Le 9 février 2014, la majorité du peuple et des cantons a dit non au principe de la libre circulation des personnes venant de l’un des pays de l’UE en Suisse, principe qui fait l’objet de l’Annexe I de l’ALCP, intitulée «Libre circulation des personnes». Mais, en voulant une circulation des personnes «limitée par des plafonds et des contingents annuels», la majorité du peuple et des cantons a-t-elle aussi voulu la modification des règles articulées à l’Annexe II de l’ALCP, intitulée «Coordination des systèmes de sécurité sociale»?
La réponse à cette question paraît être négative, quand bien même les principes européens de coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale font partie intégrante du principe européen de la libre circulation. En effet, les auteurs du texte de l’initiative populaire «Contre l’immigration de masse» n’ont rien prévu s’agissant des principes de coordination contenus dans l’Annexe II de l’ALCP.
Rappelons, à titre liminaire, qu’il ressort d’une feuille d’information de l’OFAS, datée du 8 octobre 2013 et intitulée «Répercussions de la libre circulation des personnes de l’UE et de l’AELE sur les assurances sociales et sur l’aide sociale», que «le 1er pilier profite de l’immigration de main-d’œuvre en provenance des Etats membres de l’UE et de l’AELE» et que «les ressortissants de l’UE et de l’AELE sont des contributeurs nets», c’est-à-dire qu’ils paient davantage de cotisations qu’ils ne perçoivent de prestations. Il ressort également de ladite feuille d’information que «l’immigration a permis de reporter quelque peu les problèmes de financement de l’AVS», assurance qui, «sans l’immigration, (…) présenterait un important besoin de financement» et que «la crainte que la libre circulation des personnes ne conduise à une augmentation massive du nombre de bénéficiaires de rentes AI s’est avérée infondée».
Mais qu’est-ce qui, au juste, a été amené par l’ALCP en matière de sécurité sociale qui n’existait pas avant?
Nous répondrons à cette question en énumérant, toutes branches confondues, les adaptations intervenues du fait de l’ALCP, classées en fonction de celui des grands principes de l’ALCP dont chacune de ces adaptations relève. Ces grands principes, qui résultent tant de l’ALCP que du Règlement (CE) N° 883/2004 (lequel a, dès le 1er avril 2012, pris le relais de l’ancien Règlement (CEE) N° 1408/71), sont au nombre de quatre: principes 1. de l’égalité de traitement; 2. de la totalisation des périodes d’assurance; 3. de l’exportation des prestations et 4. de l’entraide administrative entre les Etats. Notre but est de montrer à quel point est profonde l’empreinte que ces quatre principes a imprimée sur le système suisse des assurances sociales.
1. Egalité de traitement
Les citoyens suisses et les ressortissants de l’UE sont égaux quant aux droits et aux obligations prévus par chaque législation nationale. C’est ce qu’impose le principe d’égalité de traitement. L’ALCP a rendu ce principe absolu, la règle européenne de l’égalité interdisant non seulement les discriminations directes, mais également celles indirectes. Les implications les plus essentielles de ce premier principe concernent le domaine de l’AVS et de l’AI.
Au moment où l’ALCP est entré en vigueur, le 1er juin 2002, la Suisse avait déjà passé, avec ceux des Etats qui étaient, à l’époque, membres de la Communauté européenne, des conventions bilatérales de sécurité sociale. Or, si, en matière d’AVS et d’AI, les conventions en question atténuaient les inégalités de traitement entre Suisses et étrangers que prônent les articles 18 alinéa 2 LAVS, respectivement 6 alinéa 2 et 9 alinéa 3 LAI, elles n’allaient pas jusqu’à instituer une égalité complète entre ressortissants suisses et ressortissants des pays cocontractants. En particulier, des inégalités subsistaient selon le modèle de convention habituel, inégalités dont pâtissaient tout d’abord les enfants mineurs ressortissants d’un pays cocontractant: ils ne pouvaient prétendre à des mesures de réadaptation de l’AI en Suisse que s’ils y étaient nés invalides ou y avaient résidé de manière ininterrompue depuis leur naissance. Pâtissaient ensuite d’une inégalité de traitement les ressortissants du pays cocontractant qui n’exerçaient pas d’activité lucrative en Suisse: ils ne pouvaient prétendre à des mesures de réadaptation que s’ils avaient, immédiatement avant le moment où était survenue l’invalidité, résidé en Suisse pendant une année au moins. S’agissant par ailleurs du droit à une rente extraordinaire de l’AI, il n’était ouvert que si, immédiatement avant la date à partir de laquelle le ressortissant du pays cocontractant demandait une telle rente, celui-ci avait résidé en Suisse pendant cinq années au moins, de manière ininterrompue. Enfin, le droit à une rente AVS n’était ouvert que si, au moment de l’âge de la vieillesse, le ressortissant du pays cocontractant avait résidé en Suisse de manière ininterrompue pendant au moins dix ans.
Depuis l’entrée en vigueur de l’ALCP, toutes les discriminations qui précèdent, fondées sur la nationalité, ne sont plus possibles. Que les discriminations soient directes ou indirectes, le principe européen de l’égalité de traitement les interdit. A propos des rentes extraordinaires de l’AVS et de l’AI, il convient, au demeurant, de relever que, si la question lui avait été posée à titre préjudiciel, la Cour de justice de l’Union européenne (anciennement Cour de justice des Communautés européennes) n’aurait très certainement pas partagé l’avis du Tribunal fédéral, quand il a jugé, au considérant 7.3.3 de son arrêt 131 V 390, que la condition de l’article 42 alinéa 1 LAVS – selon laquelle «il faut pour avoir droit à une rente extraordinaire de l’AVS, compter le même nombre d’années d’assurance que les personnes de sa classe d’âge» – ne constituerait pas une discrimination indirecte au sens du droit européen. En effet, cette exigence d’années d’assurance est plus facile à remplir s’agissant d’un ressortissant suisse que d’un ressortissant étranger.
On relève encore, pour ce qui est de l’assurance-chômage, et plus particulièrement des critères prévus par l’article 14 alinéas 1 et 2 LACI concernant la libération des conditions relatives à la période de cotisation, qu’une partie de la doctrine considère que ces critères sont indirectement discriminatoires, en tant qu’ils peuvent conduire à exclure du droit aux indemnités journalières de chômage des personnes ayant fait usage de leur liberté de circulation, mais présentant avec la Suisse des liens plus étroits qu’avec n’importe quel autre Etat. Un arrêt rendu le 21 décembre 2006 par le Tribunal fédéral des assurances (C 203/03) mettait, du reste, en exergue les difficultés que ces critères posent au regard du principe de l’égalité de traitement découlant de l’ALCP.
2. Totalisation des périodes d’assurance
Selon le principe de totalisation, les périodes d’assurance accomplies en Suisse ou dans des pays de l’UE par des ressortissants suisses ou communautaires peuvent être prises en compte lorsque le droit à une prestation de l’un de ces Etats dépend d’une durée d’assurance minimale. Ce deuxième principe a surtout marqué l’AVS, l’AI et l’assurance-chômage.
Complément du principe de totalisation, le principe européen dit de «proratisation» implique que les prestations à long terme, telles que les rentes de vieillesse ou d’invalidité, soient calculées de manière autonome, c’est-à-dire compte tenu des périodes de cotisations accomplies uniquement sous la législation nationale. En d’autres termes, la charge des prestations de vieillesse et d’invalidité est répartie, prorata temporis, entre les institutions compétentes des différents Etats membres. Ce système de calcul des rentes AVS et AI, conformément à une procédure de proratisation, a mis fin au système des conventions bilatérales que la Suisse avait passées avec l’Espagne, le Portugal, la France, la Belgique, la Norvège et les Pays-Bas. Ces conventions étaient dites «de risque pur», parce qu’elles prévoyaient, pour la détermination, par l’AVS et l’AI suisses, de l’échelle de rente pertinente, la prise en compte de toutes les années de cotisations effectuées par l’assuré, non seulement auprès de l’assurance suisse, mais également auprès de la Sécurité sociale du pays cocontractant. Ce changement de système a permis à l’AVS et à l’AI suisses de faire des économies, très substantielles en valeur capitalisée, de montants de rente qu’elle n’a plus eu à servir aux ressortissants des pays susmentionnés.
Le principe de totalisation des périodes d’assurance connaît une autre concrétisation importante, en matière d’assurance-chômage. La règle générale veut que l’Etat tenu de s’acquitter des indemnités de chômage, soit celui dans lequel le travailleur a exercé sa dernière activité lucrative, celle-ci n’eût-elle duré qu’un seul jour. Si tel Etat se trouve être la Suisse, c’est la Suisse qui doit vérifier le droit aux prestations en fonction de sa propre législation. Dans ce cadre, la Suisse doit tenir compte de toutes les éventuelles périodes d’assurance effectuées dans les autres Etats membres de l’UE, y compris les périodes de cotisation, d’emploi, d’activité non salariée ou de résidence qui seraient néanmoins définies ou admises comme périodes d’assurance par la législation sous laquelle elles ont été accomplies.
Deux exceptions notables existent, quant à la règle générale exposée plus haut, qui méritent d’être relevées, s’agissant de la prise en compte, par les caisses suisses de chômage, des périodes d’assurance ou d’emploi accomplies par le chômeur dans un Etat membre de l’UE. En premier lieu, du fait du régime dérogatoire dont ils feront l’objet jusqu’au 1er juin 2016, les ressortissants bulgares et roumains qui sont titulaires d’autorisations de séjour de courte durée – soit de moins d’un an – ne peuvent pas encore bénéficier d’une telle prise en compte, si bien qu’ils devront, jusqu’au 31 mai 2016, justifier d’une période de cotisation d’au moins douze mois acquise exclusivement en Suisse pour y prétendre des indemnités de chômage. A cet égard, on rappelle que les travailleurs titulaires de permis de courte durée ressortissants de l’Estonie, de la Hongrie, de la Lettonie, de la Lituanie, de la Pologne, de la République tchèque, de la Slovaquie et de la Slovénie ont, quant à eux, dû attendre jusqu’au 1er mai 2011 avant de pouvoir totaliser leurs périodes d’assurance et d’emploi. La seconde exception concerne les frontaliers, lesquels sont, en cas de chômage complet, soumis non pas à la législation de l’Etat dans lequel ils ont exercé leur dernière activité lucrative, mais à celle de leur Etat de résidence. Sauf dans les cas de chômage partiel, c’est donc l’Etat de domicile du frontalier qui devra indemniser le chômage de celui-ci. Si un frontalier ayant travaillé en Suisse peut s’inscrire auprès de l’Office régional de placement du lieu de sa dernière activité professionnelle, ce ne sera qu’à titre complémentaire, sans que cette inscription lui donne pour autant accès à des prestations de l’assurance-chômage suisse.
3. Exportation des prestations
Le principe d’exportation des prestations inscrit dans l’ALCP a étendu la possibilité de percevoir des prestations d’assurances sociales suisses au-delà des frontières de notre Etat. Sont avant tout concernées par ce troisième principe les prestations de l’AI, les indemnités de chômage et les allocations familiales.
Pour ce qui est de l’AI, les conventions bilatérales de sécurité sociale ne prévoyaient, en règle générale, la possibilité d’exporter que les demi-rentes, les trois-quarts de rente et les rentes entières d’invalidité, mais non les quarts de rente (servis pour une invalidité de 40% à 50%). L’entrée en vigueur de l’ALCP a évidemment rendu exportables lesdits quarts de rente AI. Quant à la question de savoir si la Suisse pouvait réellement, comme elle l’a pourtant fait à l’Annexe X du Règlement (CE) N° 883/2004 et au chiffre II du Protocole à l’annexe II de l’ALCP, rendre inexportables les rentes extraordinaires et les allocations pour impotent de l’AVS et de l’AI, au motif que ces prestations seraient des prestations spéciales en espèces à caractère non contributif au sens de l’article 70 dudit règlement, la doctrine la plus récente y répond par la négative.
S’agissant de l’assurance-chômage, les conventions y relatives que la Suisse avait, avant l’entrée en vigueur de l’ALCP, conclues avec certains de ses voisins visaient presque exclusivement les frontaliers. Que ce soit pour les ressortissants des Etats membres de l’UE ou pour les ressortissants suisses, rechercher du travail à l’étranger constituait alors une gageure, l’assuré décidant de s’engager dans telle recherche devant en général le faire à ses propres frais. Or, le principe d’exportation des prestations découlant de l’ALCP permet actuellement aux bénéficiaires de prestations de chômage en Suisse de percevoir, durant trois mois, leurs indemnités journalières à l’étranger, pour autant qu’ils entendent chercher un nouvel emploi ailleurs qu’en Suisse.
Le principe d’exportation a également marqué le régime des allocations familiales. En principe, le ressortissant d’un Etat membre de l’UE qui travaille en Suisse a droit aux prestations familiales suisses pour les membres de sa famille qui résident dans un Etat membre de l’UE – à l’exception des avances sur pensions alimentaires et des allocations spéciales de naissance et d’adoption, dont l’exportation est expressément exclue par la réglementation européenne. Si, pour la même période et pour les mêmes membres de la famille du travailleur en question, des prestations sont prévues par la législation de deux ou de plusieurs Etats membres, des règles de priorité existent, qui permettent de déterminer quel Etat doit verser les prestations familiales. D’après ces règles, l’Etat membre débiteur sera prioritairement celui où l’activité professionnelle est exercée, puis celui où une pension serait perçue, enfin celui de la résidence du travailleur ou de la travailleuse. Au cas où le droit à une prestation découlant d’une activité professionnelle serait moins élevé que le droit découlant d’un autre titre, du lieu de résidence par exemple, ce serait l’Etat dans lequel l’activité est exercée qui verserait la prestation familiale et – dans notre exemple – l’Etat de résidence qui compléterait ladite prestation. Dans l’hypothèse, enfin, de prestations dues pour un même titre, soit au titre, notamment, des activités professionnelles de deux parents, lorsque chacun desdits parents travaille dans un Etat différent et que chacun peut dès lors prétendre à des prestations familiales découlant de son activité lucrative, la priorité reviendra aux droits servis selon la législation de l’Etat de résidence des enfants et, si aucun des parents ne travaille dans cet Etat, selon la législation de l’Etat où le parent dont le revenu est le plus élevé exerce son activité lucrative.
La prévoyance professionnelle – également appelée 2e pilier – est la seule branche d’assurance sociale dans laquelle l’ALCP peut sembler avoir amené une restriction. Cette restriction, reprise par l’article 25f LFLP, veut que seule la part de la prestation de sortie qui excède celle calculée selon le minimum LPP est exportable, ce à moins que l’assuré n’aille s’établir dans un Etat où il cesserait d’être obligatoirement assuré contre les risques vieillesse, décès et invalidité. Contrairement à ce qui était le cas avant le 1er juin 2007, la prestation de libre passage sera ainsi conservée par une institution de prévoyance suisse, jusqu’au jour où les conditions de sa perception seront réunies, respectivement jusqu’à la survenance d’un cas d’assurance.
4. Entraide administrative
Le dernier des quatre principes européens que nous aborderons est celui d’entraide administrative, savoir de coopération entre institutions nationales de sécurité sociale. Hormis quelques implications mineures, ce principe a modifié la pratique dans le domaine de l’assurance-maladie.
Dans les domaines de l’AVS et de l’AI, ledit principe existait déjà du temps des conventions bilatérales. Mais, sous l’ALCP, l’entraide a eu tendance à se simplifier, les formulaires utilisés par l’organe de liaison, qui est, en Suisse, la Caisse suisse de compensation, étant communs à toute l’Europe et pouvant être échangés par voie électronique entre la plupart des pays de l’UE. S’agissant du 2e pilier, l’ALCP a conduit le Fonds de garantie LPP, qui officie notamment en qualité d’organe de liaison, à passer avec divers Etats membres de l’UE des conventions de collaboration pour l’examen des questions d’assujettissement obligatoire aux assurances sociales, ce qui permet audit Fonds de vérifier notamment la bonne application de l’article 25f LFLP évoqué plus haut. Avec l’Italie, l’Autriche, la Pologne, le Portugal, la Slovénie, l’Espagne, l’Allemagne, la France, la Grèce et le Royaume-Uni, cet examen est ainsi facilité du point de vue administratif.
C’est dans le domaine de l’assurance-maladie obligatoire que l’application de l’ALCP et des principes qui en découlent a entraîné les efforts de coordination les plus importants. Ces efforts ont conduit, d’une part, à un élargissement du cercle des personnes assurées selon la Loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) et, d’autre part, à la mise en œuvre de mécanismes d’entraide administrative propres à garantir, dans la prise en charge des soins, l’égalité de traitement entre toutes les personnes qui se déplacent au sein de l’UE.
Tandis que le régime de la LAMal se caractérise par une obligation d’affiliation au lieu de domicile, le système européen est fondé, lui, sur l’affiliation dans le pays où est exercée l’activité professionnelle. L’obligation d’assurance selon la LAMal s’est donc étendue non seulement aux travailleurs frontaliers, mais aussi aux rentiers et aux bénéficiaires de prestations de l’assurance-chômage ainsi qu’aux membres de leur famille qui n’exercent pas d’activité lucrative. Concrètement, le bénéficiaire d’une rente suisse qui s’établit dans un pays de l’UE dont il ne reçoit aucune rente doit, en principe, rester affilié à l’assurance-maladie obligatoire selon la LAMal. La situation est différente si le bénéficiaire d’une rente suisse reçoit également une rente de l’Etat dans lequel il établit son nouveau domicile. En vertu des règles européennes, il doit alors être affilié au régime d’assurance-maladie de l’Etat de son domicile, quel que soit par ailleurs le montant de la rente versée par ce dernier. La situation des éventuels membres de la famille du bénéficiaire de rente ou d’indemnités journalières de l’assurance-chômage qui n’exercent aucune activité lucrative est, quant à elle, alignée en principe sur celle de l’ayant-droit.
La rigueur du critère d’affiliation obligatoire qui découle de la LAMal est tempérée par de nombreuses exceptions, qui concernent soit l’intéressé lui-même – le frontalier par exemple –, soit son groupe familial dans son ensemble, soit encore les seuls membres de la famille. Ces exceptions consistent dans un droit d’option, qui peut être exercé, dans un certain délai, auprès de l’institution nationale compétente. La gestion des affiliations et, surtout, celle des exemptions au régime de l’assurance-maladie obligatoire requiert une action concertée des assureurs-maladie, des cantons et de l’Institution commune LAMal – à savoir l’Office de liaison dans les domaines de la maladie et de la maternité, dont le siège est à Soleure. Dans cette perspective, des compétences décisionnelles ont été dévolues tant aux cantons qu’à l’Institution commune, afin qu’ils puissent statuer sur des demandes d’exemption. La réduction des primes pour les assurés qui résident dans un Etat membre de l’UE est, pour le surplus, gérée et financée par les cantons.
Pour ce qui est du droit d’accès aux soins et du droit au remboursement de ces derniers, ils sont garantis à toute personne affiliée à un régime d’assurance-maladie national, dont l’état de santé requiert des soins au cours d’un séjour dans un autre Etat européen. Ainsi, pour un assuré résidant dans un Etat de l’UE et devant se faire soigner lors d’un séjour en Suisse, la facture sera prise en charge par l’Institution commune LAMal. Cette dernière adressera, dans un deuxième temps, une demande de remboursement à l’assureur-maladie compétent par le biais de l’entraide internationale. L’assuré devra s’acquitter d’une participation forfaitaire fixée par la LAMal. Réciproquement, la personne assurée selon la LAMal, mais résidant dans un Etat membre de l’UE, peut choisir, entre son pays de résidence ou la Suisse, le lieu où seront dispensés les soins qui s’avèrent nécessaires. Jusqu’alors réservée aux personnes résidant dans certains Etats, cette possibilité a été généralisée avec l’entrée en vigueur, le 1er avril 2012, du Règlement (CE) N° 883/2004. Dans ce système, la carte européenne d’assurance-maladie (CEAM) joue un rôle primordial, dans la mesure où elle permet un accès facilité aux soins, tout en déclenchant le processus de l’entraide administrative entre les institutions d’assurances compétentes.
Si l’ALCP n’était plus en vigueur, la personne assurée en Suisse serait discriminée lors d’un séjour dans un Etat de l’UE. Elle ne pourrait, alors, plus exiger l’application des tarifs sociaux pratiqués dans ce pays, et elle pourrait être contrainte d’avancer tout ou partie des frais de son traitement. L’Institution commune LAMal ne pouvant plus jouer son rôle d’entraide, l’assuré serait dès lors tenu d’entreprendre lui-même les démarches nécessaires pour un remboursement par son assureur-maladie. Et, de la même façon, les personnes assurées dans un Etat de l’UE ne pourraient plus prétendre à la protection tarifaire prévue par la LAMal lors d’un traitement en Suisse.
Nous finirons ce tour d’horizon par un aperçu des besoins de coordination existant en matière de prestations de l’assurance-accidents. Destiné surtout aux travailleurs salariés dépendants, le régime suisse de la LAA couvre les accidents et les maladies professionnels ainsi que, pour certains travailleurs, les accidents non professionnels. A cet égard, les règles et les principes qui découlent de l’ALCP permettent, tout d’abord, de définir le rattachement du travailleur à un seul régime de protection sociale, quand bien même le lieu où l’activité lucrative est déployée et le lieu de domicile ne seraient pas identiques.
Par ailleurs, étant donné que la survenance d’un accident ou d’une maladie professionnelle génère des obligations pour le régime d’assurance du pays dans lequel l’activité est exercée, un travailleur détaché dans un Etat de l’UE et assuré en Suisse sera, en cas de survenance d’un accident professionnel, pris en charge par le régime d’assurance sociale du pays où il travaillait. L’assurance suisse sera ensuite tenue de rembourser l’intégralité des prestations, ce même si le droit qu’elle applique, à savoir la LAA, ne prévoit pas le versement de telles prestations. Il convient de relever que des règles spécifiques existent, régissant les cas particuliers, notamment les situations où le travailleur, ayant exercé son droit d’option, se trouve couvert par deux régimes nationaux en cas d’accident non professionnel.
Comme c’est le cas dans l’assurance-maladie, tant la concrétisation du principe de l’égalité de traitement dans le domaine des soins que les mécanismes de l’entraide internationale sont largement induits par l’application de l’ALCP et du Règlement (CE) N° 883/2004. Pour les accidents du travail et les maladies professionnelles, c’est la SUVA qui fonctionne en qualité d’organisme de liaison.
5. Conclusions
Le Conseil fédéral espérait pouvoir renégocier l’ALCP avec l’UE. Or, la haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Catherine Ashton, a fait savoir à la Suisse, par lettre du 24 juillet 2014, que l’UE ne pouvait entrer en matière sur une telle renégociation, les notions de quota ou contingentement étant par trop contraires au principe de la libre circulation.
Dans ces conditions, il y a fort à parier que, à partir du 9 février 2017, soit après écoulement du délai maximal de trois ans prévu par l’initiative «Contre l’immigration de masse», il n’y aura plus d’ALCP, et donc plus non plus d’Annexe II à l’ALCP. Est-ce que cette perspective d’une disparition programmée de la coordination avec les systèmes de sécurité sociale des pays de l’UE inquiète la Suisse? Ni le Conseil fédéral ni les Chambres n’ont, pour le moment, fait part de préoccupations à ce propos.
Pourtant, s’il n’y avait plus d’ALCP, les ressortissants de l’UE se trouvant en Suisse ne pourraient plus se prévaloir des grands principes européens prévus par l’ALCP et le Règlement (CE) N° 883/2004. En matière d’AVS et d’AI, ils seraient traités, au mieux, comme le prescrivent les conventions bilatérales de sécurité sociale que la Suisse avait, à l’époque, passées avec 22 des Etats membres de l’UE et, au pire, comme des ressortissants de pays avec lesquels la Suisse n’a pas de convention de sécurité sociale, ce qui serait le cas des ressortissants de six pays de l’UE. De même, en matière d’assurance-chômage, il devrait, s’il n’y avait plus d’ALCP, être fait abstraction du principe de la totalisation, un principe cependant déterminant pour l’ouverture du droit aux indemnités journalières de chômage, qui permet de tenir compte des périodes d’emploi ou d’assurance effectuées dans un Etat membre de l’UE. Enfin, en matière d’assurance-maladie obligatoire, il devrait être renoncé, sans contrepartie aucune, à toutes les avancées et les rapprochements efficients faits entre la Suisse et l’UE grâce au principe européen de l’entraide administrative.
Quant aux 452 800 ressortissants suisses qui vivent dans des pays de l’UE (chiffres 2013), ils ne pourraient plus non plus, si l’ALCP était abrogé, se prévaloir des quatre principes européens de totalisation des périodes d’assurance, d’égalité de traitement pleine et entière, d’exportation des prestations et d’entraide.
Au cas où l’ALCP venait à être résilié, la seule façon de sauvegarder les acquis de l’ALCP en matière de sécurité sociale serait, en somme, de tenter de négocier avec l’UE une solution pragmatique telle que préconisée par le professeur Pierre-Yves Greber dans le dernier des Cahiers genevois et romands de sécurité sociale, visant à remplacer l’ALCP «par un accord, entre les mêmes Parties, spécifique à la coordination des systèmes de sécurité sociale». Mais il ne s’agirait là que d’une solution technique. Et il n’est pas certain que l’UE entrerait en matière s’agissant de maintenir une liberté de circulation restreinte au seul domaine de la sécurité sociale.
Au vu de l’importance des enjeux exposés plus haut, il reste donc à espérer que le Conseil fédéral saura trouver le moyen d’éviter que ne soit altérée la concrétisation actuelle des principes découlant de l’ALCP en matière de sécurité sociale et que ne soit mis en péril l’acquis ALCP en dite matière. Car le citoyen suisse, en tant qu’assuré social, aurait autant à y perdre que le ressortissant de l’UE: beaucoup trop.