorce restent héritiers réservataires l’un de l’autre durant toute la procédure, peu importe sa durée. Le fait que les ex-époux aient déjà formé une nouvelle cellule familiale ne change rien non plus.
À teneur de l’art. 120 al. 2 CC, les époux divorcés cessent d’être les héritiers légaux l’un de l’autre et perdent tous les avantages résultant de dispositions pour cause de mort faites avant la litispendance de la procédure de divorce.
Dans la pratique, il ne reste dès lors que l’exhérédation pour éviter la conservation, par le conjoint survivant, de sa qualité d’héritier réservataire et pour éviter les cas où un conjoint prolongerait la procédure de divorce ou en dissolution dans l’attente du décès de son époux, afin d’hériter. L’exhérédation étant soumise à des conditions très strictes, les conjoints en procédure de divorce n’ont pas d’autres choix que de prendre des dispositions pour cause de mort en réduisant l’autre à sa réserve légale.
Le législateur a souhaité modifier cette situation en introduisant l’art. 472 nCC. À teneur de l’art. 472 nCC, le conjoint perdra sa réserve si une procédure de divorce est pendante au moment du décès pour autant que cette procédure ait été introduite sur requête commune ou qu’elle ait été introduite sur demande unilatérale et que les conjoints aient accepté le principe du divorce ou aient vécu séparés depuis au moins deux ans.
La disposition s’appliquera par analogie à la dissolution du partenariat enregistré.
Même si le conjoint ou le partenaire enregistré perd sa qualité d’héritier réservataire, il demeure néanmoins héritier légal. Ainsi, la prise de dispositions testamentaires reste tout de même nécessaire afin de garantir que le conjoint ne percevra rien même avec son statut d’héritier légal.
3. Modification de l’art. 473 CC
L’article 473 CC a déjà été modifié à trois reprises sans pour autant emporter satisfaction, puisque le Conseil fédéral en propose une nouvelle modification. Aujourd’hui, l’art. 473 CC prévoit que le de cujus peut laisser au conjoint survivant toute la part dévolue aux enfants communs par le biais d’un usufruit. Outre cet usufruit, la quotité disponible est d’un quart de la succession.
Avec la modification qui entrera en vigueur, le testateur bénéficiera de la même liberté de disposer, qu’il fasse usage ou non de la possibilité octroyée par l’art. 473 CC. Cela permettra ainsi de favoriser de manière plus étendue le conjoint survivant.
La nouvelle quotité disponible correspond dès lors à la quotité disponible ordinaire en présence d’un conjoint ou d’un partenaire enregistré en concours avec des descendants communs.
Cette révision aura pour effet d’avoir une quotité disponible identique en cas d’application de l’art. 530 CC ou de l’art. 473 CC. En présence d’enfant commun et d’enfant non commun, la quotité disponible sera la même pour chacune des deux masses. Elle s’élèvera à la moitié de la succession, en application de l’art. 473 CC vis-à-vis des enfants communs, et en application des art. 484 et 530 CC vis-à-vis des enfants non communs.
4. Attribution d’une part supplémentaire du bénéfice réalisé pendant l’union conjugale (art. 216 CC)
Aujourd’hui, les époux ont la possibilité d’attribuer à leur conjoint l’entier du bénéfice de l’union conjugale et ce sous la forme d’un contrat de mariage. Cela a pour conséquence que seuls les biens propres du défunt rentreront dans sa succession.
La doctrine est très divisée sur la question de savoir si le fait d’attribuer une part supplémentaire du bénéfice au conjoint survivant constituait une libéralité entre vifs ou à cause de mort.
Dans un arrêt du 15 février 2011, le Tribunal fédéral avait laissé ouverte la question de la qualification juridique des conventions prévoyant une répartition du bénéfice autre que celle prévue par la loi tout en estimant que, dans le cas d’espèce, la forme du contrat de mariage était suffisante.
La nouvelle réforme tranche de manière définitive cette question en considérant que «l’attribution de l’entier du bénéfice au conjoint ou partenaire enregistré survivant doit être qualifiée de libéralité entre vifs». La qualification de disposition pour cause de mort serait revenue à restreindre la liberté de disposer en matière d’attribution du bénéfice réalisé pendant l’union conjugale.
L’article 216 nCC a subi quelques modifications lors de son passage aux Chambres. Le Conseil national proposait de ne réunir à la masse de calcul des réserves que la part dépassant la moitié du bénéfice du conjoint décédé si elle favorisait le conjoint survivant ou le partenaire enregistré.
Le Conseil des États n’a pas suivi le Conseil national sur cette question et considéré qu’il était préférable que les réserves continuent d’être calculées sur deux masses de calcul différentes.
L’art. 216 al. 2 et 3 nCC prévoit en outre qu’une telle convention ne peut porter atteinte à la réserve des enfants non communs et de leurs descendants.
5. Précision de l’ordre des réductions
Sous sa forme actuelle, l’art. 532 CC ne prévoit pas d’ordre de réduction des libéralités entre vifs autre que la règle prévoyant leur réduction en remontant de la plus récente à la plus ancienne.
La possibilité de réduction des acquisitions ab intestat n’est aujourd’hui pas inscrite dans la loi, ce qui pourrait avoir comme conséquence, en application stricte de la loi, de devoir réduire les attributions testamentaires faites par le défunt même lorsque celle-ci n’excède pas la quotité disponible.
Afin de combler ces lacunes, le Conseil fédéral a prévu expressément la réductibilité des acquisitions ab intestat aux art. 522 et 523 nCC. Cette introduction a pour conséquence de préciser l’ordre des réductions.
À teneur de l’art. 532 nCC, la réduction portera en premier lieu sur les acquisitions ab intestat puis sur les libéralités pour cause de mort, et finalement sur les libéralités entre vifs (art. 532 al. 1 nCC). Cela permettra ainsi de privilégier la volonté du défunt exprimée dans une disposition pour cause de mort.
Les Chambres fédérales ont adopté l’art. 532 nCC sans modification.
6. La créance d’assistance abandonnée lors du débat aux Chambres fédérales
Le Conseil fédéral, dans son message, avait souhaité introduire une créance d’assistance pour les concubins survivants qui n’étaient pas en mesure de couvrir leur minimum vital.
Cette créance aurait eu à peu près les mêmes effets qu’une contribution d’entretien et aurait été calculée selon les mêmes critères.
Elle a finalement été abandonnée devant les Chambres, certains trouvant qu’il s’agissait d’un concept encore inabouti. Le Conseil fédéral considérait par ailleurs lui-même que cela ne concernerait qu’un nombre restreint de personnes et que les cas d’application risquaient d’être limités.
L’adoption de cette disposition aurait permis d’éviter que le concubin survivant ait recours à l’aide publique et donc que les montants servant à son entretien soient pris sur la substance de la succession.
7. Traitement des avoirs de prévoyance individuelle liée (pilier 3a)
La question de savoir si les prétentions découlant du droit de la prévoyance individuelle liée (pilier 3a) entrent dans la succession ou non est toujours controversée sous le droit en vigueur.
En droit civil, il est opéré une distinction entre le contrat de prévoyance liée conclu avec les établissements d’assurance et la convention de prévoyance liée conclue avec les fondations bancaires.
Une partie de la doctrine considère qu’il faut distinguer la prévoyance obligatoire (premier et deuxième piliers) de la prévoyance volontaire. La doctrine estime que s’il s’agit de prévoyance volontaire (troisième pilier) en vue d’améliorer la situation de certains survivants, ces derniers doivent être pris en considération dans la mesure fixée par les art. 476 et 529 CC.
À noter que la prévoyance liée sous forme d’épargne bancaire privilégiée fiscalement au titre du troisième pilier A ne pose pas le même problème, car les prétentions contre la banque entrent dans la succession (pas de droit propre des bénéficiaires).
En pratique, les bénéficiaires disposent d’un droit direct et peuvent donc se les faire verser. Cela étant, ce droit direct amène son lot de problèmes et d’insécurité. En effet, une fondation de prévoyance qui verserait, par exemple au concubin du de cujus, les avoirs accumulés sans s’être assuré de l’accord des héritiers prend le risque que ce versement soit contesté par ces derniers.
En cas de contestation, l’institution pourrait être ainsi amenée à devoir verser le montant une seconde fois. Le Tribunal fédéral s’est prononcé sur ce point en maintenant l’incertitude, puisqu’il a considéré que cela pouvait être important pour le calcul de la réserve et faire l’objet d’une réduction sans pour autant se déterminer définitivement, car, dans le cas d’espèce, il s’agissait d’une concubine qui n’aurait pas pu agir par l’action en réduction.
Dans le cadre de la modification prévue, les avoirs de prévoyance du pilier 3a continueront d’être exclus de la masse successorale, et cela vaut pour les deux formes reconnues de prévoyance individuelle liée. Afin de sauvegarder les droits des survivants sur ces avoirs, ce point doit être explicitement réglé dans la loi.
Le projet de révision propose de modifier l’art. 82 al. 4 nLPP en inscrivant un droit direct des bénéficiaires à la créance découlant du pilier 3a. Les institutions de prévoyance n’auront plus à craindre de verser les avoirs de prévoyance directement au bénéficiaire sans avoir obtenu préalablement l’accord des héritiers.
Pour terminer, il est prévu que les prétentions du pilier 3a soient réunies à la masse de calcul des réserves conformément à la modification des art. 476 et 529 nCC. La valeur prise en compte sera la valeur de rachat calculée au moment de la mort (art. 476 al. 3 nCC).
Cela signifie que les héritiers réservataires, lésés dans leur réserve, pourront agir en réduction contre les bénéficiaires du pilier 3a pour la partie manquante.
8. Droit transitoire
L’introduction et la modification des dispositions précitées ne modifient pas les dispositions de droit transitoire en matière successorale.
Le droit transitoire, en matière successorale, est régi par deux dispositions spéciales du titre final du code civil (art. 15 et 16 du titre final du CC). Le critère déterminant est le moment du décès du de cujus, plus précisément la date de l’ouverture de la succession.
Le Conseil fédéral considère qu’au vu de l’augmentation de la liberté de disposer, il paraît peu probable que des dispositions pour cause de mort adoptées avant l’entrée en vigueur du nouveau droit s’avèrent incompatibles avec les nouvelles règles. En effet, une disposition pour cause de mort qui respectait les réserves de l’ancien droit respectera d’autant plus les réserves prévues par le nouveau droit.
Cela étant, il paraît certain que des questions d’interprétation pourront se poser notamment lorsqu’un de cujus aura précisé dans ses dispositions testamentaires la fraction de la réduction. La part réservataire des enfants diminuant, on pourra se poser la question de savoir si le défunt qui a précisé la fraction aurait aussi souhaité réduire à sa réserve son descendant si sa réserve n’est plus que d’une demie.
Dans ce cas-là, il faudra rechercher la véritable volonté du défunt, laquelle sera guidée par les principes d’interprétation. Est-ce que le défunt souhaitait donner le strict minimum à son descendant ou tenait-il réellement à ces trois quarts?
Des questions intéressantes se poseront dans les années à venir. Les praticiens devront attirer l’attention de leurs clients en les invitant à modifier au besoin leurs dispositions pour cause de mort si ces dernières ne semblent pas assez précises eu égard de la modification des réserves.
Il sera également judicieux d’attirer l’attention des bénéficiaires de pilier 3a de voir le montant qu’ils ont perçu réduit si la réserve des héritiers réservataires est lésée.
La perte du statut d’héritier durant la procédure de divorce ou en dissolution du partenariat enregistré va certainement permettre de débloquer certaines situations. La perte du statut répond in fine aux mêmes conditions d’introduction d’une requête en divorce à la différence que la modification de l’art. 472 nCC ne prévoit rien pour les requêtes de divorce déposées en application de l’art. 115 CC: Dans ces cas-là, les époux sont séparés depuis une période inférieure à deux ans, et la requête en divorce est en principe unilatérale.
Ces modifications des dispositions successorales du code civil seront également accompagnées par une réforme de la transmission des entreprises. Le projet en consultation prévoit notamment la possibilité pour un héritier de requérir du juge qu’il lui attribue entièrement l’entreprise familiale. ❙
1 Avant-projet et rapport explicatif du Conseil fédéral relatifs à une modification du code civil (droit des successions), mis en consultation le 4 mars 2016.
2 Rapport du Conseil fédéral du mois de mars 2015 p. 16.
3 Message du Conseil fédéral concernant la révision du code civil suisse p. 5865.
4 Margareta Baddeley, De la motion Gutzwiller à l’Avant-projet du Conseil fédéral du 4 mars 2016: aperçu sommaire de la proposition de réforme, in:FamPra.ch 2016, p. 571.
5 Paul-Henri Steinauer, Première approche de la révision du droit des successions, in: Journée de droit successoral 2019, N° 4, p. 207.
6 Denis Piotet, Rapport adressé à l’Office fédéral de la justice sur la révision du Livre Troisième du code civil suisse, Des successions ensuite de l’adoption par les Chambres fédérales de la motion Gutzwiller 10.3524, p. 36.
7 Denis Piotet, op. cit., p. 67.
8 Antoine Eigenmann, Les grandes lignes de la révision. Nouvelles réserves, conditions de l’action en réduction, cas particuliers et droit transitoire, in: Journée de droit successoral 2022, N° 52.
9 Ibidem N° 52.
10 Ibidem N° 53.
11 Message concernant la révision du Code civil suisse (droit des successions) p. 5896 et les références citées.
12 ATF 137 III 113 c. 4.3, arrêt du Tribunal fédéral 5A_662/2010 du 15 février 2011.
13 Message concernant la révision du code civil suisse (droit des successions) p. 5897.
14 Antoine Eigenmann, op. cit., N° 39.
15 Ibidem.
16 Ibidem.
17 Message du Conseil fédéral p. 5903.
18 Paul-Henri Steinauer, Le droit des successions, N° 132.
19 Paul-Henri Steinauer, Le droit des successions, N° 132, cf. note de bas de page.
20 Paul-Henri Steinauer, Le droit des successions, N° 132.
21 Arrêt du Tribunal fédéral 9C_523/2013 c. 4.1 du 28 janvier 2014.
22 Message du Conseil fédéral p. 5903.
23 Antoine Eigenmann, op. cit., N° 66.
24 Ibidem N° 66
25 Paul-Henri Steinauer, Première approche de la révision du droit des successions, in: Journée de droit successoral 2019, N° 4, p. 207.
26 Message du Conseil fédéral p. 5917.
27 Message du Conseil fédéral p. 5918.
28 Antoine Eigenmann, op. cit., N° 71.