Trun, petit village dans les Grisons. Une façade peu commune porte le même message depuis plus de cent ans: «Seul celui qui lutte pour la justice et la vérité sert la victoire et les lauriers.» Signé du politicien, médecin et écrivain Jacob Michael Nay, ce dicton résonne encore dans la famille. Plus particulièrement chez l’ancien juge fédéral, Giusep Nay, qui en a fait le fondement de son engagement en faveur de l’Etat de droit, des faibles et, actuellement, du dénonciateur Adam Quadroni.
Adam Quadroni est connu pour avoir dénoncé le cartel de la construction qui sévit dans les Grisons. Il a très vite trouvé le soutien de Giusep Nay: «Je l’accompagne personnellement, coordonne les demandes des médias et l’aide à engager de nouveaux avocats.» Une véritable chance pour le «whistleblower». L’affaire est en effet si complexe qu’aucun représentant légal ne veut en assumer seul la responsabilité. Or, si Giusep Nay est doté d’une compétence, c’est bien celle de comprendre et de vulgariser le langage juridique.
La retenue de côté
Rares sont les juges fédéraux qui s’immiscent ainsi dans les débats politiques. La plupart respectent plutôt ce que le penseur et juriste Montesquieu prônait, à savoir qu’un juge ne devrait pas être plus que «la bouche qui prononce les paroles de la loi». Une vision que Giusep Nay ne partage absolument pas. Selon lui, si l’Etat de droit est attaqué, tout juge fédéral, qu’il soit en fonction ou non, doit «le défendre sans condition». Autrement dit, politiciens et magistrats devraient mettre leur retenue de côté et «prendre position publiquement».
Menaces de mort
Lui-même n’hésite en tout cas jamais à «se mouiller». Il n’a, par exemple, pas laissé passer une seule initiative de l’UDC sans la torpiller. Des minarets à l’autodétermination, en passant par l’immigration de masse, Giusep Nay les a toutes estampillées d’atteintes aux droits fondamentaux et aux droits de l’homme. En 2010, il est revenu à l’assaut et ne s’est pas gêné de qualifier l’initiative de l’UDC sur le renvoi comme un «échec démocratique». Un parler franc qui lui a valu des menaces de mort. Peu importe. Du haut de ses deux mètres, l’homme reste inébranlable: «Je suivrai toujours ma route.» Et de poursuivre: «La légitimité de notre droit découle de la démocratie. Mais la démocratie n’est légitime que si elle aussi se fonde sur le droit.»
Démystifier la légende
Giusep Nay reconnaît que le droit d’initiative constitue «l’une des bases essentielles de notre démocratie directe». Mais il estime qu’il est temps de démystifier la légende selon laquelle le peuple a toujours raison. Sinon, en quoi une démocratie qui permet de créer des lois arbitraires et discriminatoires se distinguerait-elle encore d’une dictature?
En face, c’est toujours le même argument qui revient: les populistes de droite connaissent un succès grandissant qui force le respect. Une théorie qui ne convainc pas l’ancien juge fédéral: «On ne voit pas que ce sont des idées dangereuses et en aucun cas admirables. En réalité, les populistes ne placent le peuple au-dessus de la loi que pour renforcer leur pouvoir.»
Le droit au lieu de la prêtrise
Né en 1942 à Trun (GR), Giusep Nay est le onzième de douze enfants. Il aurait dû être prêtre. A la place, il a décidé d’étudier le droit à Fribourg, puis de faire un doctorat à Zurich sur le thème de «la procédure pénale applicable aux mineurs, selon le droit des Grisons». Il a ensuite entamé sa carrière, en tant qu’avocat à Coire et juge à temps partiel au sein du Tribunal de district de Plessur. Plus tard, il est devenu juge cantonal, puis juge suppléant extraordinaire au Tribunal fédéral. Après avoir été nommé par le Parti populaire chrétien démocrate, en 1988, il a été élu à la Cour suprême. Poste qu’il a gardé jusqu’en 2006. Il a également été président de la Cour suprême fédérale en 2005 et en 2006.
Officiellement à la retraite, Giusep Nay n’en continue pas moins de s’exprimer sur les thèmes juridiques actuels. Il ne se lasse pas d’écrire des avis de droit. Et, lorsque le directeur artistique Giovanni Netzer lui a demandé conseil pour monter son théâtre musical «Origen Festival Cultural» au col du Julier, Giusep Nay n’a pas hésité. Il s’est impliqué et lui a rapidement fourni «l’infrastructure juridique». On ne compte pas non plus le nombre d’institutions caritatives et de fondations auxquelles il continue de donner de précieux conseils juridiques.
Une crise cardiaque l’a tout de même forcé à ralentir il y a quelques années. Depuis, il veille à passer plus de temps avec sa famille, notamment ses sept petits-enfants. Aussi, Giusep Nay se réjouit de l’hiver. Il se targue d’avoir «appris à skier à tout le monde, du plus vieux au plus jeune». Pas étonnant: la piste démarre devant la porte de sa maison, plantée au milieu du domaine skiable où il lui arrive de rencontrer son voisin, Roger Federer.