Le Code de procédure pénale (CPP) a repris, en 2011, un système pratiqué dans trois cantons pour régler plus rapidement les cas où les faits ne sont pas contestés et la peine prévisible inférieure ou égale à cinq ans. Depuis son introduction, la procédure simplifiée a connu une progression régulière, pour atteindre environ 10% à 20% des mises en accusation par les Ministères publics de Suisse romande, en fonction des cantons… mais aussi des manières de tenir les statistiques. Les bases de calcul sont en effet différentes d’un canton à l’autre. Mais une chose est sûre: dans un canton donné, le nombre de ces nouvelles procédures est, en général, plus élevé en 2015 qu’en 2012, comme le confirment plusieurs rapports d’activité des tribunaux parus ce printemps.
Pour prendre quelques exemples, dans le canton de Vaud, 9% des actes d’accusation ont débouché sur une procédure simplifiée en 2015, contre 5% en 2012. A Genève, cette proportion s’est élevée à 10% en 2015, contre 9% en 2012. A Neuchâtel, on est passé d’un taux de 13% en 2012 à 22% en 2015, tandis que Berne comptabilise 185 procédures simplifiées en 2015 contre 109 en 2012. Quant au Valais, il évoque un taux de 25% sur le total des dossiers renvoyés en jugement en 2015.
Stups et LCR
Concernant la nature des affaires pénales traitées de manière accélérée, on constate qu’elle ne correspond guère au but initial du législateur, qui était surtout de régler à moindres frais les affaires de criminalité économique et d’éviter les accords informels dans ce domaine. Dans le canton de Vaud par exemple, c’est en matière de stupéfiants (56 cas), de circulation routière (plus particulièrement Via sicura, 35 cas) et d’infractions contre le patrimoine (32 cas) que la procédure simplifiée a été la plus utilisée en 2015. La tendance est similaire à Genève, selon un calcul effectué par le premier procureur Stéphane Grodecki pour la revue forumpoenale (n° 1/16): en 2014, 105 affaires concernaient les stupéfiants, 31 le vol, 23 la circulation routière, 10 le brigandage et, seulement, huit la criminalité économique et trois les infractions contre l’intégrité corporelle. Quant aux sanctions prononcées, elles sont, toujours à Genève, à 54% des peines privatives de liberté avec sursis, à 24% des peines avec sursis partiel et à 15% des peines fermes (les 7% restants étant des refus du tribunal de ratifier l’accord, des jours-amende et des mesures).
Accord des parties
Stéphane Grodecki relève, dans la contribution précitée, que plus de 70% des procédures simplifiées ont eu lieu dans le domaine des stupéfiants et de la LCR, où il n’existe pas de partie plaignante: cela pourrait s’expliquer par la difficulté pratique de mener une telle procédure avec une partie plaignante, qui prend une place importante (art. 360 al. 3 CPP). Un raisonnement que partage Yvan Jeanneret, professeur de droit pénal aux Universités de Genève et de Neuchâtel: «La procédure simplifiée nécessite l’accord des parties, donc aussi de la partie plaignante, qui dispose en quelque sorte d’un droit de veto. Cela pourrait expliquer pourquoi on y recourt peu en matière de criminalité économique.»
Formellement, c’est le prévenu qui adresse une demande de procédure simplifiée au Ministère public, qui peut refuser sans motivation. S’il entre en matière, il dresse un acte d’accusation incluant la peine et le transmet aux parties, qui ont dix jours pour l’accepter ou le refuser. Si elles l’acceptent, l’acte d’accusation est transmis au tribunal de première instance, qui n’administre pas les preuves, mais interroge le prévenu et apprécie la conformité au droit et la justification de la procédure simplifiée et de la sanction.
Expériences diverses
En pratique, dans certains cantons, le Ministère public émet parfois des signaux pour faire comprendre qu’une procédure simplifiée serait indiquée. Mais il arrive aussi que, surchargé, il ne cherche pas à se lancer dans des négociations dont il pourrait se passer. C’est le cas dans le canton de Berne, observe François Contini, avocat à Bienne: «A l’entrée en vigueur du CPP, en 2011, le Ministère public n’a pas reçu les moyens lui permettant de faire face à ses nouvelles tâches. Ses effectifs ont été depuis quelque peu renforcés, mais, encore aujourd’hui, une procédure simplifiée ne représente pas toujours un gain de temps par rapport à un procès ordinaire pour le Ministère public, vu que sa comparution à l’audience est alors obligatoire. Je n’y vois, pour ma part, guère d’avantage décisif pour la défense, si ce n’est d’être fixé avant l’audience sur la mesure de la peine.»
Ludovic Tirelli, avocat à Lausanne, trouve, de son côté, que la procédure simplifiée offre un gain de temps dans certains cas, en plus de la prévisibilité de la peine. Il y a recouru notamment pour quelques affaires financières. Il estime ce processus également favorable à la partie lésée, qui peut faire valoir ses prétentions civiles. Il l’envisage en cas de peine ne dépassant pas 36 mois, afin qu’elle soit compatible avec le sursis. «Mais, quand on se lance dans une procédure simplifiée, il faut être pratiquement sûr d’aller jusqu’au bout: car, si l’on y renonce, que fera-t-on des informations obtenues dans ce cadre, par exemple des aveux? Selon la loi, elles doivent être sorties du dossier pénal, mais on frise la schizophrénie: difficile d’imaginer que le Ministère public puisse les oublier en reprenant une procédure ordinaire.»
Loyauté de la preuve
Yvan Jeanneret trouve que le côté le plus discutable de la procédure simplifiée réside dans cet échange d’un aveu contre un avantage, en l’occurrence la perspective d’une peine plus clémente. «Cela pose le problème de la loyauté de la preuve. Négocier la preuve contre un avantage n’est en principe pas admissible en droit pénal. Le législateur a pris en compte cette problématique, en rangeant les promesses dans les preuves inexploitables (art. 140 CPP).» Reste qu’en pratique, quand un coprévenu émet des aveux en procédure simplifiée, ils risquent d’être utilisés contre les autres participants qui ont suivi une procédure ordinaire, relève le professeur. Selon lui, le Conseil fédéral et le Parlement n’avaient pas envisagé ce genre de scénario.