La plaidoirie ne fait plus partie de l'examen du brevet dans bon nombre de cantons, qui se contentent de récolter des documents attestant que le candidat a eu l'occasion de la pratiquer au tribunal. Et, pour peu qu'ils aient suivi leur formation au sein d'une étude peu active dans le domaine judiciaire, les avocats entrent dans le métier avec une expérience restreinte de l'expression orale. En parallèle, l'évolution de l'organisation judiciaire laisse moins de place à l'art oratoire, puisqu'il n'y a plus de jurys populaires à convaincre.
Les juges laïques apprécient certes qu'on leur rappelle les bases légales des affaires qui leur sont soumises, mais, là aussi, les tribunaux ont tendance à les remplacer par des professionnels. Et les juges professionnels, quant à eux, n'attendent pas forcément qu'on leur ressasse le b. a.-ba du code ni qu'on les assomme de détails dans le cadre des plaidoiries. Alors, comment les convaincre? Nous avons posé la question à quatre d'entre eux, officiant en matière civile et/ou pénale, en première instance ou au Tribunal cantonal.
Un moment important
En première instance, les trois juges soulignent que les plaidoiries ne sont pas qu'une simple formalité. «Quand j'étais avocate, je me demandais parfois si les juges y accordaient de l'importance, se souvient Katia Elkaim, présidente au Tribunal d'arrondissement de Lausanne. Et, maintenant, je peux répondre par l'affirmative!» Au Tribunal régional des Montagnes et du Val-de-Ruz (NE), la juge d'instance Muriel Barrelet ajoute: «Je me réjouis du moment de la plaidoirie. C'est le point d'orgue d'une procédure.» Une étape dont la portée est réduite en deuxième instance, remarque Dominique Creux, juge au Tribunal cantonal vaudois, puisque le magistrat se concentre davantage sur le dossier écrit (et même exclusivement en matière civile). «En procédure d'appel, les avocats ont parfois le sentiment de plaider pour rien. Mais c'est le Code de procédure qui le veut, en exigeant que l'appelant présente tous ses moyens de preuve par écrit. Il faut d'ailleurs éviter de développer à l'audience un moyen non présenté par écrit: cela fait mauvaise impression.»
Concision, construction
Inutile d'en mettre «plein la vue» aux magistrats avec une foule de détails déjà présentés dans les écrits. Inutile et même contre-productif. Pour Muriel Barrelet, les maîtres-mots sont «clarté» et «concision», surtout au civil, où les allégations des parties figurent dans le dossier en main du magistrat. Autre terme clé, celui de «construction», à savoir la nécessité de respecter un certain ordre: introduction, résumé des faits, discussion des preuves, examen du droit et synthèse. Tout cela en suivant un fil conducteur, nécessaire pour retenir l'attention du juge. «Il faut nous prendre par la main et nous raconter une histoire, étape par étape, puis présenter les éléments de droit, commente Katia Elkaim. Mais contrairement aux apparences, la plaidoirie n'est pas un monologue. C'est un dialogue, dans lequel j'aimerais être considérée comme un interlocuteur. Ma réponse, c'est lors du jugement que je la donnerai.»
David Robert, juge au Tribunal civil à Genève (1re instance) estime même «qu'il ne faut pas surestimer la capacité d'attention du juge. L'avocat doit se concentrer sur ce qui pose problème, le nœud de l'argumentation. S'il est noyé dans les détails, le juge n'aura plus l'attention requise au moment voulu, lorsque les éléments décisifs seront présentés.» Quant à Dominique Creux, il déconseille «d'enrober des arguments en réalité mal maîtrisés, car, si le juge peut se laisser embobiner sur le moment, il finit souvent par s'en apercevoir avant de rendre sa décision. Mais il est vrai que les avocats manquent parfois de temps pour préparer leurs dossiers, je le comprends très bien.»
Le style
Le style de l'avocat ne laisse pas les juges indifférents. Ils apprécient une plaidoirie menée avec aisance, par un orateur qui a une attitude communicative, sans être rivé à ses notes. Mais l'emphase et les effets de manche ne sont pas nécessaires. «Une belle envolée est à même de plaire, mais attention à ne pas trop s'enflammer! prévient Dominique Creux. Cela peut indisposer la Cour.» Aux yeux de David Robert, «tous les styles sont possibles, pour autant que l'avocat reste fidèle à sa personnalité. Tout le monde n'est pas flamboyant. On peut avoir une attitude sobre et se montrer néanmoins efficace.» Muriel Barrelet apprécie également la sincérité du plaideur: «Il doit éviter de jouer un rôle. L'époque des grands ténors du barreau est un peu passée. Une voix qui porte peu est aussi susceptible de créer une atmosphère particulière et de capter l'attention de l'auditoire.» Et l'humour? Il peut faire son effet, mais il ne faut pas l'utiliser au détriment du client, observe la Neuchâteloise.
Savoir s'adapter
Une plaidoirie se prépare, mais il faudra s'en écarter si la situation l'exige. «Par exemple, si un témoin dit le contraire de ce que l'avocat voulait soutenir, celui-ci ne pourra l'ignorer au moment de prendre la parole», note Muriel Barrelet. L'attitude du juge, qui montre par exemple des signes d'impatience lors d'une intervention trop longue, devra également être prise en compte.
Au civil, au pénal
Dans le domaine civil, le juge est en principe en possession de tous les éléments du dossier avant le début de la plaidoirie, qui vient en quelque sorte clore un processus. L'intervention orale de l'avocat prend, par conséquent, un tour plutôt technique, pour démontrer, par exemple, que les conditions de la responsabilité civile sont remplies. «Dans ce contexte, le pathos n'a pas tellement sa place, note Katia Elkaim. Il est plus important de présenter les arguments juridiques déterminants que de mettre en relief la situation de souffrance du client.»
A Genève, David Robert est prêt à «interrompre l'avocat qui répète ce qui figure de manière évidente dans le dossier» pour lui demander d'aller à l'essentiel.
Dans une procédure pénale, la qualification juridique de l'infraction prête souvent moins à discussion et, en tant qu'avocat, c'est «surtout les faits qu'il faut plaider, conseille Katia Elkaim. C'est ainsi, par exemple, qu'on instaurera le doute sur la culpabilité ou le degré de participation du prévenu.» L'aspect humain est également plus important qu'au civil, en application du principe de l'individualisation de la peine. C'est là qu'il est opportun d'apporter un éclairage sur la personnalité du prévenu ou sur les souffrances d'une victime.
Plaider pour son client?
Une belle plaidoirie, c'est aussi montrer à son client qu'on le prend au sérieux et qu'on fait le maximum pour lui. C'est ce que semble penser certains avocats, constate Dominique Creux au Tribunal cantonal, une instance où les joutes oratoires n'ont pourtant guère leur place (lire plus haut). Il appartient alors à l'avocat d'expliquer à son mandant les avantages d'une courte plaidoirie. Et, en première instance, surtout en matière civile, «l'avocat devrait informer son client de la nécessité d'aller à l'essentiel en audience», conseille David Robert.
Les écrits
Pour le dossier écrit également, les consignes sont «clarté», «structure» et «concision». En deuxième instance, «il se justifie parfois d'aller dans les détails, mais ce n'est pas toujours plus convaincant», note Dominique Creux. En première instance, il est particulièrement important que les écrits soient complets au civil, puisque, contrairement au pénal, ils ne pourront pas être parachevés pendant l'audience. Et le fil conducteur? «Cela nous facilite la tâche si les mémoires sont bien construits, mais au final, ce n'est pas la forme qui est décisive», nuance Katia Elkaim.
Au TMC
La situation est particulière au Tribunal des mesures de contrainte (TMC), où «les plaidoiries devraient être brèves», remarque Christian Roten, doyen du TMC à Sion: «Chez nous, les avocats se trompent parfois en plaidant déjà le fond et en invoquant le principe «in dubio pro reo, qui ne s'applique pourtant pas en détention provisoire. C'est inutile, car nous devons nous contenter d'examiner si les conditions d'une mise en détention préventive sont remplies ou non.» C'est donc sur l'existence de sérieux soupçons de commission d'un crime ou d'un délit et sur les risques de récidive, de fuite et de collusion que se concentrera l'intervention orale de l'avocat. Et, au moment d'une demande de libération adressée au TMC, la plaidoirie poursuit les mêmes objectifs. (spr)