«Du point de vue des demandeurs d'asile, le système est très désavantageux pour défendre leur cas. Il est beaucoup trop rapide», affirme d'emblée Jakob Wedemeijer, avocat spécialisé dans l'immigration à Alkmaar, en Hollande-Septentrionale. Pour lui, qui traite d'une centaine de candidatures par an, «il existe une forte pression politique pour garder les migrants dans la procédure rapide, parce que, s'ils en sortent, ils devront suivre la procédure longue qui peut prendre jusqu'à six mois ou plus».
Introduit en juillet 2010, le nouveau système représente toutefois une nette amélioration par rapport au passé. Avant la réforme, la procédure accélérée n'était que de 48 heures, un laps de temps qui, en principe, devait couvrir toutes les candidatures. Impossible dans ces conditions, selon les associations de réfugiés, d'accorder l'attention nécessaire à tous les éléments susceptibles de peser dans une demande d'asile, à commencer par les documents à rassembler, les témoins pour appuyer la requête, la vulnérabilité des demandeurs, le soutien psychologique ou encore les examens médicaux.
Un temps pour se reposer
Aujourd'hui, la situation est donc meilleure, reconnaît Jakob Wedemeijer. Selon la loi de 2010, la procédure d'asile ne commence pas au moment même où le demandeur met les pieds aux Pays-Bas. Le migrant dispose d'abord de six jours (treize jours pour les enfants non accompagnés) pour se reposer de son périple et préparer sa demande. Pendant ce temps, les services de l'immigration entament leur enquête sur son identité et les documents qu'il a fournis. Et lui laissent la possibilité de se rendre au cabinet de l'avocat qui lui a déjà été attribué. «L'un des autres avantages, ajoute l'avocat, est la possibilité de passer des examens médicaux, ce qui veut dire que les migrants qui souffrent de graves problèmes psychologiques ou physiques seront sortis de la procédure rapide.»
Encore que, sur la qualité de cette visite médicale, les avis divergent. En cas de problèmes psychologiques, surtout, le demandeur d'asile peut en effet avoir du mal à raconter son histoire de manière intelligible pour les services de l'immigration. En théorie, ces difficultés sont prises en compte, aussi bien pendant l'entretien - les services de l'immigration ménageront des pauses dans le récit - que dans la décision elle-même, censée être moins stricte. Mais la pratique est tout autre, selon Lenny Reesink, membre du Conseil néerlandais des réfugiés, l'ONG responsable des demandeurs d'asile aux Pays-Bas. Menées par son organisation, des enquêtes ont montré que la visite médicale est «souvent très brève» et «ne donne pas beaucoup d'informations sur l'état mental du demandeur d'asile», rapporte-t-elle. Aussi, «les problèmes psychologiques sérieux ne seront donc pas diagnostiqués», en déduit l'experte, qui réclame avec son organisation l'amélioration du service médical.
Un avantage indéniable, nuance Lenny Reesink, est la représentation du demandeur, en principe, par un seul avocat tout au long de la procédure. Auparavant, deux à trois avocats pouvaient parler en son nom durant la procédure accélérée. Il lui était alors difficile de bâtir une relation de confiance.
Préparation juridique express
Les Pays-Bas se placent au 7e rang des pays de l'Union européenne qui reçoivent le plus de demandes d'asile. Sur les 14 600 demandes enregistrées en première instance en 2011, la plupart ont été déposées par des Afghans, des Irakiens et des Somaliens. Sur les 15 790 décisions prises cette année-là en première instance, plus de la moitié ont été rejetées (8965 exactement). En cela, le système ne diffère pas grandement de ceux d'autres pays européens receveurs, comme la France, l'Allemagne ou l'Italie, où les résultats sont très comparables. Le taux d'acceptation européen est en moyenne de 25% en première instance. C'est bien sa rapidité qui rend le système néerlandais unique.
Du point de vue de la Commission européenne, qui mène en ce moment des négociations très sensibles avec les pays de l'UE pour appliquer un niveau de protection plus élevé dans les systèmes d'asile européens, les «garanties procédurales» déjà prévues dans la législation communautaire, comme l'entretien individuel et l'assistance juridique obligatoire à partir de la seconde instance, «sont globalement respectées aux Pays-Bas». La jurisprudence de la Cour européenne de justice précise en effet le «caractère individuel de l'entretien» et la nécessité d'un «délai raisonnable» pour l'octroi d'une réponse. Bruxelles propose désormais des délais de procédure de six mois au maximum (dans certains Etats membres, ils sont beaucoup plus longs). «C'est un délai globalement adapté pour mettre un terme aux dérives et aux procédures beaucoup trop longues», estime une source à la commission. Aux Pays-Bas, c'est le problème inverse qui se pose. Le système néerlandais est «le seul qui ait une procédure dérogatoire beaucoup plus longue que la procédure en première instance», note encore cette source. «Cela ne signifie pas que le délai de huit jours n'est pas adapté (...), les demandes d'asile varient beaucoup en complexité», ajoute-t-elle. A ce stade, l'exécutif européen n'a pas reçu de plaintes concernant le système néerlandais. «Sans doute que les autorités néerlandaises utilisent cette procédure des huit jours pour faire un tri, et traiter plus vite les demandes qui sont soit infondées soit bien fondées», conclut cette source.
Avocats sous pression
Selon les chiffres néerlandais cités par Jakob Wedemeijer, sur 18310 candidatures déposées en 2011, 3062 étaient issues de seconde ou troisième instance. La pression politique pour boucler les affaires en première instance est réelle. «La procédure est gratuite. Mais les avocats, qui sont payés par le gouvernement, subissent aussi beaucoup de pression, explique l'avocat. Ils sont payés 800 euros pour soutenir les demandeurs d'asile lors de leur candidature et de leurs entretiens avec les services de l'immigration. Mais la procédure va si vite que les preuves arrivent trop tard, ce qui implique d'autres candidatures en deuxième, voire en troisième instance. Or, pour des candidatures supplémentaires, les honoraires payés aux avocats sont très bas: 200 euros.» C'est seulement lorsque le candidat obtient un permis de séjour que son avocat gagnera un bonus de 600 euros. «En d'autres termes, les avocats doivent être prêts à travailler pour 200 euros, une fois le premier délai passé, ou se débrouiller pour plaider seulement les cas qui ont une vraie chance d'aboutir», poursuit l'avocat.
Selon le professeur Thomas Spijkerboer de l'Université Libre d'Amsterdam, l'un des objectifs du passage de 48 heures à huit jours de procédure accélérée visait justement à «y inclure plus de gens», écrivait-il dans une analyse juridique de la nouvelle loi, précisant que «le gouvernement s'attendait à ce que le taux de règlement dans les centres d'inscription passe de 25% à environ 40%».
Retenus à l'aéroport
Si les problèmes persistent en première instance, c'est sans doute aussi dû à l'organisation du temps. Certes, les Pays-Bas font figure de modèle (avec la Suède et l'Autriche) en garantissant une assistance juridique au demandeur dès la première instance. Ainsi, «l'avocat voit beaucoup son client», confirme Jakob Wedemeijer. Mais les entrevues sont entrecoupées par les interviews menées par les services des migrations. Sur huit jours de préparation, l'avocat ne verra en fait son client qu'un jour sur deux. En tout, l'avocat passe deux heures de préparation, une heure pour discuter de la première interview sur l'identité et la nationalité, deux à trois heures pour préparer l'interview sur les motivations du candidat et, enfin, deux heures pour rédiger une lettre en réponse à un courrier dans lequel le gouvernement annonce son intention de rejeter la demande. Le dernier jour, le gouvernement rejettera la candidature, décidera de continuer son enquête ou encore délivrera un permis de séjour.
Au Conseil néerlandais des réfugiés, Lenny Reesink nuance encore ces propos: dans la nouvelle loi, le migrant qui voit sa première demande rejetée aura encore droit à 28 jours dans un autre centre d'accueil, alors qu'il en avait été privé sous l'ancien système. En revanche, son organisation s'inquiète du cas des demandeurs d'asile arrivant par avion. Ils sont immédiatement placés en centre de rétention à l'aéroport de Schiphol. Car le gouvernement dit être empêché, par les règles de l'Espace Schengen sans contrôles aux frontières intra-européennes, de les faire entrer faute de visas adéquats. Le Conseil néerlandais des réfugiés réclame, pour eux, «un examen individuel de leurs besoins», mettant en balance la rétention et leurs intérêts individuels. Pour chaque cas, une «alternative systématiquement doit être envisagée», plaide l'organisation.
Conseils aux Suisses
Alors que le Gouvernement suisse envisage de s'inspirer du modèle néerlandais, Jakob Wedemeijer l'encourage certes à l'adopter «parce qu'il est clair», mais en prenant plus de temps. «Nous n'en avons pas assez pour soumettre tous les documents nécessaires qui, souvent, doivent venir de l'étranger», soutient-il. Bien sûr, du point de vue des autorités nationales, conserver des procédures courtes, c'est économiser de l'argent. «Mais, en fait, ce système génère des candidatures secondaires et risque de passer à côté des cas graves.» En outre, une fois la première procédure terminée, les délais d'attente sont longs pour les procédures ultérieures.
Avant la loi de 2010, l'Union néerlandaise des avocats spécialisés dans le droit d'asile (VAJN) avait tenté d'obtenir deux semaines entières de procédure, une semaine pour l'avocat et son client, la seconde pour les services de l'immigration. En vain.