On le sait, l'unification de la procédure n'a pas porté atteinte à la liberté des cantons d'organiser leurs tribunaux comme bon leur semble. Ils ont certes supprimé les jurys populaires, pour se conformer au droit fédéral (à l'exception du Tessin, sa population ayant refusé cette suppression). Mais ils n'ont pas renoncé, pour la plupart, à faire appel à des juges laïcs en première instance. La situation est différente en deuxième instance, avec une majorité de cantons renonçant à employer des juges sans formation de juriste. Ces grandes tendances se retrouvent au niveau de la Suisse romande: les tribunaux cantonaux n'emploient pas de juges non juristes à Fribourg, à Neuchâtel, au Jura et en Valais. Vaud les sollicite en deuxième instance pour leurs compétences dans un domaine particulier: ce sont des assesseurs à la Cour de droit administratif et public (architectes, ingénieurs, géomètres, experts fiscaux, etc.) ou à la Cour des assurances sociales (par exemple médecins et actuaires). A Genève, le recours à des assesseurs laïcs est plus large que dans les autres cantons romands: on les trouve, par exemple, avec une casquette de spécialistes à la Chambre des assurances sociales, mais aussi comme assesseurs à la Chambre pénale d'appel et de révision. A la Chambre genevoise des prud'hommes (deuxième instance), le rôle des juges laïcs est différent, puisqu'ils représentent, pour les uns, les employeurs et, pour les autres, les employés. Le principe de la composition paritaire se retrouve à la Chambre des baux et loyers, avec des représentants des locataires et des représentants des propriétaires.
En première instance, la présence des juges laïcs reste forte dans tous les cantons romands, ou presque. L'unification des procédures a peu modifié leur présence et leur rôle. Toutefois, depuis la disparition du Tribunal des prud'hommes en 2011 à Neuchâtel, ce canton n'emploie plus de juges laïcs en dehors des chambres de conciliation en matière de travail et de bail. Dans le Jura, la disparition du Tribunal correctionnel a également emporté les deux assesseurs laïcs qui accompagnaient le président.
Aux prud'hommes
Toujours en première instance, ce sont clairement les Tribunaux des prud'hommes qui occupent le plus de juges laïcs en Suisse romande (à l'exception de Neuchâtel, comme on l'a vu, et du Valais, qui ne connaissent pas cette institution). Leur rôle consiste bien entendu à représenter paritairement les employés et les employeurs, au côté d'un président juriste. A Genève toutefois, celui-ci n'est pas forcément juriste, la loi imposant qu'il soit «titulaire d'un brevet d'avocat ou d'une formation spécifique», mais le greffier est juriste.
Au Tribunal des baux (pour les cantons qui le connaissent), les assesseurs laïcs entrent également dans une composition paritaire (locataires-bailleurs) au côté d'un président. «Comme en matière prud'homale, ils créent un lien entre la justice et la cité et confèrent une plus grande légitimité à la justice», note le pouvoir judiciaire genevois. Pour les autres domaines du droit civil, ils interviennent souvent en raison de leurs compétences particulières, surtout concernant les affaires à caractère pécuniaire (comptables, architectes, médecins). Des spécialistes sont parfois aussi requis en matière pénale, tout particulièrement au Tribunal des mineurs: éducateurs, psychologues et médecins sont indispensables pour ce genre d'affaires.
Mais pour les affaires tant civiles que pénales de première instance, certains juges laïcs occupent un «simple» rôle de représentants de la société. «Ils offrent un regard venant du citoyen, afin que la population se sente mieux représentée dans l'administration de la justice et que celle-ci ne soit pas que l'affaire des juristes», note Dominique Creux, juge au Tribunal cantonal vaudois. Qui précise que ces personnes opèrent dans le cadre d'un collège et ne mènent pas de procédures, mais se réfèrent, au contraire, au président de Cour dès qu'un problème juridique se pose. Réflexions similaires à Genève, où le pouvoir judiciaire note que, en matière pénale, «les assesseurs ont pour fonction de donner une plus grande légitimité à la justice dans les affaires graves: ils perpétuent symboliquement le rôle du jury de l'ancien droit».
Des laïcs comme juges uniques à Zurich
Le mémoire «aurait pu avoir la même substance en étant trois fois plus court, ce qui aurait permis au recourant d'économiser son précieux papier». Ou encore, il contient «certaines conclusions devant lesquelles on ne peut que hocher la tête». Ces propos sont tirés d'une délibération signée par un juge laïc zurichois et son greffier, au sujet d'un recours au Tribunal cantonal zurichois. Ils ont valu un blâme au greffier, auquel la commission administrative reproche d'avoir mal conseillé le juge laïc. Quant au magistrat, il a présenté ses excuses pour ses termes désagréables, qu'il avait apparemment signés sans avoir bien compris la portée du document.
Il faut dire que, dans le canton de Zurich, des juges laïcs de première instance peuvent être amenés à fonctionner comme juge unique. Des greffiers critiquent ce système, dans lequel ils rédigent les jugements sans pouvoir compter sur le soutien des juges laïcs récemment nommés. Ce manque de formation juridique se fait particulièrement sentir depuis l'introduction de la procédure unifiée, qui prévoit une compétence accrue pour le magistrat unique.
Mais, dans la plupart des cantons, les laïcs fonctionnent dans le cadre d'un collège. «Avec l'accroissement des activités du juge unique, la diminution du nombre de laïcs est une réalité depuis longtemps», constate Niklaus Oberholzer, président du Tribunal cantonal de Saint-Gall.
Si on s'en réfère aux textes légaux, de nombreux cantons alémaniques, à l'image de Zurich, n'exigent pas de formation juridique pour leurs juges, pas même pour les présidents de tribunaux. Mais, dans les faits, ces postes sont la plupart du temps occupés par des juristes. vb/spr
Trouvez la statistique sur les juges laïcs dans le PDF ajouté.