Le droit du bail est un domaine éminemment formaliste. La moindre inattention ou imprécision est ainsi susceptible d’entraîner de lourdes conséquences pour l’une ou l’autre partie. Cela est particulièrement vrai en matière de fixation du loyer initial. Dans certains cas, le risque qu’un locataire se pré-vale d’une telle erreur peut en effet subsister pendant de nombreuses années suivant la conclusion du bail, voire même après la fin de celui-ci.
Dans ce contexte, la délimitation du délai de prescription applicable dans le cadre d’une requête en fixation judiciaire du loyer doublée d’une action en restitution du trop-perçu est une question délicate que la Cour de justice de Genève a été amenée à trancher dans un arrêt du 3 septembre 2018.
1. Fixation du loyer initial
Le loyer initial se définit comme le loyer convenu dans le cadre d’une nouvelle location, c’est-à-dire un bail conclu entre des parties qui ne sont pas encore liées pour l’objet locatif en question1.
L’art. 270 al. 2 CO prévoit qu’en cas de pénurie de logements, les cantons peuvent rendre obligatoire l’usage d’une formule officielle pour la conclusion de tout nouveau bail d’habitation, que l’objet locatif ait ou non été loué précédemment. La réglementation vise tous les types de logements, à l’exclusion des appartements de vacances loués pour trois mois ou moins, des appartements et maisons familiales de luxe de six pièces ou plus ainsi que des locaux d’habitation construits avec l’aide des pouvoirs publics et dont le loyer est soumis au contrôle administratif. Dans les cantons ayant fait usage de cette faculté, cette formule doit être remise au locataire soit à la conclusion du bail, soit au plus tard lors de la remise de la chose louée. La validité du loyer initial prévu dans le bail en dépend. A ce jour, seuls les cantons de Genève, Fribourg, Neuchâtel, Vaud, Nidwald, Zoug et Zurich ont ins-tauré une telle obligation.
Cette formule doit contenir les informations exigées par l’art. 19 al. 1 OBLF, en particulier le montant du précédent loyer, l’ancien état des charges, le montant du nouveau loyer et le nouvel état des charges, les motifs de la hausse du loyer et les conditions auxquelles le loyer initial peut être contesté.
Pour être valable à la forme, la formule officielle doit comporter la signature manuscrite de chacune des parties: une reproduction mécanique de l’une ou l’autre signature est insuffisante. La jurisprudence admet toutefois des exceptions à ce principe, dans des cas très spécifiques.
L’absence d’indication du loyer antérieur constitue un vice dirimant de la communication, même si le locataire a connaissance du loyer versé par son prédécesseur. En conséquence, lorsque la formule n’indique pas le loyer précédent ou les motifs de hausse par rapport à celui-ci, le loyer fixé est nul. Un tel vice n’affecte toutefois pas la validité du contrat de bail dans son en-semble. En effet, seule la fixation du montant du loyer initial est nulle. Le locataire peut alors demander la fixation judiciaire de son loyer. Une action de ce type peut s’avérer extrêmement préjudiciable pour le bailleur, puisque, si le juge constate la nullité du loyer convenu, il lui appartient de le fixer de manière équitable et avec effet rétroactif, sur la base des critères légaux, notamment ceux du rendement admissible selon l’art. 269 CO, des loyers pratiqués dans le quartier et du loyer payé par le précédent locataire. En pratique, il n’est pas rare que le nouveau loyer fixé judiciairement s’avère largement inférieur au loyer convenu.
On relèvera encore que, lorsque le bailleur entend profiter de la conclusion d’un nouveau bail pour modifier le loyer ou le régime de perception des frais accessoires, la formule doit comporter une motivation précise de la raison de ce changement, sous peine de nullité du loyer initial2.
2. Prescription de l’action en restitution du trop-perçu
A teneur de l’art. 67 al. 1 CO, l’action pour cause d’enrichissement illégitime se prescrit par un an à compter du jour où la partie lésée a eu connaissance de son droit de répétition et, dans tous les cas, par dix ans dès la naissance de ce droit.
Selon la jurisprudence, en matière de bail à loyer, le délai de prescription de la créance en restitution du trop-perçu court dès que le locataire a une connaissance effective de sa prétention, c’est-à-dire lorsqu’il sait que l’absence de notification de la formule officielle ou que le défaut d’indication du loyer précédent ou des motifs de hausse entraîne la nullité du loyer, que le loyer versé est trop élevé, et donc qu’il est abusif3. Est déterminant le moment de la connaissance effective du vice par le locataire et non celui où il aurait pu ou dû connaître son droit en faisant preuve de l’attention commandée par les circonstances.
En 2017, le Tribunal fédéral a jugé que, puisque le législateur n’a pas prévu de règles limitant l’invocation du vice de forme dans le temps, seules les règles de la prescription de l’action en enrichissement illégitime peuvent constituer une limite à l’intérêt du locataire à agir en fixation judiciaire du loyer4. Il n’a toutefois pas eu l’occasion de préciser quel était le point de départ du délai de prescription attaché à cette action.
3. Arrêt de la Cour de Justice du 3.9.2018
C’est justement la question du délai de prescription de l’action en restitution du trop-perçu, respectivement de son point de départ, qui a dû être tranchée par la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice de Genève dans son arrêt du 3 septembre 2018 (ACJC/1170/2018).
Dans le cas d’espèce, les parties étaient liées par un contrat de bail à loyer portant sur la location d’un appartement de 4 pièces, dont le loyer brut mensuel avait été fixé à 4000 francs. Le bail avait pris effet le 15 avril 2005. La formule officielle n’avait pas été remise à la locataire.
En avril 2016, la locataire a informé les bailleurs de cette irrégularité et du fait qu’elle estimait que le loyer initial était nul et devrait être fixé à 1700 francs par mois. Un montant de 303 600 francs devait en conséquence lui être restitué au titre de trop-payé pour la période du 15 avril 2005 au 15 avril 2016.
Face au refus des bailleurs, elle a ouvert action en fixation judiciaire du loyer et en restitution du trop-perçu le 22 avril 2016. Les bailleurs ont conclu au rejet de la demande, en faisant valoir que la prétention en répétition de l’indu était prescrite et qu’elle commettait un abus de droit en tentant de se prévaloir de l’art. 270 al. 2 CO, alors qu’elle avait régulièrement payé le loyer sans la moindre contestation pendant onze ans.
Par jugement du 20 juin 2017, le Tribunal des baux et loyers a débouté la locataire de toutes ses conclusions, considérant que l’action en enrichissement illégitime était prescrite, puisqu’elle avait été introduite plus de dix ans après la conclusion du bail et que, par conséquent, la locataire ne pouvait plus non plus faire valoir d’intérêt à la fixation judiciaire du loyer initial.
La locataire a formé appel contre ce jugement auprès de la Chambre des baux et loyers de la Cour de justice. Celle-ci a tout d’abord confirmé l’approche du Tribunal des baux en retenant que, lorsque dans une même ac-tion, le locataire prend à la fois des conclusions en fixation du loyer initial et en répétition de l’indu, on se trouve en présence d’un cumul d’actions visant, d’une part, à faire constater par le juge que le loyer payé jusque-là est nul et à obtenir la fixation d’un nouveau montant et, d’autre part, à obtenir la restitution des montants de loyer payés en trop sur la base des règles de l’enrichissement illégitime. Or, les règles en matière de prescription appli-cables à l’une et à l’autre action sont radicalement différentes, puisque la loi ne prévoit aucun délai de prescription s’agissant de l’action en contestation du loyer initial, contrairement à ce que prévoit l’art. 67 al. 1 CO pour l’action en répétition de l’indu. Dès lors, il se posait la question du point de départ du délai de prescription applicable à cette seconde.
A cette occasion, la Cour cantonale a pu constater que la doctrine n’est pas unanime. En effet, pour Fetter, la naissance du droit à la restitution correspond au moment d’exigibilité de la créance5. D’après lui, lorsque le loyer ini-tial est nul en raison d’un vice de forme dans la notification de la formule officielle, l’exigibilité coïncide avec le paiement du loyer, c’est-à-dire la fin de chaque mois, puisque celui-ci ne découle pas d’une cause valable. A l’inverse, selon Lachat, le locataire peut se plaindre en tout temps d’une informalité dans la notification de la formule officielle et exciper de compensation ou réclamer de son bailleur le trop-perçu de loyer, dans l’année qui suit le jour où il a connu son droit à la restitution, mais au plus tard dix ans après la conclusion du bail6. Enfin, Carron estime que tant que dure le bail, le locataire dispose toujours d’un intérêt à invoquer le vice de forme ne serait-ce que pour la fixation des loyers futurs7. Selon lui, le locataire a toujours intérêt à agir en justice en fixation du loyer initial, même si son action en restitution du trop-perçu est déjà prescrite. Toutefois, cette dernière approche est contraire à la jurisprudence constante du Tribunal fédéral8.
Dans son arrêt, la Cour de Justice a rappelé que la prétention en répétition de l’indu est une prétention unique et non une succession de prétentions périodiques. Elle a en particulier considéré que l’approche préconisée par Fetter ne tient pas compte du fait que la restitution des loyers payés en trop se fait en principe en une seule fois lorsque la nullité de la cause des prestations fournies est constatée. Forte de ce constat, la Cour cantonale a estimé qu’il y avait lieu d’appliquer le délai de prescription de dix ans de l’art. 67 al. 1 CO à l’ensemble de la prétention en enrichissement illégitime. Par conséquent, dans le cas d’espèce, l’action en restitution du trop-perçu était prescrite, puisque introduite plus de dix ans après la conclusion du bail. Dans ces circonstances et suivant l’avis émis par le TF dans son ATF 140 III 583 pré-cité, la Cour a également conclu que la locataire n’avait plus d’intérêt à agir en fixation judiciaire du loyer, puisque le premier volet de son action était déjà prescrit.
Aucun recours n’a été formé par-devant le TF à l’encontre de cet arrêt, de sorte qu’il est devenu définitif.
4. Conclusion
On retiendra de l’arrêt genevois analysé ci-dessus qu’en l’absence de règle limitant l’invocation du vice de forme dans le temps, c’est sur la base de l’art. 67 al. 1 CO que l’on doit déterminer si la demande est prescrite, la prescription de l’action en enrichissement illégitime posant une limite à l’intérêt du locataire à agir en justice pour obtenir la fixation judiciaire de son loyer. En retenant qu’est déterminant sous l’angle de la prescription le début du contrat de bail et non pas le paiement de chaque loyer, la Cour a permis de clarifier la question de savoir quand intervient la naissance du droit à la restitution.
Ce raisonnement tend à assurer une justice équilibrée. Le locataire étant réputé être la partie faible au contrat, il est légitime qu’il puisse, le cas échéant, récupérer le montant du loyer payé en trop au bailleur, même s’il prend connaissance de son droit plusieurs années après la conclusion du bail. Toutefois, la sécurité du droit impose de fixer une limite temporelle. A notre sens, l’approche consistant à retenir un délai maximal de dix ans, prenant naissance au commencement de la relation contractuelle, a le mérite d’assurer une certaine tranquillité d’esprit aux bailleurs, tout en laissant aux locataires suffisamment de temps pour faire valoir leurs droits.
Il se pose néanmoins la question de savoir si la Cour cantonale aurait pu parvenir à la même conclusion si la locataire s’était bornée à requérir la fixation judiciaire du loyer initial pour le futur, sans conclure simultanément à la restitution du trop-perçu. En effet, dans un tel cas, il apparaît douteux qu’un simple parallèle puisse être fait avec les règles de prescription relatives à cette dernière action, laquelle ne trouverait justement pas application en l’espèce.
1Sébastien Fetter, La contestation du loyer initial – Etude de l’art. 270 CO, Ed. Stämpfli Berne, 2005, p. 127, no 276.
2TF 4A_571/2017 du 10.7.2018, c. 4.1.1.2 et TF 4C_330/2002 du 31.1.2003, c. 3.1.
3TF 4A_517/2014 du 2.2.2015, c. 4.
4ATF 140 III 583.
5Fetter. Contestation du loyer initial, p. 267, no 582.
6David Lachat, Le bail à loyer, Ed.
De l’ASLOCA romande, 2008, p. 398.
7TF 4A_517/2014 du 2.2.2015.
8TF 4A_254/2016 du 10.7.2017,
c. 3.1.3.1; 4A_517/2018 du 2.2.2015.