Dès le 1er janvier 2011, tout prévenu aura le droit d'être assisté d'un avocat, dès le premier interrogatoire de police. L'art. 158 I lit. c CPP impose désormais à celle-ci et, le cas échéant, au Ministère public, d'informer le prévenu dès le premier interrogatoire «qu'il a le droit de faire appel à un défenseur ou de demander un défenseur d'office». Il s'agit d'un contrepoids à la concentration des pouvoirs d'enquête dans les mains du Ministère public. L'art. 159 I CPP précise que le prévenu a droit à la présence d'un défenseur à ses côtés lors de toute audition devant la police, qu'il fasse ou non l'objet d'une détention provisoire. Quant à l'art. 159 II CPP, il donne la possibilité au défenseur de communiquer librement avec le prévenu, règle qu'il faut comprendre, selon le bâtonnier vaudois, Jacques Michod, «comme un droit de l'avocat de rencontrer le prévenu avant même son audition par la police et de s'entretenir avec lui hors la présence des représentants des autorités de poursuite»1. Dans les cantons romands, les Ordres des avocats se sont chargés de mettre sur pied un tel service, même s'il subsiste encore de nombreuses inconnues.
«La première question qui s'est posée à nous était de savoir s'il y avait une obligation, pour les cantons, de mettre ce service à disposition. Dans certains d'entre eux, la loi l'impose, mais ce n'est pas le cas des cantons de Neuchâtel et du Jura», explique Ivan Zender, bâtonnier de l'Ordre des avocats neuchâtelois. A Neuchâtel, l'Ordre des avocats a mis sur pied ce service sur une base volontaire, en l'ouvrant à tous les défenseurs membres ou non de l'Ordre. «Nous avons pu remettre à la police une liste prévoyant la présence de trois avocats ainsi que de trois remplaçants par semaine, grâce à la cinquantaine de volontaires qui se sont annoncés pour ce tournus», poursuit-il. Ivan Zender juge que cette nouveauté est «indiscutablement un plus pour les droits de la défense, car cela limitera les témoignages de prévenus démentant le contenu du premier interrogatoire, affirmant avoir dit n'importe quoi du fait de la pression exercée par la police». «Cependant, il reste encore de nombreuses inconnues: quelle sera l'ampleur de la demande pour ce service de la part des personnes arrêtées? Quelle sera la rémunération de l'avocat de la première heure et pourra-t-il en particulier être mis au bénéfice de l'assistance judiciaire? Si tel ne devait pas être le cas, je crains que le nombre de volontaires ne chute. Il faudra que l'Etat accorde à ce service une garantie d'utilité publique, et c'est pourquoi je demande aux avocats qui vont intervenir ces prochains mois un rapport sur le nombre de telles interventions ainsi que les problèmes de paiement rencontrés», indique le bâtonnier neuchâtelois.
«On surestime l'importance de cette nouvelle institution, qui ne consacre que le droit de s'entretenir en particulier avec son client et de l'informer qu'il a le droit de se taire, juge pour sa part le bâtonnier jurassien, Jean-Marie Allimann. On fait beaucoup de bruit pour peu de chose. Soleure connaît déjà l'institution de l'avocat de la première heure et, dans 90% des cas, l'affaire se règle par téléphone, sans déplacement du défenseur, le client se bornant à désigner tel ou tel avocat pour défendre sa cause. Bien sûr, il y a une grande crainte dans les rangs policiers, car cette profession, habituée à travailler en vase clos, redoute que l'avocat ne vienne lui mettre les bâtons dans les roues.» Trente-cinq avocats jurassiens inscrits au barreau se sont mis à disposition pour assurer ce service, les défenseurs de plus de 65 ans en étant dispensés. Finalement, les 26 inscrits seront mobilisés cinq semaines par année. Le Jura s'est inspiré du modèle neuchâtelois, élaborant aussi un vade-mecum à destination des intervenants concernés, fruit d'une concertation entre avocats, Ministère public et la police.
Avancée saluée à Fribourg
«Le 1er janvier à minuit, comme c'est le cas dans la plupart des cantons romands, j'ai assumé en tant que bâtonnier le premier tour de permanence de l'avocat de la première heure», indique Me Albert Nussbaumer, bâtonnier des avocats fribourgeois. «Notre nouvelle loi sur la justice fait obligation aux avocats inscrits au registre du barreau d'assumer une telle fonction. La loi précise que le Ministère public organise concrètement la permanence avec l'Ordre des avocats fribourgeois. Nous avons sollicité nos membres et 96 avocats sur 140 se sont annoncés partants, sans compter les quatre défenseurs volontaires non membres de l'Ordre. Notre système prévoit trois avocats et trois réservataires, assumant des tranches de trois jours et demi de permanence. Sur les trois avocats, deux pratiqueront en français et un en allemand.»
Me Nussbaumer se félicite de l'avancée que constitue l'avocat de la première heure, permettant une meilleure concrétisation de la garantie du procès équitable posée par l'art. 6 CEDH et par la jurisprudence de la Cour2. «Il faut saluer l'initiative du chef de la police de sûreté, Florian Walser, de proposer une rencontre à l'Ordre des avocats fribourgeois, à laquelle une cinquantaine de défenseurs ont participé. Les quatre lieux d'interrogatoire nous ont été ainsi présentés lors d'une réunion à Fribourg. La question de notre rémunération, en revanche, fait encore l'objet d'un flou artistique, même si la règle veut que l'on paie le défenseur qu'on sollicite. Il est actuellement question de partir du tarif de l'assistance judiciaire, soit 180 francs de l'heure, une majoration de 60 francs étant encore en discussion.
Comment la police va-t-elle informer?
En Valais, après un appel au volontariat peu suivi d'effet, l'Ordre des avocats s'est chargé de constituer une liste comprenant une permanence des défenseurs, excepté ceux de plus de 62 ans. Là encore, c'est la rémunération qui est en discussion: «Nous espérons un tarif horaire entre 160 et
180 francs et souhaiterions que l'Etat du Valais soit chargé de récupérer cette somme auprès des mauvais payeurs, indique Robert Wuest, le bâtonnier valaisan. Je pense que l'avocat de la première heure est une très bonne chose, car nous devons mieux protéger nos clients, qui font parfois l'objet de déclarations mal protocolées au stade des premiers interrogatoires. L'important, pour moi, est de savoir comment la police va informer les prévenus de leur droit de se taire: va-t-elle leur remettre un papier les informant de leurs droits et s'assurer qu'ils les ont bien compris? En dépit des contacts que nous avons pu avoir avec le procureur général et le chef de la police cantonale, nous n'avons pas de certitude sur les modalités concrètes de ce devoir.»
Dans le canton de Vaud, douze avocats seront de permanence jour et nuit par semaine; organisée sur une base volontaire, la permanence a rencontré avec 170 à 180 partants un succès suffisant. Une rotation sera organisée tous les trois mois et demi. Dans ce canton, les stagiaires ne peuvent assumer la fonction d'avocat de la première heure.
A Berne, la réponse attendra
Savoir ce qui sera précisément lu par la police ou le Ministère public au prévenu pour l'informer de son droit de faire appel à un avocat de la première heure, connaître les modalités précises de sa mise en œuvre et s'assurer que le droit à la traduction sera pleinement respecté: tel était l'objet de l'interpellation que la députée socialiste au Grand Conseil bernois Margrit Stucki-Mäder avait déposée le 9 novembre dernier sur le conseil des Juristes démocrates. «Je trouve un peu idiot que l'urgence de cette interpellation n'ait pas été reconnue», commente l'auteure de l'interpellation, qui devrait recevoir en mars seulement une réponse. La question de l'indemnisation de l'avocat de la première heure, notamment dans le cas où le mandat ne se poursuit pas au-delà de la première audition, attendra donc aussi.
Etat tiers payeur à Genève
Enfin, à Genève, la participation des avocats à ce service est très importante, puisque 150 se sont inscrits en ligne sur le site sécurisé de l'Ordre des avocats. «Nous aurons ainsi une permanence de huit défenseurs par tranche de douze heures jusqu'à la fin d'avril», indique le vice-bâtonnier, François Canonica. Si la loi genevoise sur la profession d'avocat, à ses art. 8a et 31, consacre la possibilité de déléguer ce devoir au stagiaire sous la responsabilité du maître de stage, Me Canonica confirme qu'une telle tâche n'incombera qu'«à des stagiaires déjà expérimentés». L'Etat de Genève s'est engagé à assumer le rôle de tiers payeur et à indemniser l'avocat de la première heure en relevant de 50% les tarifs pratiqués par le Service d'assistance juridique (125 francs pour un collaborateur, 65 francs pour un stagiaire et 200 francs pour un chef d'étude). La principale inconnue est, dans ce canton, la manière dont la police accueillera cette nouveauté. «Au sein de la direction de la police, on sent clairement la présence de deux cultures: l'une faite de nostalgiques, qui appréhendent l'avocat comme un gêneur dans le cadre de l'enquête, et l'autre plus moderne et conforme à la jurisprudence européenne. Nous espérons que cette dernière philosophie finira par s'imposer», conclut François Canonica.
1Avocat de la première heure et droits de la défense, Jacques Michod, in Revue de l'avocat 8/2010, p. 324.
2Cour européenne des droits de l'homme, affaire Salduz c. Turquie, arrêt Grande Chambre du 27 novembre 2008, requête N° 36 391/02, par. 54 et 55.