Les prix de l'immobilier explosent en Suisse, particulièrement autour du Léman. On connaît bien sûr l'histoire emblématique de cette villa au bord du lac à Anières, qui a changé de mains en 2005 pour 19 millions de francs. Le notaire qui a instrumenté l'acte de vente a empoché 28 200 fr. pour ce service. Une somme conséquente, surtout si l'on considère que l'acte n'a exigé que quelques heures de travail.
L'affaire n'en est pas restée là, puisque Dinara Kulibayeva, la fille du président du Kazakhstan, qui a acheté la propriété quatre ans plus tard, a permis au notaire de gagner alors bien le double. La cause est à chercher dans le boom de l'immobilier - et le fait que certains clients ne regardent guère à la dépense. Le prix de vente atteignant cette fois 74,7 millions de fr., le règlement genevois sur les émoluments des notaires (RemNot, RS/GE E 6 05.03) et le calculateur automatique de la Chambre des notaires de Genève (www.notaires-geneve-cng.ch/fr/ca lc) indiquent que l'émolument du notaire s'est élevé dans ce cas à 56'300 francs.
Mais, ailleurs également, les notaires peuvent se féliciter de la hausse des prix de l'immobilier. En effet, dans les onze cantons connaissant le système romand1, où les notaires indépendants exercent sous l'autorisation de l'Etat (alors que les cantons alémaniques tels que Zurich connaissent un notariat assuré par un fonctionnaire cantonal salarié par l'Etat2, d'autres cantons autorisant un système mixte où les deux formes précitées sont appliquées3), le mécanisme est comparable. Le recours à un notaire indépendant est nécessaire pour faire une vente d'immeuble en la forme authentique, selon l'art. 216 I CO. Pour assumer ce monopole, les notaires se voient accorder un brevet cantonal, en échange de quoi ils pourront encaisser à titre d'officiers publics les émoluments et débours fixés par le Conseil d'Etat.
Mais, même dans les cantons qui connaissent le notariat assuré par un fonctionnaire, comme Zurich ou Schaffhouse, les tarifs dépendent de la valeur du bien. Dans ces cantons, les notaires sont rétribués régulièrement comme employés de l'Etat, et les montants encaissés tombent dans les caisses publiques. Il en va de même dans les autres cantons connaissant le système mixte. Les affaires touchant au Registre foncier y sont en général réservées à l'officier public, alors que le notaire privé est compétent s'agissant des affaires de successions ou d'authentification relevant du droit des sociétés.
Index à la hausse
Dans les cantons connaissant le système latin, aussi longtemps que le prix des maisons a augmenté en restant dans le cadre du coût de la vie, le tarif dépendant de la valeur du bien conduisait seulement à compenser le renchérissement. Mais, depuis quelques années, le marché de l'immobilier s'est emballé plus rapidement que la hausse du coût de la vie. L'index du prix des transactions édité par Wüest & Partner, un cabinet suisse de conseils immobiliers, montre que le prix des appartements en copropriété a crû de 45% depuis 2006, alors que celui des villas augmentait de 28%. La base de calcul de cet index est le prix de vente effectif de quelque 20?000 biens-fonds annuellement, sur le marché libre.
Cet index est représentatif, assure Robert Weinert de Wüest & Partner, «puisqu'il prend en compte près de 50% du marché». Le boom de l'immobilier est surtout sensible sur les rives du Léman, où l'on a connu des augmentations de prix sensiblement plus hautes que la moyenne. Un tel tableau se retrouve dans l'agglomération zurichoise, en Haute-Engadine, dans l'Oberland bernois et dans les situations prisées du canton du Tessin.
La hausse générale des prix a été, dans le même temps, de 4% seulement. «Si l'approche en pour-cent n'est pas adaptée à la baisse, les tarifs des notaires prennent l'ascenseur, constate le surveillant des prix, Stefan Meierhans, sans que quoi que ce soit ait changé en temps investi.» Monsieur Prix exige donc que les tarifs excessifs soient enfin réduits.
Le cas genevois
La base du tarif des notaires dans le canton de Genève n'a pas changé depuis 1996, bien que le prix des biens-fonds ait véritablement explosé. Comme le tarif est conçu de manière à être dégressif, la hausse des prix de l'immobilier ne se répercute pas dans la même ampleur sur le tarif des notaires. Prenons un exemple: selon l'évaluation de Wüest & Partner, les appartements en copropriété ont augmenté en moyenne, depuis 2006, de 106%. Un appartement acheté à cette époque
750 000 fr. atteint aujourd'hui le prix de 1,5 million. Le tarif du notaire pour l'authentification de l'acte de vente passe dans le même temps de 4175 à 6950 francs, soit 66% de plus. Quant aux villas, pour lesquelles la hausse des prix grimpe de 58%, l'effet produit est le même, quoique dans une plus faible mesure.
Il faut relever que la base tarifaire des notaires genevois est sensiblement plus haute que partout ailleurs. Ce canton caracole en tête de la comparaison intercantonale effectuée par Plaidoyer (voir le tableau en page 14). Pour les premiers 200 000 fr. du prix de vente, un émolument de 7‰ est exigible, puis de 200 001 à 400 000 fr., de 6‰, et de 400 001 à 800?000 fr., de 4,5‰. Le tarif se réduit ensuite au fil de huit autres échelons pour atteindre 0,5‰ pour la part qui dépasse 20 millions de fr. Si l'achat est financé par une banque, il faut encore y ajouter une base de 5‰ pour les premiers 200?000 fr., montant qui diminue ensuite lentement à la faveur de quatre échelons supplémentaires.
Pourquoi les notaires genevois sont-ils si chers? Valérie Marti, présidente de la Chambre des notaires de Genève, n'a pas répondu aux questions posées par plaidoyer. Quant à l'Association des notaires vaudois, elle conteste, sur son site, les constats de Monsieur Prix, soulignant notamment que «les notaires vaudois assument de très nombreuses tâches administratives en amont et en aval de l'instrumentation d'un acte», travail que les notaires fonctionnarisés n'effectuent pas. En effet, les clients de ces derniers notaires doivent préalablement passer auprès d'un avocat, d'une fiduciaire ou d'un conseil fiscal, dont les honoraires ne sont pas pris en compte dans l'étude de Monsieur Prix. En résumé, ce dernier ne «compare pas des situations comparables»4.
Le notariat est devenu, quoi qu'il en soit, lucratif dans le canton de Vaud. Certes, les bases tarifaires prévues par le Tarif des honoraires dus aux notaires pour des opérations ministérielles (TNo, RS/VD 178.11.2) du 11 décembre 1996 sont un peu inférieures aux genevoises. Mais, comme ces tarifs n'ont pas été modifiés à la suite du boom immobilier, de beaux potentiels de croissance se sont ensuivis. En tant que notaire, vous éviterez cependant de pratiquer dans l'arrière-pays et vous vous installerez au bord du lac, à proximité des titulaires de grosses fortunes, tels Ernesto Bertarelli, Michael Schumacher ou Phil Collins. En ce lieu, le marché immobilier connaît un crescendo semblable à celui qui se produit chez le voisin genevois. L'index du prix des transactions, qui comprend également les communes à taux de croissance plus faible du nord du canton, le démontre clairement: plus 70% pour le prix des appartements en copropriété, et plus 49% pour les villas.
Comme tant le RemNot que le TNo ne connaissent de limites supérieures du tarif, les prix actuels de l'immobilier sur l'Arc lémanique sont une aubaine pour les notaires. Au contraire, à Gstaad (BE) ou à Saint-Moritz (GR), le tarif maximal de 30 825, respectivement 30 000 fr. pose rapidement des limites. Dans les Grisons, où les notaires sont en concurrence directe avec les services du cadastre qui sont tenus d'appliquer les mêmes barèmes, les bases de calcul sont de toute façon plus modestes.
Lobby des notaires
Les associations cantonales de notaires se défendent avec vigueur contre toute tentative d'abaisser leurs tarifs. L'exemple du canton de Berne est frappant à cet égard. En septembre 2011, le Parlement a discuté de bases tarifaires qui supprimaient les barèmes minimaux prescrits, cela afin d'introduire plus de concurrence dans le système, respectivement de modifier entièrement le calcul des montants prévus. Au lieu d'indemniser le notaire en fonction du prix de la transaction, il serait dédommagé selon le temps investi, préconisait le parlementaire Patric Bhend (PS). Car, en fonction de la nature de l'affaire, un notaire peut gagner aujourd'hui jusqu'à 1955 fr. par heure, constate-t-il. Le gouvernement lui rétorqua que la dernière modification du tarif, le 1er juillet 2006, avait permis de réduire les émoluments des notaires de bien 15%. Le canton de Berne se situerait, en comparaison avec d'autres cantons connaissant le notariat indépendant, au milieu de l'échelle tarifaire.
La manière dont le tarif horaire a été calculé par le député s'est heurté à de vives critiques au Parlement. Vingt-trois études de notaires choisies sur 50 - si possible celles qui connaissaient une hausse de revenus - s'étaient refusées à participer à ce relevé. En outre, l'Association des notaires bernois a exercé une influence certaine sur l'évaluation, dès lors qu'il lui était possible de «participer très activement» à la méthodologie de l'enquête et à la mise à net du rapport final. Bien qu'on soupçonne que le rapport ait été amélioré en coulisses, le Grand Conseil bernois a refusé la modification du tarif.
Au Tessin, on n'en est pas encore là. La loi sur le notariat est en révision, le gouvernement sollicite une légère réduction des tarifs. Un objet mis en vente à 750?000 fr. connaîtrait ainsi, après révision, une réduction de 11%. Mais il est bien possible que le Parlement modifie encore ce montant. Le tarif en vigueur aujourd'hui date de 1983 et est encore élevé. Il y a tout de même un assouplissement depuis novembre 2002. Auparavant, il n'était pas possible aux quelque 400 notaires tessinois (tout comme dans les autres cantons) de facturer un tarif inférieur. Depuis lors, les rabais sont autorisés.
«Difficile de comparer»
«En pratique, de tels rabais sont bel et bien accordés», commente l'avocat et notaire Alfio Mazzola, président de l'Ordine dei Notai del Cantone Ticino. Lorsqu'il s'agit de prix de vente dépassant un demi-million, on accorde une réduction; au-dessous cela serait difficile, car le notaire travaillerait à perte. Alfio Mazzola relativise le haut niveau des tarifs: «Il est difficile de comparer les différents systèmes en vigueur dans les cantons. Au Tessin, d'habitude, le notaire en fait beaucoup pour les parties en présence.»
Un autre canton touristique a déjà prévu un léger réaménagement tarifaire: il s'agit du Valais où, grâce aux bastions de Crans-Montana, Verbier ou Zermatt le prix des bien-fonds a augmenté davantage que la moyenne depuis 2006 (plus de 55% pour les appartements en copropriété et plus de 39% pour les maisons). La révision est intervenue en 2009 et, depuis lors, seule l'authentification de contrats hypothécaires est devenue plus avantageuse. Les tarifs en matière de vente d'immeubles sont restés inchangés.
L'avocat et notaire German Mathier, président de l'Association des notaires valaisans, n'envisage nullement une baisse des tarifs: «La moitié des propriétés que nous traitons ont une valeur qui n'excède pas 100?000 fr., un résultat qu'explique le traditionnel droit successoral valaisan.» Dans un tel cas, le montant demandé couvre tout juste le temps consacré à l'affaire. L'explosion du prix des biens-fonds serait en outre une «situation absolument exceptionnelle». L'acceptation par le peuple de l'initiative sur les résidences secondaires permettrait maintenant de corriger la situation.
Par ailleurs, le Gouvernement neuchâtelois a révisé la loi sur le notariat à la suite de l'enquête de la Surveillance des prix. Le nouvel arrêté fixant le tarif des émoluments des notaires du 13 juin 2012, entré en vigueur le 1er juillet dernier, réduit les émoluments pour les ventes par rapport au projet initial (environ 13,5% au lieu de 12%). De plus, il renonce aux honoraires tarifés.
L'exception: Bâle-Campagne
L'exception est le canton de Bâle-Campagne, où les notaires calculent leurs tarifs de manière cohérente en fonction du temps investi. Pour Monsieur Prix, ces montants calculés à l'heure sont «une solution juste», comme mentionné voici deux ans dans une interview.
Seul petit désavantage: le client ne sait pas exactement à l'avance ce que l'acte va lui coûter.
1 Soit Genève, Vaud, Fribourg, Valais, Neuchâtel, Jura, Berne, Tessin, Bâle-Ville, Argovie et Uri.
2 Soit Zurich, Schaffhouse, Thurgovie et Appenzell Rhodes-Extérieures.
3 Soit Soleure, Bâle-Campagne, Lucerne, Obwald, Nidwald, Zoug, Schwyz, Appenzell, Rhodes-Intérieures Saint-Gall et les Grisons (réf: http://www.schweizernotare.ch/index.cfm?oid=1222&lang=fr).
4 Lire la critique faite à l'étude de Monsieur Prix sur la page de l'Association des notaires vaudois à l'adresse www.notaires.ch/associations/vaud/combien/tarifs/138.html.